Europe Ne pas rater le train

Le scrutin européen n’intéresse personne ? Un paradoxe, car le Parlement européen a de plus en plus de pouvoirs. Conseil : mieux vaut s’occuper de l’Europe avant qu’elle ne s’occupe de nous.

On ne tombe pas amoureux d’un marché unique « , avait coutume de dire l’ancien président de la Commission européenne Jacques Delors. Les eurosceptiques enchaînent : on ne tombe guère plus amoureux d’une grande machine technocratique lointaine et froide qui veut réguler nos vies et qui, de toute façon, peine à réunir ses 27 membres autour d’un même projet. D’autres ajouteront à ses tares la dérégulation sociale, son absence de stratégie face à la crise, les libertés rognées au nom de la guerre au terrorisme, ou encore la présence en son sein de nouveaux membres venus de l’Est plus enclins à commettre l’adultère avec les Etats-Unis qu’à rester dans le lit conjugal européen.

Est-ce la raison du taux d’abstention élevé – plus de 60 % – annoncé par les sondages sur le scrutin européen ? Du 4 au 7 juin, 375 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire les 736 eurodéputés (soit 47 de moins qu’actuellement) qui les représenteront pour cinq ans à Strasbourg et à Bruxelles. Mais le scepticisme gagne du terrain, alors même que l’Union européenne marque des points. L’euro n’a-t-il pas agi comme bouclier durant la crise ? De même, la protection des consommateurs ou la fixation de normes climatiques figurent au nombre des acquis. En fait, l’Europe est toujours plus présente dans nos vies. Le coût du SMS à l’étranger diminue ? C’est grâce à l’Europe. C’est aussi grâce à elle que les passagers aériens ont toujours plus de droits, que les jouets sont toujours plus sûrs, que la sécurité alimentaire est davantage assurée aujourd’hui…

Mais on continue d’ignorer l’Union, comme en témoigne le flop du questionnaire public lancé en vue de la présidence belge de l’UE (second semestre 2010) par le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Olivier Chastel (MR). Médiatiquement omniprésent lorsqu’il s’occupait de Charleroi, il est devenu un des membres les plus invisibles de l’actuel gouvernement Van Rompuy. A cause de sa fonction ? Or les Belges sont loin d’être des eurosceptiques. 54 % d’entre eux se déclarent intéressés ou très intéressés par les élections européennes, un chiffre supérieur à la moyenne européenne de 46 %. D’autre part, la Belgique ne compte pas de partis antieuropéens, si ce n’est le Vlaams Belang. Aux Pays-Bas, la CDA (démocrates-chrétiens) et le VVD (libéraux) s’avèrent bien plus critiques que le CDV et l’Open VLD.

Pourquoi un tel désamour ? Certes, le Parlement traite de sujets qui intéressent la vie quotidienne, mais ils restent très techniques. La faute en incombe aux Etats membres, qui refusent de lui déléguer des sujets sensibles comme la politique étrangère et de sécurité. Du coup, l’Europe rate les occasions de parler d’une seule voix, comme en témoigne son incapacité à peser dans le débat sur le Proche-Orient ou sa débandade lors de la conférence sur le racisme à Genève. Ce n’est pas tout.  » Les capitales se réfugient derrière l’Europe lorsque des réglementations s’avèrent impopulaires, mais n’hésitent pas à tirer la couverture à eux dans le cas contraire « , analyse Rob Heirbaut, journaliste à la VRT et auteur avec le professeur Hendrik Vos de Hoe Europa ons leven beïnvloedt (Comment l’Europe influence nos vies). Cela s’est vu en Belgique avec l’élargissement du congé parental, une importante mesure sociale, mais qui n’était que la transposition d’une directive européenne.

 » Dans les Etats membres, on parle rarement de dossiers européens aux réunions de partis « , poursuit Heirbaut, qui explique ainsi le manque de couverture médiatique sur le sujet. D’autre part, certaines formations utilisent le Parlement européen pour se débarrasser de  » gêneurs « , encourageant du coup le désintérêt des citoyens pour cette assemblée. Dommage collatéral : celle-ci souffre également d’un manque de suivi. Sur les neuf députés belges sortants, seuls trois seront quasi assurés de poursuivre l’aventure. Difficile dans ces conditions de peser sur l’institution. A l’inverse, ceux qui passent d’une législature à l’autre prennent de l’étoffe.  » Quand on connaît tout le monde dans une institution, on dispose de davantage de leviers pour peser sur elle « , explique l’eurodéputée socialiste Véronique De Keyser.

Heirbaut pointe aussi un processus de décision  » obscur et lent « .  » L’Europe est fondée sur le compromis, et le compromis, c’est efficace, mais sans doute pas sexy pour les médias « , assène-t-il. Sans compter que l’Europarlement a sa logique propre, et pas toujours limpide aux yeux des électeurs. Ainsi, la très controversée  » directive retour « , adoptée en juin 2008, fut votée sous pression de la droite, mais avait reçu l’aval de nombreux socialistes. On est loin du clivage classique majorité-opposition. Les affinités nationales contribuent tout autant à brouiller le jeu : ainsi, les Allemands (99 députés) font bloc lorsqu’il s’agit d’intérêts nationaux comme l’avenir de leur industrie automobile. Quant aux groupes politiques, ils ressemblent parfois à des auberges espagnoles. Ainsi, sous le sigle frappé d’un c£ur du Parti populaire européen (PPE, le plus grand groupe du Parlement européen), on retrouve le CDH, le CD&V et la N-VA, pas les meilleurs amis du monde lorsqu’il s’agit de régler les problèmes belgo-belges, mais aussi le Peuple de la liberté, nouveau nom de la formation de Silvio Berlusconi.

Il n’empêche : le poids politique du Parlement européen s’est accru au sein du  » triangle décisionnel  » avec le Conseil des ministres et de la Commission. En 1999, il avait poussé l’équipe de Jacques Santer à démissionner, suite aux discutables liens de travail noués entre la commissaire française Edith Cresson et un dentiste de ses amis. En 2004, le candidat italien Rocco Buttiglione avait été recalé de la commission Barroso, suite à des propos homophobes. Seul lui manque la désignation du président de la Commission européenne. En l’état actuel, c’est le Conseil européen, autrement dit les chefs d’Etat et de gouvernement, qui s’en charge. S’il entre en vigueur, le traité de Lisbonne changera la donne : il prévoit que le président devra être choisi  » en tenant compte des résultats des élections européennes « , puis entériné par le Parlement.

En fait, l’Europe est en manque de figures. Si le traité de Lisbonne est ratifié,  » on aura un président européen, et tout deviendra plus facile en termes d’image « , pronostique Willy Hélin, directeur de la représentation de la Commission européenne en Belgique. Ce président du Conseil européen (à ne pas confondre avec le président de la Commission) représentera les Etats membres. Il sera élu pour deux ans et demi. Le Parlement européen comptera alors 751 députés, et verra ses pouvoirs accrus. Un haut représentant pour la politique étrangère de l’UE, doté d’un véritable service diplomatique, entrera en fonctions. En attendant, Hélin suggère quelques idées pour faire de chaque citoyen un Européen fier de l’être :  » Est-il si difficile de proposer qu’aux Jeux olympiques les délégations défilent avec leur drapeau européen en plus du drapeau national ? Que chaque maillot d’athlète soit flanqué du drapeau étoilé ?  » Mais peut-on décréter une identité, voire une fierté européennes ?

François Janne d’Othée

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