© Colin Delfosse

Félonie en sous-sol

Luc Delfosse
Luc Delfosse Auteur, journaliste

– Président ! Président ! Où es-tu ? C’est Paul !

– Tais-toi, malheureux ! Je suis ici, sapristi ! Derrière le pilier…

Dans un bruit fangeux de succion, de canettes concassées et de seringues éclatées, le président s’avance dans la pénombre du parking désaffecté. Il allume une minuscule torche électrique qui fait danser des ombres sépulcrales sur une Saab désossée et les parois de béton couvertes de graffitis fanés et de champignons obscènes.

– Quelle insouciance, mon petit Paul. Tu as laissé ton téléphone dans la voiture ?

– Oui oui Elio mais…

Les murs des catacombes décuplent les couinements d’un concile de rats et l’agacement présidentiel.

– Tu es sûr que personne ne t’a suivi ?

– Sûr ! Mais tu ne m’empêcheras pas de penser que tous ces apprêts sont ridicules. Bref, j’ai fait comme tu me l’avais demandé : un taxi, un grand magasin à double sortie, le train jusqu’à Welkenraedt, une voiture de location, une boucle par Durbuy, Maffe, Sensenruth et Wavre…

– Wavre ! Ne me dis pas que tu es passé par Wavre !

– Au large, Elio ! Et tu sais bien que Charles est en mission au Congo…

– Avec Kubla ? Yerk, yerk, yerk… je plaisante, Paulo. Pardon, j’ai les nerfs à vif et le coeur qui saigne… Allora : Benoît, cosa ti ha detto ? Qu’est-ce qu’il a dit, hein ?

– Qu’il était d’accord, Elio.

– Allucinante ! De A à Z ?

– Sous réserve de notre package. Mais comme on s’en doutait, il a fait monter les enchères… Misère, on se les gèle…

– Tatatata ! Accouche !

Le ministre-président a un bref rictus de colère. Il se reprend :

– On s’est rencontrés dans cette clairière de la forêt d’Anlier. Reste cool ! Avec ce brouillard, une chatte aurait perdu ses petits. Je lui ai répété la teneur de notre premier entretien : s’il quittait brusquement la majorité pour s’allier avec  » d’autres « , nous saurions nous en souvenir.

– Il a encore hurlé ?

– Pour la forme ! Mais j’ai bien vu que Joëlle et Philippe l’avaient chauffé à blanc. On a bien fait de leur envoyer Laurette en éclaireuse. Bref, Benoît m’a fait jurer qu’en contrepartie, il aurait bien un vélo Eddy Merckx, une boucle du RER pour bébé Antoine, la fin du décret inscription, un souper avec Annie Cordy et tout le toutim ! Et bien sûr sa ville nouvelle. Mais…

– Mais ?

– Il exige qu’elle porte son nom !

– Quoi ! Lutgencity ?

– Un truc du genre… Dis Elio, franchement, ça craint ici. On sort ?

– Va devant, Paulo. Va devant…

Personnellement, j’ai la grande faiblesse de croire que la Grande Répudiation du PS par le CDH s’est orchestrée sur ce mode machiavélique. Enfin à peu près. Enfin qui sait ? Enfin peut-être. Ce qui est sûr, par contre, c’est que :

a) Benoît Lutgen, le Ganelon de Bastogne, offre étrangement, follement, suicidairement deux très longues années de cure de revalidation au PS de Di Rupo (ou de son successeur si, poussé vers la sortie, le président à vie venait à lâcher la bride avant les législatives de 2019).

b) Le CDH qui, comme les autres partis, porte soudain la  » citoyenneté  » au pinacle, vient tout simplement de réaliser un putsch démocratique en bonne et due forme au seul prétexte de nettoyer  » les écuries d’Augias  » où il a si complaisamment pataugé ces trente dernières années. Et les citoyens ? Bah on leur demandera comme d’hab’ leur avis. La prochaine fois.

Luc Delfosse

 » Le CDH vient tout simplement de réaliser un putsch démocratique en bonne et due forme « 

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