Flandre – Wallonie : deux terres d’accueil en état de choc

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Plutôt indulgente au Sud, très contraignante au Nord : l’intégration des immigrants en Belgique a deux visages. Adepte de la manière forte, la Flandre, N-VA en tête, s’irrite de la manière douce des francophones. Elle aspire à gérer ses propres flux migratoires. Une bombe à retardement.

La touchante attention lui a réchauffé le c£ur. Gopi Lama a eu droit à des fleurs, à un petit cadeau, et surtout au sourire enjôleur de Geert Bourgeois. Le ministre régional N-VA tenait personnellement à féliciter cette Népalaise, fraîchement installée à Anvers, pour les efforts qu’elle s’engage à consentir par contrat.  » Il faut que j’apprenne le néerlandais, qui n’est pas une langue facile !  » Un grand saut dans l’inconnu pour la 60 000e nouvelle venue à embarquer dans un parcours d’intégration en Flandre, honorée pour l’occasion en mai dernier. La Flandre sait recevoir. Et le faire savoir. Même si le  » nieuwe Vlaming  »  » n’a plus droit à l’hommage solennel de la société flamande pour son engagement à s’intégrer. A la trappe, le  » Dag van de Inburgeraar  » : Geert Bourgeois ne croit plus à l’effet mobilisateur de cette cérémonie festive. Trêve de pompe, efficacité avant tout. L’ inburgering, la machine à  » citoyenniser  » les nouveaux migrants en Flandre, tourne à plein régime. Contraints ou volontaires, 14 000 d’entre eux y passent chaque année. Au bout de deux ans de parcours, une attestation de  » citoyenneté  » les attend. La récompense, sur le papier, des efforts accomplis.

Le gouffre Nord-Sud

La Flandre voit grand. Mais elle se sent à l’étroit. Injustement récompensée de la peine qu’elle se donne pour accueillir à sa façon ses immigrants. Elle ne lésine pas sur la dépense : 48,6 millions d’euros investis cette année dans sa politique d’inburgering et d’intégration. Alors que, de l’autre côté de la frontière linguistique, on ne peut en dire autant, grince-t-on dans le nord du pays. Les budgets parlent d’eux-mêmes : en 2010, le gouvernement wallon consacre 5,4 millions d’euros à intégrer ses immigrés. Il est vrai que les Wallons, comme les Bruxellois, sont à des années-lumière de la coûteuse politique d’intégration sous la contrainte qui a force de loi en Flandre.  » Cela ne veut absolument pas dire que rien n’est entrepris en Wallonie « , nuance Dina Sensi, chargée de recherche à l’Institut de recherche, formation et action sur les migrations. La Région wallonne relève le défi, à sa manière. En misant sur ses sept centres régionaux d’intégration, et sur tout un réseau d’initiatives locales. Apprentissage de la langue française, éducation à la citoyenneté, connaissance des institutions : les nouveaux arrivants ne sont pas livrés à eux-mêmes.  » L’offre en matière d’intégration est abondante, mais le nombre de personnes qui y répondent reste encore fort limité. Pas forcément par mauvaise volonté, mais plus par ignorance « , estime Dina Sensi. Tout reste affaire de volonté personnelle, de liberté individuelle. Une tout autre conception du  » mieux vivre ensemble dans la diversité « .

La Flandre en a marre

Plus qu’un fossé Nord-Sud, c’est un gouffre. Et le grand écart se ressent douloureusement, au fragile point de rencontre entre francophones et Flamands qu’est l’étage fédéral. Lequel garde son mot à dire en matière d’immigration. L’accès et le séjour sur le territoire, l’octroi de la nationalité belge, l’éloignement des étrangers restent sa chasse gardée. Aux entités fédérées, le soin d’accueillir et d’intégrer les arrivants. Mais le partage des rôles ne satisfait plus du tout le nord du pays. Convaincu de payer les pots cassés d’une politique fédérale jugée trop laxiste.

Geert Bourgeois, ministre N-VA de l’Inburgering, a fait la grimace en bouclant son budget pour 2010. La campagne de régularisation des demandeurs d’asile, décidée par le gouvernement fédéral fin 2009, l’a contraint à débloquer 4,8 millions d’euros de plus pour  » gérer  » l’afflux des régularisés réglementairement embrigadés dans le parcours d’intégration. Son parti résume crûment le cercle vicieux :  » Une politique d’inburgering solide est essentielle pour faire contrepoids à la lamentable politique migratoire fédérale.  » Dans un langage plus châtié, Bourgeois ne tient pas un autre discours :  » Tant que le gouvernement fédéral garde en main la politique migratoire, la Flandre ne peut mettre qu’un emplâtre sur une jambe de bois. C’est là que le bât blesse. La politique fédérale est insuffisamment adaptée à la politique flamande.  » En clair : la Flandre en a marre d’éponger le flux qui s’écoule d’un robinet actionné par le niveau fédéral… qui en fixe le débit. Elle aspire à maîtriser la politique migratoire d’un bout à l’autre de la chaîne. Depuis le scrutin du 13 juin et l’irruption de la N-VA dans la cour des grands, Geert Bourgeois se fait un peu moins explicite. Négociations gouvernementales obligent.  » Je suis partisan de paquets de compétences homogènes « , lâchait-il prudemment fin juin au parlement flamand. La matière s’annonce plus que délicate à aborder avec les partis francophones. Il y va de la gestion des flux migratoires et de leurs éventuels déplacements de part et d’autre de la frontière linguistique. Explosif.

Geert Bourgeois ronge son frein. Réduit à forcer la main au fédéral à la marge. Il a ainsi sollicité le concours des postes diplomatiques belges pour pouvoir prêcher la bonne parole de l’inburgering jusque dans les pays d’origine. A l’aide d’outils d’apprentissage au néerlandais, il veut pouvoir capter au plus tôt l’immigration issue du regroupement familial et attendue en Flandre.  » Une nécessité « , insiste Bourgeois. Bien comprise du ministre fédéral des Affaires étrangères (CD&V), assure-t-il :  » Le ministre Vanackere a réagi positivement à la démarche.  » Côté francophone, on dit ne pas être officiellement au courant. Mais on sait que la Flandre s’impatiente.

PIERRE HAVAUX

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