Fantômes du passé

Français pur jus, écrivain multiple et fécond, aujourd’hui professeur de littérature à l’université californienne de Stanford après avoir traîné sa bosse dans des lieux improbables, Jean-Marie Apostolidès publie une refonte et une ample extension de L’Audience, un  » roman familial  » – largement autobiographique – paru en 2001 et truffé d’  » impressions nouvelles « , pour reprendre l’enseigne de l’éditeur belge qui l’accueille. En mars 1957, l’auteur, qui a 13 ans, assiste avec ses parents et un de ses frères à l’audience privée accordée à son père par Pie XII, à la demande de l’évêque de Troyes dont ce père, ancien Maurrassien et catholique flamboyant, est le médecin. C’est autour de cet événement que le livre s’est construit et restitue tout le passé familial depuis les grands-parents et en particulier Evangel, l’émigré grec parti de Smyrne en 1892. Fresque haute en couleur dont la plupart des acteurs – petits ou grands bourgeois – ont en commun une éducation dominée par un catholicisme étroit, dont les excès confinent à la paranoïa et à la superstition.

Bien qu’assez rebelle, l’enfant de 13 ans espère de l’audience papale une confirmation de la vocation qu’il croit avoir. Au cours du cérémonial rigide et pompeux, Pie XII se contentera de demander s’il travaille bien à l’école.  » En une seconde, je devinai qu’entre lui et les profs du lycée, il n’y avait guère de différence. (…) Il n’y avait pas d’espoir pour moi de ce côté ; dans cette boîte-là non plus on ne m’appellerait jamais sur l’estrade le jour de la distribution des prix.  » Si cette scène constitue le pivot de la mémoire, le livre est aussi le reflet de toute une époque, de ses usages, de sa pensée et de ses troubles à travers le vécu des ascendants et de l’auteur lui-même qui, chemin faisant, confronte à maintes reprises son regard d’aujourd’hui à ce passé qui l’a façonné. Il fourmille aussi de détails concrets qui jettent des éclairages insolites sur certains faits historiques. (Ainsi le texte aberrant et inédit de Benoist-Méchin après l’exécution de Brasillach.) Cela dit, contrairement à ce que l’on pourrait croire, L’Audience n’est pas un réquisitoire haineux ou partisan, mais une  » machine à remonter le temps  » dont l’auteur souhaite aussi au lecteur qu’elle l’aide  » à regarder face à face ses propres fantômes « .

L’Audience, par Jean-Marie Apostolidès. Les Impressions Nouvelles, 272 p.

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