Excès de zèle ?

Chaque année, quelque 9 600 nouveaux cancers de la prostate sont découverts en Belgique. La moitié d’entre eux sont opérés. C’est excessif.

Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez les hommes. Avant 50 ans, cette tumeur est rare, mais, l’âge avançant, on peut découvrir des cellules cancéreuses latentes chez la moitié des hommes de plus de 60 ans et chez trois quarts des hommes de plus de 85 ans. Mieux on cherche, plus on en découvre…

D’après les estimations, un cancer de la prostate sur trois est  » indolent  » : c’est le terme que les urologues utilisent pour signifier que le risque qu’il se généralise un jour est minime. Le Pr Bertrand Tombal, urologue aux cliniques universitaires Saint-Luc (UCL), précise :  » On sait aujourd’hui que le traitement du cancer de la prostate localisé n’améliore pas la survie quand il est pratiqué après 65 ans. Non pas parce qu’il n’est pas efficace, mais parce qu’il est superflu, étant donné que ce cancer se développe très lentement, et, dans une majorité des cas à cet âge, de manière non agressive.  » Au pire, des métastases potentiellement mortelles n’apparaîtront que dans un cas sur cinq après vingt ans… Mais la majorité des hommes concernés seront alors déjà décédés d’autres affections. Le diagnostic du cancer de la prostate étant en moyenne fixé à l’âge de 72 ans, une opération semble donc inutile dans bien des cas.

Pourtant, de très nombreux cancers se retrouvent sous le scalpel. Pourquoi ? Parce que le mot  » cancer  » fait toujours l’effet d’une bombe et que beaucoup d’hommes ne peuvent pas accepter de vivre avec l’idée qu’un cancer de la prostate sommeille en eux. Mais aussi, hélas, parce que beaucoup de médecins rechignent à admettre cette attitude attentiste qui consiste à laisser aller un cancer à bas bruit en se contentant de le surveiller.

Pourtant, quand on connaît les complications des traitements, qu’il s’agisse de la prostatectomie radicale – l’intervention la plus souvent pratiquée – ou de la radiothérapie, on s’attendrait à ce que ces messieurs hésitent davantage : environ 6 hommes sur 10 sont frappés d’impuissance sexuelle et 1 sur 20 souffre d’incontinence urinaire.

Mesurer l’agressivité

Le degré de malignité du cancer de la prostate est établi sur la base d’une biopsie, c’est-à-dire d’un prélèvement d’une petite partie des tissus de la prostate, qui est ensuite étudiée au microscope. A l’origine d’une biopsie, on trouve bien souvent une valeur anormalement haute du PSA ( lire l’encadré), laissant supposer l’existence d’un cancer. L’anatomopathologiste, qui étudie au microscope l’échantillon tissulaire, évalue les cellules cancéreuses selon leur degré de malignité et leur attribue un score, appelé le score de Gleason. Il va de 2 à 10, et le degré d’agressivité augmente selon l’importance du chiffre. Les cancers de la prostate agressifs (avec risque de métastases) ont un score de 7 ou plus. C’est donc l’anatomopathologiste qui tient en main le facteur décisif et non plus l’urologue traitant.

Lorsque du tissu de prostate est à nouveau mis sous le microscope après une ablation chirurgicale, dans 25 % des cas, le score réel est en effet plus élevé que ce qui avait été observé lors de la biopsie. En revanche, 10 % ont été estimés agressifs à tort. Bref, la biopsie de la prostate n’est pas l’outil de diagnostic idéal. Il faut donc trouver des moyens plus précis pour prédire l’agressivité d’un cancer.

Les résultats du programme européen ERSPC (European Randomized Screening Study on Prostate Cancer), qui a débuté en 1994 et se clôturera en 2010, seront sans doute à même d’apporter du neuf à ce sujet. Plus de 250 000 hommes originaires de 8 pays européens y sont impliqués. Les premiers résultats confirment notamment, que, sur plus de mille prostates opérées, 49 % se révèlent être des cancers indolents. Mais l’analyse plus approfondie des données de l’étude montre que les hommes opérés d’une telle tumeur non agressive présentaient une valeur de PSA inférieure à 10, un score de Gleason de maximum 6 et une densité de PSA (PSA par millilitre de tissu de prostate) inférieure à 0,20. La combinaison de ces trois éléments offre donc plus de certitudes en matière d’évaluation de l’agressivité du cancer et permet par conséquent de mieux établir qui doit être opéré et qui peut se contenter d’un suivi actif.

