Gabon La France voit trouble

Le scrutin présidentiel du 30 août est imprévisible. Et plonge la France, suspectée de soutenir en catimini Ali Bongo, dans un réel embarras.

Profil bas de rigueur. Imité en cela par Bernard Kouchner (Affaires étrangères) et Alain Joyandet (Coopération), le président Nicolas Sarkozy aura martelé à l’envi cet unique message :  » Au Gabon, la France n’a pas de candidat.  » Trois facteurs motivent une telle insistance. D’abord, les doutes qui plombent l’indéchiffrable scrutin présidentiel – à un seul tour – du 30 août.  » On est dans le brouillard, confesse un expert élyséen. Rien n’est exclu. Pas même un dérapage avant, pendant ou après l’élection.  » Ensuite, la crainte de se voir imputer tout déraillement du processus.  » Il faut un vainqueur élu et bien élu, accepté par tous et donc perçu comme légitime, avance le même africaniste. Car, en cas de troubles, on s’empressera bien sûr d’y voir la main de Paris.  » Enfin, corollaire de l’argument précédent, le scepticisme que suscite, en Afrique comme ailleurs, la neutralité affichée par l’ancienne métropole coloniale ; laquelle aurait adoubé parmi les 23 candidats en lice Ali Bongo Ondimba, comme elle parraina voilà quarante-deux ans son père Albert-Bernard, devenu entre-temps Omar et disparu en juin dernier.

Suspicion infondée ? Certes pas. La chronique tumultueuse du couple incestueux que forment l’émirat pétrolier tropical et l’Hexagone fournit un antidote souverain contre toute candeur (1). Et les ambiguïtés des mois écoulés valent pour le moins piqûre de rappel. Un peu d’histoire, donc. En 1967, à l’heure de suppléer le défunt président Léon M’Ba, premier dépositaire d’une indépendance dont il ne voulait guère, le jeune Bongo prête serment à Paris, dans l’enceinte de l’ambassade gabonaise. Logique : il passe à juste titre pour le protégé de Jacques Foccart, sorcier africain du gaullisme. Déjà, trois ans plus tôt, les paras français, venus de Dakar et Bangui, avaient restauré le tandem M’Ba-Bongo, écarté le temps d’un éphémère coup d’Etat. Autant dire que le plus jeune chef d’Etat au monde de l’époque n’a rien à refuser à ses mentors. La France épaule en 1968 la sécession avortée du Biafra, province nigériane rebelle ? Elle peut compter sur le zèle de son protégé. Rebelote au beau milieu de l’ère Giscard, lorsque les barbouzes de l’opération  » Crevette  » tentent vainement de déloger de la présidence béninoise l’afro-marxiste Kérékou. Sous François Mitterrand, la donne ne change guère. En 1990, tandis que le trône de Bongo vacille sur fond d’émeutes, le Premier ministre Michel Rocard envoie un robuste contingent rétablir l’ordre à Port-Gentil, vitale tête de pont du commerce de l’or noir.

Si la France importe aujourd’hui trois fois plus de pétrole angolais que de brut gabonais, le  » Bongoland  » apparaît alors comme un protectorat de la maison Elf, doublé d’un pourvoyeur de manganèse, d’uranium et de bois précieux.  » Le Gabon sans la France, aimait à dire son  »présida », c’est une voiture sans chauffeur. La France sans le Gabon, une voiture sans carburant. « 

Normaliser une relation pesamment plombée

Bien sûr, le vent du golfe de Guinée a tourné. Omar Bongo a vite troqué sa défroque d’obligé contre un costume de partenaire ombrageux, taillé à la mesure de sa rouerie, voire de bienfaiteur avisé des épopées électorales hexagonales, de Jean-Marie Le Pen aux barons socialistes, même s’il réserva l’essentiel de ses largesses à la nébuleuse néogaulliste. Un indice parmi d’autres : à un quart de siècle d’intervalle, Bongo exige et obtient la tête de deux titulaires de la Coopération : le tiers-mondiste Jean-Pierre Cot, en 1982, et le chrétien de gauche Jean-Marie Bockel, l’an dernier.

Epoque révolue à jamais, jure-t-on à l’Elysée. Voire. Sur ce front comme sur tant d’autres, nul doute que l’équipe de Bruno Joubert, patron de la  » cellule africaine « , s’évertue à normaliser une liaison si pesamment plombée. Effort parasité, de Madagascar à la Mauritanie, via Abidjan (Côte d’Ivoire) et le Gabon, par l’activisme de l’avocat Robert Bourgi, ce gardien du musée vivant de la Françafrique à qui l’insolite bienveillance de Nicolas Sarkozy et de son bras droit Claude Guéant confère une influence aussi néfaste qu’archaïque. Si, au Gabon, la France officielle vote blanc, Bourgi soutient  » à titre personnel  » le fils Ali. A titre personnelà Coquetterie spécieuse pour qui sait le crédit qu’on accorde dans les palais africains aux conseillers de l’ombre supposés jouir – à tort ou à raison – de la confiance du boss. Et dévoiement patent de la continuité républicaine :  » Bob  » Bourgi fut dans les prétoires le défenseur d’Omar Bongo, mais aussi le tuteur légal à Paris d’une de ses filles née hors mariage. Le voici gourou autoproclamé de l’héritier présomptifà Il a d’ailleurs assisté, à l’été 2008, à l’audience accordée par  » son ami  » Sarkozy à Ali. Certes, ce dernier, reçu de nouveau en décembre, prend soin de souligner qu’il est venu à l’Elysée en tant que ministre de la Défense, appelé ès qualités à discuter de la révision d’un accord de coopération militaire. Soit. Reste qu’aucun de ses rivaux ne fut ainsi choyé.

Loin de dissiper l’équivoque, le message délivré par le président français dans la coulisse des funérailles du défunt patriarche, le 16 juin à Libreville, l’alimente. Que dit-il alors à Ali, à sa demi-s£ur Pascaline et aux autres figures de proue d’une fratrie minée par les dissensions ? Au dire même de son entourage, ceci :  » Que la famille s’accorde sur un nom. En cas de déchirement, vous flinguez l’élection et vous foutez le pays en l’air. « 

Mieux vaut ne pas passer pour le poulain de Paris

Une certitude : mieux vaut, pour Ali comme pour tout autre prétendant, ne pas passer pour le poulain de Paris. Quoique téléguidées, les clameurs hostiles adressées à Nicolas Sarkozy à l’heure des obsèques d’Omar –  » On ne veut plus de vous ! Partez ! On veut les Chinois !  » – reflètent un profond ressentiment envers l’ancienne métropole, abusivement tenue pour comptable de tous les maux d’un pays riche rongé par la pauvreté, l’incurie et le clientélisme. L’enquête ouverte à Paris sur les  » biens mal acquis  » de trois potentats d’Afrique, dont Omar Bongo Ondimba, relève pour nombre de Gabonais d’un acharnement inique à l’encontre du loyal allié affaibli par le deuil – celui de son épouse Edith-Lucie – et la maladie. D’autres, voire les mêmes, instruisent le procès d’une France suspectée de favoriser en sous-main le scénario de la succession dynastique.

Il y a d’ordinaire, dans le dépit amoureux, moins de dépit que d’amour. Pas sûr que tel soit le cas dans ce Gabon dont nul ne sait s’il sera demain celui de l’après-Omar ou celui de l’après-Bongo.

(1) Lire à ce sujet France-Gabon. Pratiques clientélaires et logiques d’Etat, par Jean-François Obiang, Karthala (2007).

VINCENT HUGEUX

 » La france sans le gabon, c’est une voiture sans carburant « , disait omar bongo

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