Gardez un oeil sur vos donations

La donation est l’un des moyens les plus courants pour planifier sa succession. Cependant, une donation classique n’empêche pas le bénéficiaire d’utiliser l’argent à mauvais escient. Mieux vaut donc en garder le contrôle. Mode d’emploi.

Les relations familiales peuvent parfois être complexes, surtout si l’argent vient s’immiscer dans les conversations. Les parents, lorsqu’ils souhaitent aider financièrement leurs enfants, n’ont pas envie que l’argent donné et pour lequel ils ont travaillé dur soit utilisé à mauvais escient par une progéniture peut-être pas encore totalement mature. Malheureusement, ils font trop souvent confiance à leurs enfants et n’ont aucun moyen de recours si cet argent n’est pas utilisé dans le cadre envisagé au départ. Des discussions, voire des conflits, peuvent évidemment naître de cette situation. Evitable pourtant. Car bien des techniques, de la plus simple à la plus complexe, permettent aux parents de maintenir un minimum de contrôle sur la manière dont l’argent sera utilisé. Inventaire.

Payez les factures

La méthode la plus simple consiste pour le parent à payer directement les factures. Imaginons par exemple que Monsieur et Madame Lenoir ont un fils, Luc, qui vient d’emménager dans une nouvelle maison. Celle-ci nécessite néanmoins quelques travaux, dont l’installation d’une nouvelle cuisine d’un coût de 10 000 euros. Dans ce cas, plutôt que de procéder à un don manuel ou une donation indirecte de ce montant, sans garantie que l’argent soit utilisé pour l’achat de la cuisine, Monsieur et Madame Lenoir peuvent très bien décider de payer directement la facture du cuisiniste. Ils ne mentionneront évidemment pas sur le virement qu’il s’agit d’une donation : ils ne font pas en effet une donation au cuisiniste mais à leur fils !

Bien que Luc n’ait jamais vu la couleur de l’argent qui a servi à payer la facture du cuisiniste, cette technique est assimilée à une donation indirecte, comme si les parents avaient fait un virement bancaire à Luc. Elle ne sera pas soumise aux droits de donation, mais aux droits de succession uniquement si le donateur décède moins de trois ans après la donation. Ce ne sera par contre pas le cas si elle est enregistrée, mais Luc devra alors payer les droits de donation libératoires applicables pour les donations en ligne directe de biens meubles, soit 3 % en Région Bruxelles-Capitale et 3,3 % en Région wallonne.

Prêter puis donner

Une autre technique peut être utilisée dans la même situation : d’abord, octroyer un prêt puis, lorsque le donateur est sûr que l’argent a été utilisé à bon escient ou qu’il n’en aura plus besoin, procéder à une remise de dette, c’est-à-dire mettre fin à l’obligation de rembourser le prêt. Dans notre exemple, Monsieur et Madame Lenoir rédigent un contrat avec Luc dans lequel ils mentionnent qu’ils lui octroient un prêt de 10 000 euros pour une durée déterminée (par exemple 1 an) à un taux déterminé (par exemple 0 %). La somme sera ensuite transférée par virement bancaire du compte de Monsieur et Madame Lenoir vers le compte de leur fils.

Lorsque la cuisine aura effectivement été installée par Luc, le couple pourrait alors octroyer une remise de dette à Luc, soit en passant devant un notaire, soit par l’envoi de deux lettres recommandées (une dans laquelle Monsieur et Madame Lenoir signalent vouloir octroyer cette remise de dette à Luc et une dans laquelle Luc accepte), soit par un seul document signé des donateurs et du donataire (le pacte adjoint). La remise de dette est assimilée à une donation indirecte et n’est donc pas soumise au droit de donation si elle n’est pas enregistrée. Si par contre l’argent n’a pas été utilisé par Luc pour la cuisine ou si Monsieur et Madame Lenoir en ont besoin, ils pourront le récupérer… au risque évidemment d’entraîner des conflits. Mieux vaut donc employer cette technique avec la plus grande prudence.

Donner sous condition

En principe, une donation est irrévocable. Cependant, la loi permet d’ajouter une condition suspensive à la donation, de sorte qu’elle sera annulée si la condition n’est pas respectée. Attention toutefois : la condition doit évidemment être possible et ne pas être illégale. Dans notre exemple, Monsieur et Madame Lenoir peuvent donc décider de procéder à une donation à la condition que l’argent soit utilisé pour rénover la maison. Dans ce cas, un écrit sera nécessaire. Le couple peut par exemple passer devant notaire. Mais il est également possible d’associer une condition à un don manuel ou une donation indirecte. La condition devra alors être clairement mentionnée dans les deux lettres recommandées ou dans le pacte adjoint, qui est un document commun signé du donateur et du donataire qui confirme qu’une donation a bien eu lieu et à quelles conditions.

Si la condition n’est pas remplie, la donation sera considérée comme n’ayant jamais existé, avec toutes les conséquences que cela entraîne et les conflits éventuels. Si Luc n’utilise pas l’argent, il faudra en effet récupérer l’argent auprès de lui et, s’il est de mauvaise foi, aller en justice. L’avis d’un notaire sera donc d’une grande utilité pour analyser la pertinence de cette technique. Les conditions doivent notamment être bien analysées et exprimées car, au final, on ne peut pas déroger au droit du donataire de disposer librement de ses biens.

