Rédacteur en chef adjoint du Vif/L'Express © DEBBY TERMONIA

Faut-il en faire toute une histoire ?

Au XXIe siècle, l’histoire peut-elle peser sur l’avenir d’une nation ? La polémique née des propos d’Emmanuel Macron sur la colonisation incline à l’accréditer. En dénonçant à Alger cet épisode de l’histoire de France comme  » un crime contre l’humanité « , le candidat de nulle part – mais bien là – à l’élection présidentielle a heurté de front cette droite qui avait voulu reconnaître, dans une loi de février 2005, le  » rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord « . Alinéa finalement abrogé. Une fois stigmatisé le premier couac de la campagne d’Emmanuel Macron – la notion de crime contre l’humanité, impose la volonté d’exterminer une population -, ses détracteurs ont rapidement suspecté dans sa sortie une conduite plutôt qu’un dérapage. Il n’aurait eu d’autre ambition que de séduire l’électorat de banlieue en désamour avec la gauche.

A l’heure de la surréaction des politiciens à l’actualité immédiate, le regard sur le passé national est donc encore un enjeu politique dans des Etats nostalgiques de leur ancienne puissance (France, Russie, Turquie…) mais pas seulement (cfr la Belgique et les affres pas éteintes de la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale). L’acuité du phénomène se jaugeant à l’aune de l’introspection menée par les dirigeants et la société, l’Hexagone y est plus sensible que d’autres pays. Sans doute Emmanuel Macron exagère-t-il à peine quand il assène que  » la France est aujourd’hui bloquée par les passions tristes de son histoire « .  » Vouloir expulser le mal de la communauté nationale et de notre histoire, c’est vouloir se travestir soi-même « , justifie-t-il au Figaro. Or, quand Macron veut peser le pour et le contre de l’héritage historique pour favoriser la réconciliation nationale, François Fillon dénonce une  » détestation de notre histoire  » qui contribue à renforcer la défiance d’une partie de la population (les jeunes des banlieues) à l’égard de l’Etat. A la droite, l’histoire heureuse ; à la gauche, l’histoire plurielle ? Emmanuel Macron  » impose la réalité  » dans la campagne, ose son conseiller ex-chiraquien Jean-Paul Delevoye dans une justification qui résonne comme un étonnant contre-pied à l’émergence du discours postvérité.

Les historiens, auxquels on ne demande que peu l’avis, sont a priori détachés de ces contingences politiques. Pourtant, en France à nouveau, 122 d’entre eux viennent de publier une Histoire mondiale de la France (Seuil) perçue comme une réponse au succès éditorial d’histrions (Eric Zemmour, Lorant Deutsch… ) qui, depuis quelques années, la présentent, eux, sous l’angle du  » roman national  » tant vanté par le président Nicolas Sarkozy et son conseiller de droite radicale de l’époque Patrick Buisson (et toujours directeur de la chaîne thématique Histoire du groupe TF1). L’ouvrage collectif, dirigé par Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, s’attache à intégrer dans la mémoire nationale les échecs internes et les influences extérieures. Imagine-t-on que la vulgarisation de l’histoire induise des visions ouverte ou rétrécie de la société ? C’est le cas en France.  » Les prophètes de malheur ne cherchent pas à avoir raison sur le passé ; ils cherchent à influencer l’avenir « , a asséné Patrick Boucheron lors d’une conférence à Bruxelles. Il est vrai qu’à entendre les appréciations récentes du terme  » bamboula  » – transformé en insulte raciste sous la colonisation (1) – jugé  » convenable  » pour un dirigeant syndical policier et  » presque affectueux  » pour un ancien magistrat chroniqueur radio, on se dit que les historiens-citoyens, et non les politiques, ont encore quelques fantasmes à démonter.

(1) Lire Maudits mots, la fabrique des insultes racistes, par Marie Treps, éd. TohuBohu, 327 p.

gérald papy

Les prophètes de malheur ne cherchent pas à avoir raison sur le passé ; ils cherchent à influencer l’avenir

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