Gaza s’invite entre les murs

Une vingtaine d’élèves de 6e technique portent leur regard sur le conflit israélo-palestinien. Reportage.

Lundi 12 janvier. Dans cette école de Cureghem, quartier populaire d’Anderlecht, le calme règne dans les couloirs. Comme si les lieux étaient encore bercés par la monotonie des récentes vacances de Noël. 13 heures : le drrriiing métallique retentit. Quelques minutes plus tard, 21 élèves de 5e et 6e techniques de qualification, orientation nursing, pénètrent dans le local. Qui sont-ils ? 13 filles, 9 garçons, 6 Noirs, 1 Kabyle, 2 jeunes filles voilées, 1 mère de familleà Une classe ordinaire, quoi. Certains ont-ils manifesté, la veille, pour la Palestine ? Quatre bras se lèvent : ceux d’Asma, Zakia, Ali et Abdel.  » Le but, c’était de montrer notre opposition face à l’agression commise par Israël « , déclare Asma. L’indignation a transformé cette adolescente, d’habitude si réservée : sourire communicatif, regard franc, elle a l’éloquence d’une vraie porte-parole.  » On était là pour une raison triste, raconte-t-elle, et en même temps ça faisait chaud au c£ur. Y avait des Arabes, des Belges, des communistes, même des juifs. Fallait voir cette effervescence !  »

Ali, 21 ans, n’avait jamais participé à une manif. Les images de désolation en provenance de Gaza l’ont poussé à y mettre les pieds.  » Ils sont en train de faire un massacre. Alors, nous, on compare.  » On compare ?  » Oui, on compare le nombre de morts israéliens et palestiniens. C’est de l’injustice totale.  » Quant à Abdel, volontiers bavard, voire vindicatif, il aimerait s’exprimer, mais il ne peut pas : extinction de voix. Trop crié de slogans la veille.

Touché par le malheur qui frappe ces derniers jours le Proche-Orient, Driss n’a pas manifesté.  » J’avais prévu d’y aller. Mais je ne me suis pas réveillé, c’est pour ça.  » Le rassemblement débutait à 14 heuresà  » Je me suis levé à 16 heures.  » Latifa, yeux bleus et pull noir à col roulé, intervient :  » Moi, je soutiens ceux qui sont pour la paix, aussi bien du côté palestinien que du côté israélien.  » Elle a parlé posément, d’une voix douce, sûre d’elle. Danièle, sa voisine, réagit :  » Les Israéliens qui sont contre la guerre, ils n’osent peut-être pas parler. En Afrique, ceux qui critiquent le gouvernement, on les enferme. On les tue. On les zigouille, quoi. Les Israéliens pacifistes, vu que c’est la minorité, peut-être qu’ils ne peuvent pas s’exprimer non plus. « 

Sur les 21 élèves, 7 regardent régulièrement le JT. Sur quelles chaînes ? RTBF et RTL-TVI arrivent en tête, talonnées par Al Jazeera. Et TF 1 ?  » Que du people « , juge Nora qui, malgré tout, regarde de temps en temps le JT d’Harry Roselmack. Jamal, lui, ne regarde qu’Al Jazeera. Comme d’autres, il se méfie des infos tronquées, et des médias en général.

Danièle relance le débat :  » Dans d’autres écoles, les jeunes s’en foutent, de Gaza. Moi, je suis contente qu’on ait des profs qui nous ont parlé de la Palestine, parce que ça touche tout le monde, qu’on soit africain, européen ou quoi que ce soit. C’est en train de devenir un génocide, comme au Rwanda.  »  » Au Rwanda, c’était pire !  » coupe Sandra.

Compter les morts et rester les bras croisés, ce n’est pas le genre d’Asma. Au sein de l’école, elle a  » recruté  » quelques copines pour vendre des porte-clés au profit de la Palestine, 3 euros la pièce.  » Avec la prof d’histoire, on a été au camp de Breendonk, explique-t-elle. Moi, j’en ai retenu que le truc le plus important, avec l’Histoire, enfin si j’ai bien compris, c’est qu’on doit en tirer les leçons. Les Israéliens, j’ai l’impression qu’ils n’ont pas tiré les leçons. « 

Mario, tête baissée et capuche rabattue, ne pipe mot.  » C’est pas ma guerre « , marmonne-t-il. De toute l’heure, ce seront ses seuls propos. Nora, à l’inverse, s’exprime avec de plus en plus d’aisance au fur et à mesure que les minutes s’écoulent :  » Les pro-israéliens, ils sont plus intelligents que les propalestiniens, je trouve. Ils organisent des beaux galas. Ils font les choses bien calmement. C’est ça, la bêtise des propalestiniens : dans leurs manifestations, souvent, il y a de la casse.  »  » Faut pas faire d’amalgame !  » fuse une voix au fond de la classe. Murmures d’approbation. Drrriiing. L’heure a filé. Le débat, lui, ne fait que commencer.

F.B.

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