© DR

Francesco Sette

Physicien et directeur général de l’ESRF-EBS, le synchrotron européen de 4e génération.

Avant même son ouverture à la communauté scientifique, le 25 août, l’ESRF-EBS était déjà sollicité, dans le cadre de la crise sanitaire du coronavirus.

En effet. En avril, nous avons été contactés par des équipes médicales internationales, et dès la fin du premier confinement, nous avons mis à disposition notre installation pour contribuer à l’effort de recherche sur le virus. Des hôpitaux allemands, par exemple, nous ont confié des échantillons de poumons et de reins de personnes décédées de la Covid-19. C’était une période critique, les hôpitaux n’avaient pas le temps de pratiquer beaucoup d’autopsies. Or, il fallait absolument comprendre plus précisément le fonctionnement du Sars-CoV-2 et ses mécanismes d’infection.

Y êtes-vous parvenus?

Les résultats sont très prometteurs. Personne, nulle part, n’a jamais vu ce que nous avons vu. Et nous avons vu des choses époustouflantes! Nous pouvons analyser, dans l’infime détail, comment certaines parties des organes sont détériorées par ce virus, grâce aux performances des rayons X produits par le nouveau synchrotron et grâce à des techniques en 3D, non destructrices, avec une résolution subcellulaire des tissus. L’enjeu est de mieux comprendre les effets du coronavirus sur les poumons et les autres organes, notamment lors de la phase de surinfection. Nos résultats sont encore sous embargo, mais ils seront bientôt publiés et mis au service de toute la communauté scientifique internationale. L’autre type de recherche relève de la biologie structurale et a permis, par exemple, d’étudier la protéine Spike, responsable de l’accroche du virus sur les cellules humaines. Cela est crucial dans le cadre de la fabrication d’un vaccin ou encore pour observer comment l’ARN du virus est dupliqué à l’intérieur des cellules humaines.

Notre plus grand rêve? Réaliser une cartographie neuronale coamplète du cerveau humain.

Qu’est-ce qui rend votre machine si fantastique?

Dans des délais et à un coût raison-nables, nous avons réussi à construire la plus puissante et brillante source de lumière par rayonnement synchrotron au monde. Notre outil est pionnier: au-delà des technologies, il est basé sur un concept innovant et sur le dessin d’un nouvel anneau de stockage imaginés par les équipes de l’ESRF. Cela nous a permis de multiplier par cent nos précédentes performances. Autrement dit, nos rayons X sont cent fois plus brillants que ceux que nous produisions auparavant et dix mille milliards de fois plus brillants que ceux produits à l’hôpital, dans des scanners. Et ce n’est pas fini! Nous visons un facteur 1 000 dans le futur. De plus, nous sommes parvenus à diminuer la consommation d’énergie de notre installation de 20%.

L'ESRF-EBS, un synchrotron de 4e génération, installé à Grenoble.
L’ESRF-EBS, un synchrotron de 4e génération, installé à Grenoble.© JOCELYN CHAVY

Les Belges se servent-ils de votre installation?

Aujourd’hui, l’ESRF compte 22 pays partenaires. La Belgique fait partie des pays fondateurs du synchrotron, qui ont lancé et soutenu le projet en 1988. En plus de l’utilisation de l’ESRF sur la base de projets scientifiques sélectionnés sur critère d’excellence, les Belges et les Néerlandais gèrent ensemble deux « lignes de lumière », des « installations expérimentales » donc, dans le cadre de leur association, le BeneSync Consortium. Les lignes belgo-néerlandaises sont très performantes ; elles ont produit énormément de résultats scientifiques, notamment dans le cadre de l’étude de la matière molle (NDLR: la matière qui change rapidement, des plastiques et gels aux produits agroalimentaires, etc.), mais aussi dans bien d’autres domaines de recherche, comme la géologie, la minéralogie, la métallurgie… Des études ont même été menées sur la cristallisation du beurre de cacao, utilisé dans la fabrication du chocolat. Vous, Belges, ça ne vous aura pas échappé que le chocolat devient gris, quand il est mal conservé: c’est à cause de la cristallisation. L’idée était de trouver un moyen de préserver la couleur et le goût de ce produit, tout au long du processus de fabrication.

Pourrait-on étudier un corps humain, dans son entièreté, dans votre labo?

Oui! On peut tout à fait imaginer effectuer le scanner d’un corps humain, non vivant bien évidemment, dans sa totalité, en 3D, à un niveau subcellulaire. Cela nous permettrait de comprendre enfin les corrélations globales entre toutes les parties du corps humain, les organes, les cellules, à un niveau d’imagerie infime, avec une définition extrême. Ce serait complètement novateur!

Quel est le plus grand rêve de l’ESRF?

Réaliser une cartographie neuronale complète du cerveau humain, jusqu’au niveau des synapses, les régions de contact entre deux neurones. Aujourd’hui, on ne comprend pas encore précisément ce qui passe au niveau des circuits secondaires de l’architecture neuronale. Les Américains ont investi dix ans de travail et dix millions de dollars pour obtenir la cartographie du cerveau d’une mouche, en étudiant le cerveau par tranches. Avec l’ESRF-EBS, l’enjeu est d’étudier un cerveau en entier (et non par tranches), beaucoup, beaucoup plus rapidement. Ça a évidemment un intérêt pour comprendre les dysfonctionnements qui conduisent aux maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson), ou pour progresser en matière d’intelligence artificielle. Ça fait rêver, notamment pour la robotique, ou dans le domaine spatial. Cela peut en effet nous faire faire un pas de géant dans le domaine de la microélectronique. On pourrait ainsi mettre au point des puces dotées de circuits secondaires, se mettant en marche quand le circuit primaire tombe en panne, en s’inspirant du fonctionnement du cerveau humain. Ce serait formidable, non?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire