Valentin Hanquet, avocat associé au cabinet Sotra, spécialisé en droit social. © DR

« Généraliser un droit à la déconnexion ne garantirait pas son efficacité »

Valentin Hanquet, avocat associé au cabinet Sotra, spécialisé en droit du travail, privilégie l’approche négociée en entreprise. A l’heure d’une aspiration à plus de souplesse dans l’organisation du travail, il serait vain de faire le bonheur des travailleurs connectés contre leur gré.

Un droit à la déconnexion professionnelle octroyé aux fonctionnaires fédéraux: c’est nouveau, ça vient de sortir?

La mesure ne surgit pas de nulle part, la question d’un droit à la déconnexion au travail était dans l’air avant la crise de la Covid mais elle s’inscrit à présent dans le contexte de la nouvelle vague de télétravail engendrée par la crise sanitaire, vague qui ne connaîtra pas de marche arrière. Début 2021, le Parlement européen appelait la Commission à légiférer pour consacrer un droit fondamental à la déconnexion. En Belgique, on est occupés à embarquer dans ce train déjà en marche.

La nécessité d’un tel droit s’impose-t-elle à tous?

Elle est, en tout cas, ressentie par beaucoup d’employeurs confrontés à de nouvelles attentes des travailleurs en matière de flexibilité et d’autonomie. Face à des employés de plus en plus « volatiles », ils veulent prendre les devants. Je dirais qu’on est dans du 50-50 dans l’aspiration à concrétiser un droit à la déconnexion, pour peu qu’on puisse le définir et clarifier les obligations en matière de respect du temps de travail. L’utilité d’un tel droit serait aussi d’oeuvrer à la prévention des risques psychosociaux liés à l’hyperconnectivité et de sortir d’une illégalité puisque la loi interdit, en principe, de travailler ou de laisser travailler au-delà du temps réglementaire fixé en entreprise. Il y a des abus à corriger.

Légiférer pour sortir du flou ambiant, c’est le bon plan?

Le principe de la déconnexion au travail figure déjà dans notre arsenal législatif, puisqu’une loi de 2018 oblige les employeurs à se concerter à ce propos avec les représentants des travailleurs dans les entreprises et compte tenu des spécificités des secteurs d’activité. Ce droit à la déconnexion à géométrie variable est une bonne approche, car il me semble préférable de laisser la place à la négociation plutôt que d’opter pour une insertion de ce droit spécifique dans notre code du travail, comme cela s’est fait en France. La généralisation d’un nouveau droit, imposé à l’aveugle, en quelque sorte, et sans mesures additionnelles, ne garantirait en rien son efficacité. La pluralité des systèmes d’organisation du travail, comme le régime des horaires flottants, est telle que la notion même de temps de travail liée à une présence physique est en train de s’estomper. Plus largement, notre législation sociale prévoit déjà des garde-fous en matière de respect du temps de travail, le travailleur n’est donc certainement pas sans instrument ni argument à faire valoir sur le plan juridique pour éviter tout « abus de connexion ».

Un black-out numérique ou l’impossibilité technique de recevoir tout e-mail professionnel à partir d’une heure prédéfinie, ne serait-il pas le meilleur moyen d’écarter tout risque d’abus?

C’est une piste, mais elle n’est pas la seule, ni forcément toujours la plus appropriée. On peut aussi citer le message d’alerte « Mon e-mail n’appelle pas de réponse s’il est reçu après 18 heures » ou une charte interne de bonne conduite. Une nouvelle culture d’entreprise est à créer, qui passe par une analyse des risques psychosociaux, par l’intervention éventuelle d’un service interne de plaintes, ou la mise en place de systèmes fiables de comptage et d’enregistrement du temps de travail. Il ne faut pas écarter non plus le fait qu’un droit à la déconnexion professionnelle peut être ressenti par l’employé connecté comme une ingérence ou une intrusion dans sa vie privée, contraire à ses aspirations à pouvoir organiser librement son temps. Nombre de travailleurs sont demandeurs d’une plus grande souplesse dans l’articulation entre vies professionnelle et privée. Les réalités du monde professionnel d’aujourd’hui exigent plus de flexibilité.

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