Eva Joly à hauteur d’hommes

Après les journées d’été des écologistes, sa candidature à l’Elysée en 2012 est plus qu’une hypothèse. Portrait de l’ex-juge, devenue députée européenne, à travers ceux qu’elle a croisés.

I l y a quelques années, elle a acheté Ma Vie, l’autobiographie de Jane Fonda. En son temps, l’actrice américaine incarna, pour toute une génération de jeunes filles, la liberté d’une femme face à l’arrogance du pouvoir et de l’Etat. Mais Eva Joly n’a jamais terminé ce pavé : les confessions sentimentalo-romantiques de l’auteure, qui révèle avoir souffert et pleuré à cause des hommes, lui sont tombées des mains.  » Soudain, elle m’a ennuyée « , dira sa lectrice. Car si elle a déjà vécu mille vies, à 66 ans, Madame Joly est tout sauf une victime du machisme ordinaire : les hommes qu’elle a croisés, amis ou ennemis, c’est d’égale à égal qu’elle les a affrontés, ou qu’elle en a fait des amis. De Roland Dumas, l’ancien ministre tout-puissant de François Mitterrand, qu’elle surprit au saut du lit pour perquisitionner chez lui, à Daniel Cohn-Bendit, son allié au sein d’Europe Ecologie, en passant par son éditeur, Le Vif/L’Express vous ouvre la galerie des hommes d’Eva Joly.

Ses ennemis : Roland Dumas, Loïk Le Floch-Prigent, François Léotard, Bernard Tapie

Ceux-là, elle les a eus dans son bureau lorsqu’elle était juge d’instruction. Pas toujours en face-à-face : Léotard, qui doit répondre à cette époque du dépôt de plusieurs millions de francs en liquide au Luxembourg pour le compte de son parti, choisit de retourner son siège et de lui présenter son dos. Tandis qu’elle l’interroge, il se plonge ostensiblement dans un recueil de Saint-John Perseà

Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG d’Elf, affirme, lui, dans le livre d’entretiens qu’il a publié avec Eric Decouty ( Affaire Elf, affaire d’Etat, Le Cherche Midi) :  » Mme Joly a utilisé des méthodes inacceptables qui disaient en substance : « J’ai le droit pour moi, j’ai le pouvoir et tous les moyens sont bons pour arriver à mes fins. »  » Quant à Roland Dumas, il la traite carrément de  » folle  » :  » Il suffisait de la voir se regarder dans le miroir pour en être convaincu « , confiait-il encore récemment au Vif/L’Express  » Il n’y a jamais eu de miroir dans mon bureau, rétorque Eva Joly, M. Dumas est un menteur. Simplement, lui et Le Floch n’avaient l’habitude ni de rendre des comptes, ni de voir leurs actes jugés à l’aune des règles communes. Leur arrogance, leur mépris de la loi, leurs mensonges étaient proprement insupportables – ils étaient convaincus que je ne faisais pas le poids, que je n’irais pas au bout. Ils n’ont pas compris que je ne voulais pas mettre l’accent sur les défaillances des hommes, mais sur la mise en place d’un réseau de corruption ! En ce sens, Roland Dumas a raison : j’étais folle, parce que décidée à prouver qu’on pouvait avoir raison contre le pouvoir.  »

De ces années de plomb, Eva Joly conserve un souvenir amusé de Bernard Tapie :  » Il n’avait pas cette morgue des élites, mais une certaine gentillesse et une vraie intelligence. Il fallait juste lui montrer que vous n’aviez pas peur du rapport de force. « 

Son ex-mari : Pascal Joly

Elle l’évoque longuement dans La force qui nous manque, écrit en collaboration avec Judith Perrignon et publié aux Arènes en 2007. Elle raconte leur rencontre alors que, jeune fille au pair fraîchement débarquée de Norvège, elle est recrutée dans une famille bourgeoise du VIe arrondis-sement de Paris, les Joly. Elle parle de leur mariage malgré l’hostilité de la famille de son époux, de leurs années heureuses et des chemins qui s’écartent, le refuge qu’il trouve dans l’alcool, leur séparation, plus tard le suicide, en 2001. Eva Joly n’a pas oublié la manière dont Roland Dumas, en lui présentant ses condo-léances alors que l’information n’avait pas été rendue publique, tenta, selon elle, de la déstabiliser :  » Qu’il soit au courant, c’était l’expression même, à mes yeux, du non-respect des règles censées protéger la vie privée. Ses mots ont renforcé mon envie de me battre.  »

