Et pourtant les prix vont remonter.

La chute actuelle des cours est une bonne nouvelle pour les consommateurs. Mais demain ? Elle menace les investissements visant à exploiter d’autres gisements ou d’autres énergies. A la clé, le risque d’une nouvelle flambée.

Attention, danger ! La descente aux enfers des prix du brut, tombés sous la barre des 40 dollars le 24 février, pourrait bien être un cadeau empoisonné. Certes, les consommateurs se frottent les mains : les prix à la pompe se stabilisent et le remplissage de la cuve de fioul aura été moins douloureux cet hiver. Les économies engendrées par la baisse de la facture pétrolière avoisineraient 3 000 milliards de dollars dans le monde en année pleine. Mais cette bouffée d’oxygène salutaire est aussi un trompe-l’£il terrible.

De fait, les observateurs les plus lucides commencent, aujourd’hui, à crier au loup. Selon eux, la situation actuelle est lourde de menaces. Leur raisonnement est simple : si les Etats ne se donnent pas les moyens de développer la production, tout en régulant la consommation, l’offre de pétrole -plombée par le manque d’investissements – sera inférieure à la demande. Ce qui fera, de nouveau, flamber les prix du brut et fragilisera la reprise. Certains experts envisagent des cours de 100 à 150 dollars. Un retour pur et simple à juillet 2008, quand le baril avait atteint 147 dollars.

Tout était alors possible. Aucun projet n’était trop cher, des schistes bitumineux vénézuéliens au pétrole des fonds arctiques. Six mois après, l’effondrement des cours a fracassé les rêves. La menace sur les investissements était d’ailleurs au c£ur des réflexions du sommet pétrolier mondial, à Houston, du 9 au 13 février, sur le thème :  » Restaurer la confiance. Stratégies énergétiques pour une économie turbulente « . Jamais, depuis le début des années 1980, la demande n’a été si faible. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2009, elle devrait atteindre 85,3 millions de barils par jour, soit une chute de 1 million de barils par jour par rapport aux estimations antérieures. Et nul ne sait où s’arrêtera la descente.  » Personne ne peut dire quel sera le niveau de prix le plus bas « , commente Francis Perrin, directeur de la rédaction de Le Pétrole et le gaz arabes. Jean-François Hénin, ancien banquier et patron de Maurel & Prom, pronostique :  » Si la croissance américaine ne redonne pas très vite du grain à moudre aux Chinois, la consommation va encore plonger, et les prix avec. « 

Jusqu’à 25 % de la production en moins

La nouvelle Cassandre se nomme Fatih Birol. Ces derniers mois, l’économiste en chef de l’AIE a pris son bâton de pèlerin pour rencontrer gouvernements et patrons. D’après lui, il pourrait manquer jusqu’à 25 % de la production (environ 17 millions de barils par jour) si les compagnies n’investissaient pas 400 milliards de dollars par an jusqu’à ce que la demande reprenne. On imagine la fièvre des traders ! Birol est d’autant plus inquiet que la crise vient peser sur les capacités d’emprunt. Ainsi, les Brésiliens se demandent comment ils pourront financer le développement de leurs gisements les plus prometteurs, tous situés en offshore très profond.

Le  » Big Oil  » – comprenez les pétroliers de premier rang – n’est pas encore touché. ExxonMobil a réalisé en 2008 un bénéfice record (45,2 milliards de dollars), tout comme Shell (31,4 milliards). De quoi pouvoir grossir en achetant les compagnies moyennes les plus intéressantes. La situation au dernier trimestre s’est cependant considérablement dégradée. Bien sûr, les programmes déjà lancés ne sont pas menacés : ils coûteraient plus cher à stopper qu’à poursuivre. Mais Christophe de Margerie, directeur général de Total, a averti que le niveau des cours se traduirait par une baisse des investissements. Riches majors ou petits prospecteurs frappés au tiroir-caisse, tout le monde compte ses sous -aux dépenses en capital s’ajoutent les coûts de production et le poids des taxes – serre la vis à ses sous-traitants et redéfinit ses priorités.

Jean-François Hénin se souvient de la fin du mois de décembre 2008, quand, brusquement, le secteur avait replié la toile en dix jours. Résultat : en 2009, les investissements devraient diminuer de 20 à 25 %. Les pessimistes parlent, eux, du double. La mappemonde pétrolière est aujourd’hui truffée de programmes reportés à des temps meilleurs. Ainsi, le Canada a en partie gelé l’exploitation des sables bitumineux dans le nord de l’Alberta, tandis que le Nigeria s’inquiète pour la viabilité de sa future production offshore et que les Emirats arabes unis ralentissent l’exploitation de leurs nouveaux champs. Même la puissante Aramco, en Arabie saoudite, a mis en veilleuse trois de ses gisements d’avenir, dont l’énorme Manifa, susceptible de cracher 900 000 barils par jour.

Le coup de frein est d’autant plus inquiétant que certains pays pétroliers majeurs sont au taquet. La Russie, premier producteur mondial, doit faire face à l’épuisement de ses richesses et ses compagnies peinent à décrocher les financements qui leur permettraient de retrouver un nouveau souffle. De son côté, la Norvège, cinquième fournisseur mondial, a annoncé pour la neuvième fois de rang une baisse de ses livraisons (environ 10 %). D’une manière générale, il faut savoir que, sans des interventions techniques très coûteuses, le déclin naturel des réserves d’une zone est compris entre 5 et 11 % par an.  » Les compagnies, qui faisaient trois trous, peuvent décider de ne plus en faire que deux, mais cela se sentira « , explique un pétrolier.

Un frein financier pour l’éolien et le solaire

La situation ne semble pas meilleure sur le front des énergies de substitution, désormais trop chères à produire. Outre-Atlantique, l’industrie de l’éthanol à base de maïs est ravagée. Par ailleurs, la crise du crédit devrait également freiner le développement des énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire.

Le pire n’est jamais certain. Les préoccupations environnementales, jointes aux soucis d’indépendance énergétique, montent en puissance. Qu’on ne s’y trompe pas : même si les pétroliers relancent leurs investissements et que les Etats parviennent à peser sur la consommation, la reprise économique entraînera une remontée des cours du brut. L’IFP table ainsi, dans le meilleur des cas, sur 60 dollars par baril. Hors crise économique mondiale, l’époque du pétrole bon marché est révolue.

Georges Dupuy

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