Extension du territoire

D’Amsterdam à Pékin, le globe-trotteur Michel Houellebecq est accueilli comme une véritable vedette planétaire.

« Cette semaine sont tombés le Danemark, le Portugal, la Serbie et la Suède.  » Patricia Stansfield, responsable des droits étrangers chez Flammarion, signe à tour de bras les cessions de droits du dernier roman de Michel Houellebecq, en accord avec ce dernier et son agent, François Samuelson. 25, 26, 27à pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle offre se concrétise. C’est que, depuis 1998, Michel Houellebecq est entré dans le club très fermé (au coude à coude avec Anna Gavalda) des auteurs français traduits en plus de 30 langues. Même les Etats-Unis (le pays où seuls 3 % des livres publiés sont des traductions) ont payé leur écot, Houellebecq côtoyant dans le catalogue de la maison Knopf les superstars Salman Rushdie et Julian Barnes.

Alors, Goncourt ou pas, difficile de faire mieux ! En attendant, à la fin octobre, le montant des cessions s’élevait déjà à 1 million d’eurosà  » Ses éditeurs étrangers sont très fidèles « , explique Patricia Stansfield. Une fidélité qui s’explique aussi par les multiples voyages de l’ermite d’Irlande. Alors qu’on le croit reclus devant sa cheminée, Michel Houellebecq baguenaude entre la place Rouge et la muraille de Chine. Invité par toutes les ambassades, l’auteur de Lanzarote et d’Ennemis publics boucle volontiers son balluchon pour aller à la rencontre de ses lecteurs en hébreu ou en serbo-croate. Gros titres dans les journaux, plateaux de télévision, séances de lecture surbookéesà Dans chaque pays, le même scénario hollywoodien se reproduit pour accueillir  » le plus important écrivain français depuis Camus « , comme l’écrit sur son site Random House (lequel, cependant, orne de femmes dénudées toutes les couvertures de sa production houellebecquienne). Quintessence de l’esprit français pour les uns (scandaleux, caustique et cynique), écrivain universel pour les autres, Houellebecq, dont on loue la capacité à raconter le lent déclin du monde occidental, touche toutes les générations et tous les horizons. Zapping de quelques tribulations de Houellebecq le globe-trotteur.

Berlin ou la grande famille

Près de 200 000 exemplaires des Particules élémentaires vendus, quelque 80 000 pour La Possibilité d’une îleà  » Publié par Dumont, l’éditeur de Claude Simon, il est sans conteste l’auteur français le plus en vue ici « , souligne Tilman Krause, critique littéraire de Die Welt. La Süddeutsche Zeitung ayant publié un article sur La Carte et le territoire dès septembre, Uli Wittmann, le traducteur de Houellebecq, confie :  » Mon éditeur a voulu coller le plus possible à l’événement. Il m’a donné trois mois et demi cette fois-ci, quant à La Possibilité d’une île, il est sorti carrément une semaine avant l’édition française !  » Une célérité qui attise l’intérêt du public pour l’homme.  » J’ai accompagné Michel dans toutes ses tournées de lectures, raconte Uli. A Berlin, pour Les Particules, nous avions 400 personnes, puis pour les suivants, nous avons « joué » à guichets fermés dans toute l’Allemagne devant 800 personnes, qui, je vous le rappelle, paient pour venir dans ces Literatur-haus. J’ai été frappé par la jeunesse des auditeurs des Particules, des moins de 30 ans qui semblaient se retrouver dans le malaise exprimé par les personnages du roman.  » Bref, la presse et le public allemands ont pris dès le début très au sérieux Herr Houellebecq, qui se permet, lui, à l’occasion, quelques excentricités :  » Il lui est arrivé de venir sur les planches avec son chien sous la table ou de prendre en photo le public assis en face de lui « , se souvient, amusé, son traducteur.

Au large d’Amsterdam

Pas de pitreries aux Pays-Bas, loin de là.  » Il répond consciencieusement à toutes les questions des journalistes, même les plus stupides « , remarque Martin De Haan, autre traducteur fétiche de Houellebecq, qui a édité un recueil de tous ses essais et contributions.  » Même s’il ne se situe pas dans la tradition française du beau style, son écriture n’est pas plate, elle cogne, assure Martin De Haan, qui pronostique pour La Carte et le territoire, publié par De Arbeiderspers, une performance équivalente à celle des Particules – soit 100 000 exemplaires tout compris, un chiffre considérable eu égard au score moyen des succès éditoriaux (20 000 exemplaires) du pays.

