Forteresse à frissons

Tel un rocher oublié par le temps, le château des Comtes surgit au cour du tissu urbain, nous apparaissant soudain dans toute sa beauté sévère. Bien des atrocités s’y sont déroulées… Retour sur un sombre passé que les siècles n’ont pas tout à fait cicatrisé.

Le Gravensteen est la seule forteresse de Flandre qui puisse nous fournir une image aussi complète de la culture chevaleresque au XIIe siècle. Heureux hasard ! Comme presque toutes celles que dénombrait l’ancien comté de Flandre, elle n’aurait pu survivre au Moyen Age si elle n’avait pas rapidement – et ce dès le milieu du XIVe siècle – troqué ses fonctions militaires et de résidence comtale contre des activités de natures administrative, financière et juridique.

Son histoire commence vraisemblablement en 1180. Une inscription en latin au-dessus de la porte nous signale que le château fut construit par le comte Philippe d’Alsace (1168-1191). Quiconque aurait eu l’occasion de voir les ruines des châteaux forts des croisés en Orient remarquera une ressemblance frappante avec la bâtisse gantoise. Il est pratiquement certain que le comte de Flandre s’inspira des forteresses franques de Syrie qu’il put observer au retour de son expédition. Il avait toutes les raisons de les imiter… Sur place, il vit de ses propres yeux à quel point il était difficile de s’en emparer.

Selon le chroniqueur Gislebert de Mons, le château fut édifié pour  » mâter l’excessive arrogance des Gantois, fiers de leur richesse, orgueilleux de leurs demeures fortifiées pareilles à des tours « . Soit, en construisant ce château fort, le comte voulait brider la puissance croissante des aristocrates locaux qui, non sans désinvolture, étendaient leur influence dans la région et faisaient étalage de leur prestige en élevant d’imposantes maisons. Nous résumerons donc l’objectif – premier mais inavoué – en ces termes :  » Montrer qui était le maître !  » Si vous souhaitez en faire l’expérience, grimpez au sommet du donjon, admirez la ville entre les créneaux. Vous ressentirez alors toute la sensation de richesse et d’autorité du propriétaire en extase. Le château était donc une démonstration de puissance bien plus qu’une demeure. Pour preuve : le comte n’y vivait pas. Il y adoubait ses nouveaux chevaliers, y stockait les dîmes de la moisson, y organisait la défense armée de ses terres et y présidait de somptueux banquets (ponctués dans les meilleurs cas de combats d’ours, de loups ou de lions). Si l’endroit permit à la haute société de badiner, il fut aussi le théâtre des pires atrocités !

Donjon des supplices

A partir de 1407, le Conseil de Flandre – plus haute cour de justice du comté – y tenait audience, traitant des cas les plus graves. Il fallut par conséquent construire de nouvelles salles et des geôles. Dans des cachots souterrains, les suspects étaient au mieux en détention provisoire, au pire atrocement torturés, voire dans certains cas extrêmes tués par décapitation, pendaison, strangulation… En vérité, la majorité des exécutions avaient lieu en dehors des murs du château. Cette barbarie poursuivait deux objectifs : montrer la destinée à laquelle s’exposerait toute personne malintentionnée et satisfaire la curiosité perverse d’une population en mal de sensations.

A vrai dire, nul besoin d’une imagination débridée pour se former une idée de ce qui devait se passer. Le Moyen Age connaissait d’excellentes méthodes pour contraindre rapidement mais efficacement des individus soupçonnés à avouer des faits (de vol, d’hérésie, de faux monnayage, de vagabondage, de braconnage…) qu’ils avaient – ou non ! – commis.

L’endroit fut longtemps synonyme d’abus de pouvoir, de soumission féodale, de tortures cruelles… Un passé peu glorieux mais toujours d’actualité. Le Gravensteen renferme aujourd’hui deux musées, celui des armes et celui de la justice. Le premier abrite les  » ressources  » avec lesquelles les hommes du Moyen Age se fracassaient mutuellement la tête. Le second rassemble une impressionnante collection d’instruments de torture qui servirent à arracher des aveux ou exécuter les sentences.

D’emblée, le décor est planté par une impressionnante guillotine. Une reconstitution qui demanda à un petit artisan gantois d’innombrables heures de recherches et de travail. Cette contrefaçon possède cependant d’authentiques couperets. Rappelons au passage que ce moyen effroyablement expéditif fut utilisé pour la dernière fois en Belgique en 1918. Dans le prolongement logique de la première, la salle suivante nous réserve aussi son lot de sueurs… La panoplie du parfait petit bourreau ne souffre d’aucune insuffisance. Tout y est ! Patiemment rassemblés au fil des années, ces objets proviennent d’horizons divers et variés : collections privées, ancien musée de la vie locale, prison centrale, hospice d’aliénés et héritage du dernier bourreau gantois dont l’ultime besogne date de 1861.

Tous semblent parfaitement efficaces. Des poucettes qui permettaient de compresser lentement les doigts de la victime, utilisées de préférence lors des procès de sorcellerie. Des colliers d’acier garnis sur leur face intérieure de dizaines de pointes de fer. Un banc des supplices sur lequel le criminel était d’abord étiré. Au même endroit, un entonnoir qui permettait de le remplir d’eau. Il y a aussi des camisoles pour détenus, des haches pour couper les pieds et les mains… Le frisson est instantané. En fin de parcours, un lit surprenant. Le prisonnier était attaché sur ce meuble, non loin de victuailles placées hors de sa portée. C’était l’un des supplices suprêmes, nous dit-on. La collection ne se limite pas à cela… mais laissons aux intéressés l’occasion de se rendre sur place pour y découvrir les autres coups tordus de ces tortionnaires qui ne manquaient décidément pas de suite dans les idées.

Il ressort des comptes de la ville et du comté de Flandre qu’on ébouillantait, pendait, décapitait et écartelait surtout des hommes. Les femmes étaient plus souvent enterrées vives ou brûlées. Pas de doute, il y eut bien des périodes où il était plus risqué d’être un criminel !

Avant de quitter cette forteresse au sombre passé, de tourner la page sur ces atrocités, nous partagerons une dernière anecdote à l’issue étonnante, sinon miraculeuse…

En avril 1586, un jeune homme aboutit sur le bûcher dans la région de Nevele, quatre ans après la mort de son oncle. Comme l’homme jurait qu’il était innocent, il se retrouva dans une geôle du château des Comtes où, dans toutes les règles de l’art, on lui passa autour du cou le collier aux pointes de fer. Il ne broncha pas, continua à nier. Jour et nuit, des gardiens se relayaient auprès de lui pour éviter qu’il ne s’endorme. La chose est à peine croyable, mais d’après des pièces du procès qui nous sont parvenues, le malheureux resta ainsi debout pendant huit jours. Il finit par être libéré. De mémoire d’hommes, on n’avait jamais rien connu de tel.

Le château des Comtes,

Sint-Veerleplein, 1-13 – 9000 Gand. www.visitgent.be

Le château est accessible toute l’année, sauf le 1er janvier et les 24, 25 et 31 décembre.

TEXTE : GWENNAËLLE GRIBAUMONT PHOTOS : FRÉDÉRIC PAUWELS/HUMA POUR LE VIF/L’EXPRESS; G.G.

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