Facultés Notre-Dame de la Paix Peur

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

En deux mois, un violeur a agressé six étudiantes aux environs du quartier universitaire de Namur. Un électrochoc pour cette communauté qui se croyait trop à l’abri.

Namur, boulevard Frère Orban. D’un côté, le campus universitaire et ses 6 000 étudiants. De l’autre, Salzinnes et ses rangées de  » kots « . Entre les deux coule la Sambre. Pour traverser la rivière, les piétons doivent emprunter une passerelle en béton large de 3,5 mètres et longue de 51 mètres. Un endroit inquiétant une fois la nuit tombée. Isolée, mal éclairée, la passerelle se jette vers un petit passage obscur. Celui-ci débouche heureusement très vite sur le quartier des logements estudiantins. C’est là, rue Henri Lemaître et avenue Reine Astrid, que le violeur a fondu coup sur coup sur ses deux premières proies. Quatre autres suivront. Bilan du 2 décembre au 30 janvier : trois tentatives avortées et trois viols  » techniques « .

Tout laisse penser qu’il s’agit du même auteur. Son stratagème ne varie guère : la nuit – jusqu’ici entre 22 et 5 heures du matin -, il suit une étudiante qui rentre seule et l’aborde sous un prétexte anodin. Soudain, il plaque la jeune fille contre un mur, l’empêche de crier et l’immobilise le temps de fouiller ses chairs de la main. Les agressions ont toutes été commises à Salzinnes, à l’exception d’une seule dans le centre de Namur, rue des Carmes. Les victimes décrivent un  » Black  » ou un métis âgé de 20 à 30 ans. Il mesurerait 1,80 mètre et serait de stature athlétique. Un costaud.

Aux Facultés Notre-Dame de la Paix, ces viols en série taraudent les esprits. Surtout chez les filles. En voici cinq aux mines enjouées qui dévalent la passerelle pour rejoindre le campus.  » On en parle tous les jours sans vraiment en parler, explique Charlotte, soudain plus grave. C’est présent. Certaines ne sortent plus du tout.  » Gaëlle :  » Se balader seule le soir, en tout cas, c’est fini. Je m’arrange pour me faire accompagner. « 

Dans cette ville moyenne réputée calme et bourgeoise, la criminalité marque bien plus les esprits qu’à Bruxelles ou à Liège. Il faut remonter à octobre 2010 pour retrouver un fait comparable autour des Facultés. Une étudiante irlandaise en Erasmus avait été battue et violée dans le parc Louise-Marie, de sinistre réputation. Mais, si sordide fût-elle, l’affaire avait moins traumatisé le campus que la récente série d’agressions sexuelles. Sans doute parce qu’il s’agissait d’un acte isolé et que son auteur, un étranger en séjour illégal, avait été rapidement pincé puis condamné à dix ans de prison.

Une heure et demie d’autodéfense

De l’autre côté de la Sambre, au Centre sportif universitaire, Vincent Leduc accueille un petit groupe de journalistes. Moniteur d’autodéfense, ce 6e dan de karaté et deux de ses collègues s’apprêtent à donner un cours gratuit aux jeunes filles qui le désirent. C’est lui qui a suggéré l’idée aux autorités académiques. Au programme, quelques techniques de base inspirées des arts martiaux, censées permettre de se dégager, de hurler un bon coup et de fuir en cas d’agression.  » Dans une heure et demie, les demoiselles qui vont sortir seront plus fortes et sauront se défendre « , garantit ce solide gaillard.

Il a dû refuser du monde. Dehors, sous la bruine, un groupe de filles ignorait qu’il fallait s’inscrire au préalable. Elles se demandent si une autre séance aura lieu. Leur discours à toutes trahit les mêmes angoisses.  » Certains cours de langues se terminent parfois à 20 heures, dit Marie. Il fait déjà noir… Quand on rentre de soirées, même si on est quatre, on demande à un garçon de nous accompagner. Ils le font, quitte à devoir effectuer un détour. « 

Dans la salle de gym, une quarantaine d’étudiantes déchaussées écoutent religieusement les instructions des trois moniteurs. Les caméras de télévision et les photographes les intimident un peu. Elles paraissent si jeunes, si fragiles. Elles exécutent les prises en riant, avec une maladresse touchante. Au balcon, des joueurs de minifoot attendent que la salle se libère. Les garçons, pour la plupart étudiants, observent ce  » combat de meufs  » d’un regard amusé. On ne peut s’empêcher de penser : et si le violeur était parmi eux ?