Milan, amore mio

En Italie, on peut connaître Houellebecq, voire en parler, sans l’avoir lu. Sa venue prochaine, à la fin novembre, à Milan et son passage à l’émission phare du journaliste Fabio Fazio, Che tempo che fa, sur la RAI 3, devraient accentuer le phénomène. Reste que, tous titres confondus, Houellebecq a déjà vendu quelque 200 000 exemplaires dans la Botte. La publication, dès fin septembre, par Bompiani, de La Carte et le territoire a déclenché une avalanche d’articles, la plupart positifs, dans toute la presse transalpine : Elisabetta Rasy (Il Sole 24 Ore) évoque  » l’énergie tenace de cet explorateur anthropologue « , tandis qu’Il Foglio loue  » la peinture, palpitante d’ironie, féroce à la Flaubert, de l’idiotie du monde, de nos mythes de plastique et de nos rites les plus triviaux « .

Zagreb for ever

Drazen Katunaric est l’ardent éditeur de Michaux, de Char, d’Artaud, de Quignard et deà Houellebecq.  » J’ai tout publié de lui, ses romans, mais aussi ses essais, ses articles, sa poésie, confie le Croate. Evidemment, les ventes, de 2 000 à 4 000 exemplaires, sont à la mesure du marché de notre petit pays de 4 millions d’habitants.  » Pas une raison suffisante pour refuser l’invitation du directeur de Litteris, en 2006.  » Durant une semaine, de Zagreb à Split, il a répondu aux questions les plus dérangeantes de ses lecteurs – sa seule condition était de pouvoir fumer. Ici, le sexe est perçu comme une contestation de la société, or Houellebecq démontre le contraire, c’est ce côté iconoclaste qui passionne les gens.  » Ou les hérisse.

Moscou, rose de plaisir

Pour Houellebecq, dorénavant, tous les chemins mènent à Moscou. En 1999, il y est venu lire sa poésie ; en 2006, causer de La Possibilité d’une île, tout en visitant les bâtiments staliniens et les centres commerciaux ; et, en 2007, épaulé par son copain Beigbeder, chercher dans les boîtes branchées et les bars culte des financiers pour l’adaptation cinématographique de l’ouvrage susmentionné. Des passages concluants, tous ses romans, publiés par sa fidèle éditrice Varia Gornostaeva, ayant largement dépassé les 50 000 exemplaires. En 1999, racontent les témoins, l’immense salle du musée Polytechnique était pleine. C’était la première fois depuis quarante ans que la poésie attirait autant de monde. En 2006, la presse acclame l’arrivée de ce  » Français scandaleux et provocateur « , que l’on compare volontiers à Flaubert, Baudelaire ou Sade, et de son  » roman triomphal qui dénonce la société de consommation « . Seule la Pravda, qui le traite d’islamophobe, n’a pas succombé à son charme.

Tel-Aviv, le retour

Roselyne Déry, responsable du livre à l’Institut français, piaffe d’impatience.  » Normalement, Michel Houellebecq devrait venir en avril, lors de la publication par Babel de son dernier roman. L’engouement va grandissant ici, les jeunes générations se reconnaissent dans son authenticité, son individualisme. En cela il est universel.  » C’est dès 1994, avec Extension du domaine de la lutte, que l’éditeur israélien Sharon Rotbard est tombé sous le charme de cet écrivain,  » seul capable d’exprimer le désarroi de l’homme européen « .

Pékin tombe l’armure

 » Des auteurs comme cela, on en voudrait plus souvent.  » Quelques mois après la visite (Pékin, Wuhan, Hongkong) d’une semaine de Houellebecq, Elsa Misson, chargée du livre à l’ambassade de France, ne cache pas son plaisir.  » On avait axé sa venue sur sa poésie, traduite ici par le grand poète Shu Cai, cela lui a plu, il était adorable.  » Après Les Particules élémentaires – longtemps censuré par les autorités – en 2000 et La Possibilité d’une île, en 2007, La Carte et le territoire sera son troisième roman publié en Chine.  » Il devrait connaître un grand succès, pronostique Nicolas Idier, l’attaché culturel. Les lecteurs chinois sont sensibles à ses doutes, à ses errances. Et, peut-être aussi, tout comme celle de Robbe-Grillet, l’£uvre de Houellebecq agit-elle, à leurs yeux, comme un miroir de la situation de l’Occident. « 

MARIANNE PAYOT, avec Vanja Luksic (Italie) et Alla Chevelkina (Russie)

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