Son père et son fils

 » Après l’affaire Elf, j’ai quitté la France. Et j’ai vécu avec mon père les six dernières années de sa vie « , se souvient Eva Joly. Elle dit qu’elle aimerait mourir comme lui :  » Il a loué la plus belle cabine du ferry, il a mis ses souliers vernis pour aller dîner avec son amie, et il s’est effondré en revenant se coucher.  » De son fils Julien, architecte, elle parle comme de  » l’un des hommes de sa vie « , interrompt la conversation lorsque son nom s’affiche sur l’écran du téléphone :  » Pardon, c’est prioritaire !  » Elle tient toujours compte de l’avis de celui qu’elle définit comme  » un intellectuel « . Parce qu’il sait ses  » failles « , et qu’il a les mots pour la remettre dans  » le droit chemin  » Mais c’est sa fille qui l’a fait douter, au plus dur de l’affaire Elf, alors qu’elle-même vit entourée de gardes du corps :  » Pendant un moment, elle a été suivie. Heureusement que ça n’a pas continué, j’aurais pu tout arrêter. « 

Son éditeur : Laurent Beccaria

 » C’est l’une des rencontres qui ont influencé mon destin « , souligne Eva Joly. Lorsque Laurent Beccaria fonde sa propre maison d’édition, les Arènes, il veut convaincre la femme la plus médiatique de France de publier chez lui. Il lui offreà son éternelle reconnaissance, quand Lattès vient de lui proposer 1 million de francs pour revenir sur l’affaire Elf !  » Il a su trouver les mots, s’amuse-t-elle aujourd’hui. J’ai dit oui.  » Il est persuadé que les honneurs ne l’intéressent pas, ni l’argent :  » Elle a refusé des postes très très bien payés. Ce qu’elle aime, c’est l’exercice du pouvoir et les moyens qu’il donne, pas ses attributs.  » Et il la voit très bien mener une campagne présidentielle :  » Pour avoir dîné avec certains ministres, je peux vous dire qu’ils sont bien petits, à côté de cette femme qui rayonne comme un soleil. Quand j’entends qu’on s’interroge sur sa résistance à la pression, je ris : aucun politique n’a enduré ce qu’elle a enduré pendant l’affaire Elf, menaces de mort comprises. Elle est blindée. « 

Son  » mentor  » politique : Daniel Cohn-Bendit

Comme tout le monde, elle l’appelle  » Dany « , mais il n’est pas encore un ami d’Eva Joly :  » Nous n’avons pas le temps passé ensemble qui permet de dire de quelqu’un qu’il est votre ami, précise-t-elle. Mais, lorsque nous nous sommes parlé la première fois, c’était aussi simple que si nous nous étions quittés la veille !  » Cohn-Bendit, qui ne la connaît que depuis deux ans, a été étonné par l’intensité avec laquelle la députée européenne s’est prise au jeu de la politique. Et l’austérité glacée qu’elle peut afficher en public ne le dérange pas, au contraire :  » Elle a appris à être terrifiante quand elle était juge d’instruction, constate-t-il. Ce côté froid, ce regard dur, parfois, c’est elle, une femme arc-boutée sur ses valeurs. Son image incarne un combat – ce serait idiot de ne pas s’en servir. « 

A l’issue des journées d’été des écologistes, le weekend dernier à Nantes, Eva Joly lui a fait savoir qu’elle ne concevait pas sa future campagne pour la présidentielle sans lui. De quoi un peu apaiser les tensions apparues entre  » Dany  » et la patronne des Verts, Cécile Duflot.

élise karlin

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