Exclusivement féminin

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Audace et plaisir. François Ozon nous comble avec 8 femmes, comédie subversive et musicale réunissant la plus belle distribution féminine du cinéma français

Du culot, François Ozon en a toujours eu, lui qui filma dès sa plus tendre jeunesse et tua – symboliquement ! – ses parents dans un court-métrage réalisé alors qu’il n’avait pas 15 ans. Particulièrement doué, ce cinéaste, volontiers provocateur, s’est d’abord montré inégal, faisant succéder un Sitcom trop facilement « épate-bourgeois » au fulgurant et dérangeant Regarde la mer, avant de rater carrément Les Amants criminels, mais de réussir joliment Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, d’après un texte de Fassbinder. Le grand tournant vint l’an dernier avec Sous le sable, une oeuvre profonde et bouleversante sur le deuil de l’être cher, révélant chez le garnement Ozon les premiers signes d’une maturité féconde. Ayant ramené dans ce dernier film Charlotte Rampling en pleine lumière, le jeune François devint en un instant la coqueluche des comédiennes françaises. « Cela tombait bien, sourit-il aujourd’hui, car j’avais justement le projet d’un film aux personnages uniquement féminins, avec un générique rêvé qui rassemblait les plus grandes… »

Le projet s’intitulait 8 femmes. Le générique rêvé réunissait – excusez du peu ! – Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Danielle Darrieux, Fanny Ardant et Virginie Ledoyen. Toutes acceptèrent le défi lancé par Ozon, et se lancèrent dans l’aventure d’un spectacle à nul autre pareil. 8 femmes est l’adaptation très libre d’une pièce des années 1960, signée Robert Thomas et qu’Alfred Hitchcock pensait porter à l’écran avant que la mort ne mette fin définitivement à sa filmographie. Au départ de ce whodunit (« Qui est le coupable? ») bien dans le style d’Agatha Christie, François Ozon a imaginé un film d’une diabolique astuce, mêlant les plaisirs du suspense en huis clos et de la comédie délirante, de la subversion ludique et de l’hommage ému aux actrices… et, à travers elles, aux femmes. C’est d’ailleurs en revoyant le merveilleux The Women ( Femmes), le film réalisé en 1939 par le cinéaste américain George Cukor, que le réalisateur français ressentit le désir d’un tel projet exclusivement féminin.

Nous sommes dans une maison de campagne. Un crime vient d’y être commis. L’unique mâle de la maisonnée est mort, poignardé dans le dos. Qui donc a commis ce meurtre, de son épouse (Catherine Deneuve), de ses filles (Virginie Ledoyen et Ludivine Sagnier), de sa belle-mère (Danielle Darrieux), de sa soeur (Fanny Ardant), de sa belle-soeur (Isabelle Huppert), de la bonne (Emmanuelle Béart) ou de la cuisinière (Firmine Richard)? La question ne trouvera réponse qu’au terme d’un formidable déballage où chacune se verra, tout à tour, contrainte de révéler ses secrets. Ces derniers sont souvent bien lourds et parfois pervers, mais leur découverte s’opère sur un mode joyeux. Si subversion il y a – et elle est inévitable dans un film d’Ozon -, elle sera cette fois totalement ludique. L’émotion n’en perd pas pour autant ses droits chez un cinéaste affirmant « rechercher cette vérité qui naît du comble de l’artifice ». Dans 8 femmes, elle surgit d’une rupture soudaine de la frontalité inhérente à la représentation quasi théâtrale par un resserrement de l’image sur un visage troublé. Elle se manifeste aussi lorsque chacun des personnages, à tour de rôle, se décide à exprimer ses sentiments à travers une chanson connue. Resnais avait eu cette astuce (inspirée du « musical » américain) dans On connaît la chanson, Ozon pousse la chose plus loin en faisant interpréter les airs par ses comédiennes, et en créant, par l’ordre et le choix des chansons, une progression dramatique aux effets finalement bouleversants.

Objet inclassable, authentique ovni cinématographique, 8 femmes glisse avec style sur le fil du rasoir, et aux risques encourus répond le plaisir fou d’une réussite à peu près totale. A la fois grand divertissement populaire et film d’auteur pointu, il nous tient sous son charme que des couleurs à la Douglas Sirk rendent plus vif encore.

Louis Danvers

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