Sandback réenchante l'art minimal qui effraie tant le grand public. © Fred Sandback Archive, courtesy: David Zwirner - Photo: Laurent Brandajas

Fred Sandback

Avec son socle rugueux, souvent enrobé de philosophie analytique (Ludwig Wittgenstein) ou de phénoménologie (Edmund Husserl), l’art minimal effraie le grand public. C’est tout le mérite de la Fondation CAB que de travailler à une réconciliation. Le projet est ardu surtout quand on sait que, notamment en raison d’oeuvres désignées par des titres consacrant leur seul mode d’apparition ou leur matérialité, cette pratique abstraite a longtemps été nommée rejective art (« art rébarbatif », en français). A cela, il faut ajouter une esthétique postmoderne, une « physicalité » si l’on s’en tient au lexique consacré, souvent perçue comme repoussante et agressive: poutres métalliques, parpaings ou néons aveuglants. L’exposition dédiée à l’Américain Fred Sandback (1943 – 2003), artiste prodige et figure atypique du mouvement, dessine de tout autres contours à cette mouvance apparue dans les années 1960, à tel point que les enfants s’y sentent en sécurité.

Là où ses pairs sacraient la froideur du monde, Sandback réenchante l’espace en traçant des figures simples avec des fils colorés (tons primaires, ocre, noir…). On ne s’étonne pas qu’Amy Baker Sandback, la veuve de l’artiste, pourtant extrêmement stricte sur les déploiements posthumes de l’oeuvre de son mari, ait accepté cette audacieuse proposition qui lève le voile sur treize pièces emblématiques de ce sculpteur dont la carrière a débuté en trombe dès l’âge de 26 ans. Loin des rigidités d’un white cube, l’ancien entrepôt Art Déco des années 1930 se présente comme un écrin architectural idéal. Extrêmement proches de ce « presque rien » qui change tout cher au philosophe Jankélévitch, les menus fils acryliques (il y a aussi une sculpture plus historique en élastique, une autre en tiges de métal, un diptyque en bois et une vidéo montrant, entre autres, des installations d’oeuvres dans des maisons signées par l’architecte mexicain Luis Barragán) attachés avec un soin d’orfèvre, redistribuent le vide et le plein, rapprochent la présence de l’absence. C’est toute notre lecture de l’espace qui est perturbée. Mieux, en se déplaçant, le visiteur contribue à faire s’entrechoquer les dispositifs, jouant ainsi le rôle d’agent perturbateur, de tiers performatif, de poète au sens premier du terme. A deux pas, en bonus, une quatorzième oeuvre de vingt-trois mètres de haut laisse exploser toute sa vertigineuse verticalité sous une verrière de l’ancienne Maison de la radio de Belgique.

A la Fondation CAB, à Bruxelles, jusqu’au 1er juin 2022.

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