 » Parler de psychose serait exagéré, mais on sent une véritable inquiétude, nuance Vincent Gengler, directeur du secteur social des Facultés. On ne sait pas où ni quand il va frapper la prochaine fois.  » Un temps critiquées pour leur manque de communication, les autorités communales et la police multiplient depuis les mises en garde. La Ville a réparé l’éclairage défaillant de la passerelle. A chaque endroit clé du campus, des affichettes rappellent les consignes de prudence. Mais les étudiantes inscrites aux Facultés ne sont pas les seules à fréquenter le quartier.

Namur by night

Il est 20 heures passées, la nuit s’est abattue sur le campus. Çà et là, quelques bandes de jeunes hilares se rendent à une soirée du cercle d’informatique. Comme Amandine, Elise et Lise. Toutes trois sont inscrites à la Haute Ecole Albert Jacquard, distante d’un kilomètre. Mais elles logent à Salzinnes et doivent également traverser la passerelle pour rejoindre le centre-ville. Elles aussi ont changé leurs habitudes.  » Maintenant, on dort dans un même kot même si on habite près l’une de l’autre. On évite de faire ne serait-ce que 100 mètres à pied seules la nuit. « 

Au sous-sol de la faculté d’info, la fête bat son plein. Cave bondée, calottes, fumée, bière à foison. Il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin dans la cohue. Grâce à quelques  » comitards  » du cercle d’histoire rencontrés peu avant, des rafraîchissements arrivent enfin.  » Goûtez ça, on l’appelle la bière du viol « , plaisante l’un d’eux. La boisson fruitée passe comme une Kriek. Degré d’alcool : 8 %…  » On n’est pas inconscients, commente Pierre, l’un des historiens. Tout le monde boit, c’est normal, mais aucune étudiante ne repartira d’ici seule. Les agressions n’ont d’ailleurs pas eu lieu en période de guindaille, mais pendant le blocus. Les filles sortaient sûrement de fêtes privées ou de cafés. « 

Les principaux cafés estudiantins s’alignent rue de Bruxelles, devant les Facultés. Au Traffic, l’un d’eux, quelques tables à peine sont occupées.  » Depuis deux ou trois semaines, on n’a moins de monde, juge Bilje, le barman. Les filles ne viennent plus qu’à plusieurs et repartent parfois en taxi.  » Même discours à L’Alchimiste, un peu plus loin :  » J’avais besoin d’une étudiante pour tenir le bar : elle n’a accepté qu’à la condition que je la raccompagne chez elle après la fermeture « , témoigne Silan.  » Le gars n’est pas d’ici, tranche Eddy, un employé de boutique d’origine congolaise et client au comptoir. Namur, c’est un grand village. On le saurait vite si c’était un Black de la communauté. Mais il doit connaître le coin, sinon la brigade Delta (le groupe d’interventions spéciales de la police locale) l’aurait déjà pincé. Elle tourne beaucoup. C’est peut-être un ancien étudiant. « 

Au Petit Bitu, autre fleuron de la vie estudiantine namuroise, Mathieu Vanbel s’est ému d’une petite phrase du bourgmestre CDH Jacques Etienne :  » Conseiller aux étudiantes de ne pas rentrer bitues, cela revient à leur suggérer d’éviter les jupes. Je trouve ça un peu cavalier. Ce n’est pas de leur faute si elles se font attaquer.  » Pourtant, l’imposant gérant de bistrot voit plutôt d’un bon £il les changements d’habitudes qu’il constate depuis quelque temps.  » Cette série de viols a fait l’effet d’un électrochoc sur une communauté engourdie. A Namur, on évoluait un peu comme dans un cocon. On se disait qu’il ne pouvait rien nous arriver. Mais cela reste une ville. Les gens ont pris conscience qu’elle n’est pas si sûre qu’on le croyait. Les filles ne repartent plus seules. Elles ont un peu perdu de leur innocence. « 

Ettore Rizza

 » On évite de faire ne serait-ce que 100 mètres à pied seules la nuit « 

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