Et, quand on décide de ne pas opérer, que fait-on ? Non, on ne lâche pas le patient dans la nature en lui disant de penser à autre chose. Les cancers diagnostiqués indolents sont suivis selon ce que l’on appelle la procédure de  » surveillance active « . Une procédure qui, comme le souligne le Pr Tombal, doit être considérée comme un traitement à part entière. Elle consiste en une prise de sang pour mesurer le PSA tous les trois mois. Il faut savoir que la valeur du PSA augmente toujours légèrement avec l’âge et qu’une progression en légère hausse est donc normale. Si, par contre, la valeur  » décolle  » soudain de manière trop rapide, cela indique un réveil du cancer. On observe surtout le temps de doublement du taux de PSA. S’il double en moins de deux ans, c’est un signe que le cancer évolue et qu’une intervention est nécessaire. En revanche, si ce temps de doublement est supérieur à deux ans, continuer le suivi reste suffisant. Les observations ont montré que ce temps de doublement est en moyenne de plus de sept ans. Ces hommes échappent donc aux opérations, aux radiothérapies et à leurs redoutables complications.

Le dépistage : toujours utile…

Le dépistage précoce du cancer de la prostate a-t-il donc encore un sens ?  » Certainement, réagit le Pr Tombal. Mais la manière dont il est pratiqué a radicalement changé. On ne devrait plus effectuer d’analyse de PSA sans prévenir le patient que cela peut mener à découvrir des cancers qui ne seront pas traités. Autrefois, quand un homme de 50 ans se présentait chez son généraliste pour un check-up, on lui cochait quasi automatiquement la case PSA dans la demande de prise de sang. Aujourd’hui, nous insistons beaucoup dans la formation des médecins pour dire que ce test exige une discussion franche avec le patient sur les avantages et les limites de ce test, ainsi que sur l’attitude à adopter en cas de réponse positive. « 

La mesure du PSA ainsi encadrée permet en outre une certaine estimation du risque personnel de développer un cancer de la prostate. Le Pr Tombal poursuit :  » Des études longitudinales (qui suivent les individus pendant plusieurs années) ont montré que, quand la valeur du PSA à 50 ans est inférieure à 1, le risque d’avoir un cancer de la prostate est très faible et il n’est pas nécessaire de refaire de test pendant les cinq ans à venir. En revanche, celui dont le PSA est supérieur à 1 a tout avantage à se soumettre à un contrôle régulier. « 

… à condition d’être bien fait !

Malgré son prix abordable, le test PSA manque de spécificité et de sensibilité (faux positifs et faux négatifs), ce qui explique que le Centre fédéral d’expertise des soins de santé a estimé, en 2006, qu’il ne convenait pas pour les dépistages de masse (screenings) du cancer de la prostate dans de larges populations. Il n’existe pour le moment aucun test suffisamment fiable pour lancer de telles campagnes de dépistage à large échelle (1).

Le dépistage du cancer de la prostate reste donc pour le moment une affaire à discuter au cas par cas, entre le médecin et son patient. Certains continuent pourtant à pratiquer un dépistage  » sauvage « , en dépit de toute l’évidence scientifique et au mépris de toute éthique. Ainsi, en province de Liège, le bus Prostamobile continue à sillonner les routes, proposant aux hommes un  » dépistage  » basé sur ce test PSA insuffisant. Son instigateur, le député permanent Georges Pire, associe ainsi ostensiblement son image (sa photo est affichée dans le bus) à une pseudo-démarche de santé auprès d’un électorat masculin non informé…

1. Un test plus récent, basé sur le gène PCA3, est légèrement plus sensible que le PSA, mais est aussi beaucoup plus onéreux (environ 300 euros). Il n’est donc pas utilisable en screening de population, mais s’avère très utile pour affiner le diagnostic quand le résultat de la biopsie n’est pas clair.

Marleen Finoulst et Karin Rondia

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