Caterina Bonvicini invite à repenser les relations. © C. Helie Éditions Gallimard

Femmes sous influence

Entre roman noir et comédie satirique, Les Femmes de porte un regard aigre-doux sur la condition féminine, sur la famille et sur la bourgeoisie italienne. Savoureux.

Sept femmes sont réunies pour le repas de Noël dans un appartement bourgeois de Milan. Toutes sont reliées par un homme, Vittorio, écrivain célèbre mais en perte de vitesse, qui doit arriver d’un instant à l’autre. Il y a là ses deux filles – l’une en surpoids et amère, l’autre rivée à son téléphone -, sa mère – designer reconnue au ton cinglant -, sa soeur – universitaire psycho- rigide -, son ex devenue sa meilleure amie, sa femme autoritaire, et même sa très jeune maîtresse – invitée perfidement par l’épouse, Cristina, hôte de cette soirée. Alors que tout ce petit monde se livre au jeu de massacre feutré habituel et que le bar grillé est prêt, un sms laconique envoyé sur le téléphone de la doyenne vient brutalement plomber l’ambiance. C’est Vittorio. Il ne viendra pas. Ni ce soir, ni même le lendemain.  » Excusez-moi. J’ai besoin de prendre une année sabbatique loin de mon travail et de ma vie « , écrit-il sans autre explication.

Fugue ? Suicide ? Rapt crapuleux ? Tous les scénarios sont envisagés par la police, même si les proches ne croient pas un instant à l’hypothèse criminelle. Il faut dire que par le passé, Vittorio a déjà fait le coup, disparaissant pendant quelques semaines quand il avait mis enceinte Cristina mais pas encore quitté Ada. Que fuit-il cette fois-ci ? C’est la question qui préoccupe les convives durant les mois qui suivent, chacune se disputant le premier rôle dans la vie de Vittorio. Elles  » se le disputent comme des chiens avec une cuisse de poulet « , résumera le policier en charge de l’affaire.

Noeud de vipères

Pour disséquer au plus près leurs motivations et regrets, l’écrivaine Caterina Bonvicini se glisse dans la tête de ses protagonistes, avec des nuances subtiles allant du  » je  » subjectif pour certaines au  » tu  » qu’on s’adresse avec un peu de mépris en passant par le regard décalé d’une tierce personne, en l’occurrence une étudiante énamourée, dans le cas de la glaciale Francesca. Un dispositif narratif qui révèle la complexité des personnalités sous le vernis des étiquettes et qui met à nu les rapports parfois ambigus que toutes entretiennent avec l’astre disparu, souvent adulé, parfois instrumentalisé, qui prendra la parole dans un ultime chapitre virtuose. La plus incisive et lucide du gynécée étant Lucrezia, la mère, peu avare en piques, comme lorsqu’elle perce à jour son ex-belle-fille, Ada, écrivaine à succès elle aussi :  » Le narcissisme est une forme de manque d’assurance et elle manque d’assurance, contrairement aux apparences.  »

Les Femmes de, par Caterina Bonvicini, traduit de l'italien par Lise Caillat, Gallimard, 224 p.
Les Femmes de, par Caterina Bonvicini, traduit de l’italien par Lise Caillat, Gallimard, 224 p.

Si l’absence révèle en creux la place envahissante de l’homme dans ce milieu privilégié, elle libère aussi peu à peu les esprits du schéma patriarcal, en témoigne le rapprochement improbable entre Ada et Cristina. Comme si, sans objet de convoitise, la concurrence frénétique que se livrent les femmes se muait en sororité bienveillante. Ou la haine en pardon dans le cas de la fille aînée, délaissée par un père carriériste, bien plus prisonnier des conventions qu’on ne l’imagine. Au fond, Caterina Bonvicini invite à repenser les relations. Même si elle est bien consciente que certaines ont la vie dure. Camilla en fait d’ailleurs les frais, renvoyée à son milieu modeste après avoir vu s’évanouir ses rêves d’ascension sociale en même temps que son amant. Bref, une délicieuse comédie all’amatriciana.

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