Christs féminins, figures de saints aux traits africains, colliers à croix... Une panoplie d'objets hybrides, à mi-chemin entre le royaume Kongo et l'Europe, croisent les imaginaires. © © MUSÉE DU QUAI BRANLY/PHOTO : GAUTIER DEBLONDE

Fascinantes confluences

Même fermé au public, le coeur des collections du musée de Tervuren bat encore. La preuve à Paris, où l’institution objets de la troublante exposition Du Jourdain au Congo, en cours au musée du Quai Branly.

C’est sur la réplique d’une borne de pierre que s’ouvre Du Jourdain au Congo, une exposition petite mais qualitative ayant  » art et christianisme en Afrique centrale  » pour sous-titre. Surmonté d’une croix, ledit pilier est mythique. Il s’agit du Padrão, un terminus a quo marquant la rencontre entre deux mondes, la Couronne portugaise et le royaume de Kongo. A ne pas confondre avec l’actuel Congo, même si des convergences géographiques existent, l’aire Kongo se comprend comme un territoire allant du sud du Gabon au milieu de l’Angola et regroupant des peuples divers qui ont en commun des variantes d’une même langue (le kikongo). Planté en 1482 à l’embouchure du fleuve Congo, ce jalon marque le départ d’une aventure humaine, politique, économique et culturelle, pleine de bruit et de fureur. On le doit au navigateur portugais Diego Cão, parti explorer les côtes de l’Afrique à la demande du roi Jean II. Sans le savoir, cet aventurier a ouvert la voie à des échanges culturels qui ont bouleversé la face du monde.

Echanges culturels ou colonisation brutale ? Même si le fait colonial et les blessures qu’il a engendrées sont indéniables, la mise en contact de ces deux univers relève davantage de la confluence. Comme l’explique Stéphane Martin, président du musée du Quai Branly :  » Il en va de la rencontre des eaux comme de celle des cultures : des éléments s’y mêlent, fusionnent ou se rejettent, sous la poussée inexorable d’un cours aux directions incertaines.  » Nulle volonté d’édulcorer l’histoire dans l’usage de cette métaphore. Julien Volper, commissaire de l’exposition et conservateur au musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, le confirme. Pour lui, il s’agit de faire place aux nuances  » moins par mansuétude pour le colonialisme que pour éviter d’enfoncer une énième fois le cliché d’une culture africaine qui serait totalement passive « . En examinant l’influence de l’iconographie chrétienne sur l’art et la culture kongo, entre le XVe et le XXe siècle, l’exposition aborde des sables scientifiques complexes pénétrés de  » dynamiques profondes et rarement unilatérales opérant dans tout phénomène de métissage « .

Formidable hybridation

Pour donner à voir ce génie de l’hybridation, le musée du Quai Branly aligne 103 pièces – certaines sont inédites – aux contours cultuels. Grands crucifix, christs féminins, statuettes de saint Antoine, maternité inspirées du culte marial… L’oeil traque la créativité et la capacité de réappropriation des artistes de la région. Près de la moitié des objets proviennent du musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren dans le cadre des projets  » Pop-Up Museum  » qui sollicitent l’incroyable fonds de cette institution belge dont les portes ne rouvriront qu’en juin 2018. Ainsi de très beaux  » nkangi kidutu « , des crucifix remontant aux origines de l’évangélisation qui ont été adoptés par les chefs du royaume de Kongo. Vidées de leur contenu originel, ces croix ont évolué vers une autre symbolique, celle de la représentation du monde des vivants et de celui des défunts. C’est tout particulièrement vrai d’un exemplaire en laiton des XVIIe-XVIIIe siècles qui laisse apparaître deux personnages secondaires sur ses branches. Ailleurs, il est amusant de constater que, parfois, un motif chrétien se fond sans difficulté car la représentation fait écho à une symbolique kongo. On pense aux personnages aux mains jointes, comme on peut les découvrir sur certains couvercles, dont la gestuelle renvoie vers une signification de déférence à l’égard d’un ancien. Très présente également est la figure de saint Antoine, qui s’explique notamment par l’ancienne présence portugaise. Chéri à Lisbonne, ce saint a pris localement le nom de  » Toni malau « . Les variations kongo du personnage traversent les siècles et pointent, à travers le biais de l’iconographie portugaise, vers l’art flamand des XVe et XVIe siècles. Les exemples de ce type foisonnent au fil du parcours, touchant à une dimension plus profonde,  » spirituelle  » osons le mot, de l’humanité. Ils invitent à repenser les échanges culturels de manière plus éclairée à l’heure des crispations identitaires.

Du Jourdain au Congo, au musée du Quai Branly, à Paris, jusqu’au 2 avril prochain. www.branly.fr

PAR MICHEL VERLINDEN, À PARIS

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