Donation liée à une assurance-vie

Si la donation n’a pas un but précis pour les enfants ou si les enfants sont encore jeunes, il peut être intéressant de recourir à une combinaison d’une donation et d’une assurance-vie de manière à garder le contrôle sur l’utilisation que ses enfants feront de l’argent plus tard. Imaginons que Monsieur et Madame Lenoir veuillent donner une somme de 50 000 euros à leur fils Luc, âgé de 19 ans. Ils peuvent évidemment procéder à une donation classique sans y lier une quelconque condition. Dans ce cas, ils doivent avoir une grande confiance dans la capacité de Luc à utiliser correctement cet argent. Le mieux est évidemment de pouvoir garder un oeil sur la manière dont l’argent sera utilisé…

Dans ce cas, Monsieur et Madame Lenoir peuvent utiliser la combinaison suivante : d’abord, ils procèdent à une donation (manuelle, bancaire ou notariée), éventuellement sous condition. Dans la foulée, Luc place l’argent reçu dans une assurance-vie de branche 21 (avec taux d’intérêt garanti et garantie de capital) ou de branche 23 (fonds d’assurance sans garantie de capital) en se désignant comme preneur d’assurance et assuré et en désignant ses parents comme bénéficiaires, qui l’acceptent expressément. Les parents ont ainsi le contrôle du capital car Luc devra leur demander leur accord avant d’y toucher. Il ne pourra profiter pleinement de son capital qu’au décès de ses parents (il ne devra alors payer aucun droit de succession car il est preneur d’assurance). Autre avantage : si Luc décède avant ses parents, l’argent leur reviendra car ils sont bénéficiaires de l’assurance-vie. Ils devront toutefois payer des droits de succession, à moins d’avoir prévu dans la donation une clause de retour en cas de prédécès du donataire. La donation sera alors censée n’avoir jamais existé. Il est également possible, dans le contrat d’assurance, d’interdire à l’enfant de toucher au capital avant un certain âge, ce qui peut être utile lorsqu’on donne à des enfants en bas âge.

Donation avec charge

On peut encore aller plus loin dans le contrôle puisqu’un donateur peut lier une charge à la donation. Dans ce cas, il ne cherche pas nécessairement à s’assurer que le donataire utilisera correctement l’argent donné mais plutôt à s’assurer de ne manquer de rien en cas d’imprévu. Un coup dur de la vie peut toujours arriver et mettre à mal son patrimoine. Dans ce cas, comment contraindre ses enfants qui ont reçu une donation à participer à ses frais ?

La donation avec charge est une technique assez simple qui consiste à lier une  » charge  » à la donation. Un acte notarié n’est pas obligatoire : les lettres recommandées ou le pacte adjoint qui accompagne les donations manuelles et bancaires peut suffire. Si Monsieur et Madame Lenoir décident de donner une somme d’argent importante (200 000 euros) à leur fils Luc, par exemple pour l’aider dans l’acquisition d’une maison, ils peuvent lier à la donation la condition que Luc leur verse chaque mois un montant de 750 euros jusqu’à leur décès. Même si Monsieur et Madame Lenoir ne demandent pas en pratique ce versement, il est toujours bon de le prévoir par sécurité.

Attention cependant, libérer le donataire de la charge, même provisoirement, est considéré comme une donation supplémentaire et repris dans l’héritage au décès, avec toutes les conséquences que l’on imagine en matière de droits de succession à payer. Signalons enfin que si le donataire ne respecte pas le paiement de la charge, la donation peut être révoquée par le donateur. Elle sera censée ne jamais avoir eu lieu dans ce cas.

Donation avec réserve d’usufruit

Pour transmettre un bien immobilier à ses successeurs tout en en gardant le contrôle, il est possible d’effectuer une donation avec réserve d’usufruit. En pratique, il s’agit de donner à ses enfants la nue-propriété de l’immeuble concerné tout en gardant l’usufruit pour soi. Autrement dit, il est possible de continuer à profiter de son immeuble tout en planifiant sa succession et en empêchant ses successeurs de, par exemple, revendre l’immeuble. L’avantage essentiel étant qu’au décès du donateur, le donataire devient plein propriétaire de l’immeuble sans payer de droits de succession.

Pour les biens immobiliers, il faut absolument passer devant un notaire qui établira l’acte de donation. Mais cette technique peut également être appliquée pour d’autres biens, comme une épargne ou un portefeuille d’investissement, sans nécessairement passer devant un notaire, mais il conviendra alors de bien définir l’usufruit.

Malgré les pressions du gouvernement et sa disposition générale anti-abus, la donation mobilière reste l’un des outils les plus adaptés pour planifier sa succession. Mais de nombreuses techniques sont possibles pour garder le contrôle de la donation et toutes les techniques ne sont pas adaptées à toutes les situations. Demander conseil reste donc le meilleur moyen d’éviter un fiasco juridique.

Par Julien Lheureux

Demander conseil reste le meilleur moyen d’éviter un fiasco juridique

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire