[EXTRAITS]

La monarchie attaquée

Créé en 1885, Le Peuple fait entendre une voix particulièrement dissonante dans le paysage médiatique que l’on connaissait jusqu’ici. Baudouin, comme sa famille, en fera souvent les frais. Au-delà de sa personne souvent tournée en dérision, c’est surtout ce qu’il représente – la continuité dynastique – qui sera dénigré. Chaque tentative du palais de présenter le jeune Prince sous le jour d’un héritier capable de succéder à son oncle se heurte à une critique systématique, souvent très acerbe. Dès que Baudouin entre en scène (catastrophe de Pâturages, fêtes de Bruges, visite à Couillet, manoeuvres de Roulers), la plume des éditorialistes s’emploie à minimiser la portée de ses actes par la moquerie ou la plaisanterie lourde. Le journal analyse chaque apparition de l’héritier sous un angle toujours dépréciatif. Lorsque Baudouin ne participe pas à la vie publique, ces charges récurrentes manquent d’inspiration et recourent alors à des rumeurs infondées afin d’entretenir le ressentiment antiroyaliste […].

L’  » immaturité  » du prince héritier

Pour désigner Baudouin, Le Peuple se réfère à un champ lexical très ciblé. Le registre des mots emprunte à la thématique de l’enfance, envisagée de manière péjorative, soulignant intentionnellement sa prétendue immaturité : le jouvenceau princier, le gosse, le marmot, le roi des écoles gardiennes, le prince-mioche, le prince Snotneus… Le Peuple ne manque aucune occasion de dénoncer ce qu’il considère – pas tout à fait à tort – comme une mise en scène du jeune homme :  » On pratique dans la famille royale l’art de cultiver la réclame. Le jeune prince Baudouin qu’on espère voir succéder à son oncle fait envoyer à peu près tous les deux jours des articles-réclames aux journaux. Hier, il est allé voir l’incendie de Hertogenwald, demain il va assister à une représentation flamande à Bruges, après-demain, il fera autre chose et ainsi de suite. Ce n’est pas Baudouin de Saxe-Cobourg ça, c’est Baudouin Géraudel.  » (NDLR : les pastilles du pharmacien Géraudel bénéficiaient à l’époque d’une immense publicité : affiches, cartes postales, poésies, chansons…).

Après le décès de Baudouin, les aberrantes et tenaces rumeurs souvent nourries par un sentiment antimonarchique primaire et répétées par des esprits crédules ou malintentionnés alimenteront une critique plus ciblée concernant la vie privée du Prince et sa fin prétendument scandaleuse. En réponse, parfois excessive elle aussi, à ces calomnies, d’aucuns vont s’attacher à faire de Baudouin rien moins qu’un héros, voire un saint […]. Après le décès de son neveu, le roi Léopold II ne reportera jamais sur Albert – qu’il qualifie parfois  » d’enveloppe fermée  » – l’affection qu’il avait pour Baudouin […].

 » Ah ! Si Baudouin avait vécu  »

Lors d’une rencontre avec sa soeur Henriette, durant un bref répit de la guerre de 1914-1918, dans le creux d’une dune à La Panne, Albert, taraudé par les incertitudes de sa position, lui déclarera :  » Ah ! Si Baudouin avait vécu, que notre vie eût été différente et plus heureuse ! Quelle force d’être deux au lieu d’un ! Il aurait fait tout mieux que moi ! » Le 21 juillet 1930, le Roi décide de baptiser, en hommage à son défunt frère, le régiment qu’il avait jadis commandé  » Régiment des Carabiniers Prince Baudouin « . Quelques mois plus tard, en qualité de parrain de son premier petit-fils, le roi Albert l’appellera Baudouin, établissant de la sorte un lien entre le jeune Prince et un grand-oncle qu’il n’a bien sûr pas connu, mais dont il porte le nom. Le roi Baudouin et le prince Baudouin partagent en réalité davantage qu’un prénom : tous deux sont d’une grande religiosité et tous deux voient leur destin s’infléchir à l’âge de vingt et un ans : l’un devient Roi, l’autre quitte la vie.

Le prince Baudouin, frère du Roi-Chevalier, par Damien Bilteryst, éditions Racine, 335 p.

Les intertitres sont de la rédaction.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire