Et pourquoi pas un livret B ?

226 milliards dorment sur nos livrets d’épargne. Ils pourraient utilement financer notre économie. Banques et politiques veulent changer la donne. Mais leurs visions divergent.

Malgré une rémunération des livrets d’épargne inférieure au taux de l’inflation, les sommes logées chez nous sur ce genre de comptes n’en finissent pas de battre des records : 226 milliards fin juin dernier, soit, toutes proportions gardées, l’équivalent des deux tiers du produit intérieur brut (PIB) ! Une manne que les groupes bancaires actifs à l’échelon transnational, pourraient être tentés d’utiliser afin  » d’irriguer  » leurs filiales étrangères en manque de capitaux frais. Comme ce fut le cas chez Dexia où, on s’en souvient, le  » bon argent  » des épargnants de l’ex-Crédit communal avait alimenté certains puits sans fond, avec les conséquences que l’on connaît.

Alors, quand la rumeur de l’existence de vases communicants entre Fortis Banque [NDLR : c’est toujours le nom officiel de la première banque du pays, BNP Paribas Fortis n’étant que la marque commerciale sous laquelle Fortis Banque – détenue à 75 % par BNP Paribas et à 25 % par l’Etat belge – continue à développer ses activités] et des filiales espagnoles et italiennes du groupe BNP s’est mise à circuler puis à enfler il y a peu, il n’en a évidemment pas fallu davantage pour faire dire à d’aucuns que la promesse du  » plus jamais ça !  » née des déboires rencontrés par la plupart de nos grandes banques (Fortis, Dexia, KBC) n’était qu’un v£u pieux et que le  » chassez le naturel, il revient au galop  » risquait de s’appliquer dans toute sa splendeur…

Nuances sémantiques et juridiques

Soyons de bon compte, la crise financière a bien entendu amené son lot de réformes au sein du secteur bancaire. Elles se traduisent par de nouvelles règles qui, le cas échéant, peuvent apparaître comme de réelles contraintes. Parmi celles-ci figure clairement la limitation prochaine des transferts intra-groupe à l’équivalent des fonds propres de l’entité prêteuse. Autrement dit, il ne sera bientôt plus possible aux banques de pouvoir  » transvaser  » ailleurs dans le groupe plus que l’équivalent des moyens amenés (le capital) et laissés (les bénéfices non distribués et assimilés) par les actionnaires. Dans le cas précis de Fortis Banque, puisque c’est à propos d’elle que la rumeur a couru, la direction de la banque, CEO en tête, a été quelque peu contrainte d’anticiper sa communication autour de son repositionnement stratégique au sein de la galaxie BNP Paribas.  » Notre projet consiste à élargir le périmètre géographique des activités pilotées à partir de Bruxelles depuis 2009 (trade finance, cash management, factoring, corporate & transaction banking Europe), explique-t-on chez Fortis Banque. Si le centre de compétences couvre actuellement le Benelux, l’Europe du Nord et centrale ainsi que la Turquie, à l’avenir, s’y ajouteraient également le reste de l’Europe (Allemagne, Espagne et Royaume-Uni), le Moyen-Orient et l’Afrique. Ce projet ne concerne cependant ni la France ni l’Italie, marchés domestiques du groupe BNP Paribas.  » Certes, Fortis Banque rassure non seulement en expliquant que l’épargne des Belges ne prendra pas la direction du sud mais aussi en promettant dans la foulée de booster la place de Bruxelles sur l’échiquier du groupe. Peu de communication cependant quant à la question du transfert des risques sous-jacents, un point qui n’a cependant pas échappé à la vigilance de la Banque nationale. Cette dernière a d’ailleurs d’ores et déjà signalé qu’elle  » pourrait s’opposer à une décision qu’elle estimerait aller à l’encontre d’une gestion saine et prudente de BNP Paribas Fortis Banque ou qui serait susceptible d’affecter de façon significative la stabilité du système financier « .

Un levier économique à mettre dans les mains du politique ?

Le repositionnement annoncé de Fortis Banque dans la galaxie du groupe BNP Paribas ne laisse pas non plus le monde politique indifférent. Si le ministre des Finances, Steven Vanackere (CD&V) a d’emblée rappelé que  » les groupes bancaires – y compris BNP Paribas – se doivent effectivement de réfléchir à mettre en place une « organisation optimale » « , le PS, par la voie de la députée fédérale Christiane Vienne, fait le constat que, derrière les discours un tantinet lénifiants, le monde bancaire est encore vraiment très loin de s’être assagi.  » Voyez encore le scandale du Libor, lance-t-elle [NDLR : entente de certaines banques pour manipuler le taux interbancaire proposé à Londres et auquel les banques se prêtent entre elles]. Et chez nous, quand 226 milliards dorment sur des livrets et que, dans le même temps, les PME éprouvent des difficultés à obtenir un crédit, il faut quand même avoir le courage de dire que quelque chose ne tourne pas très rond dans le système. Et c’est aussi le rôle du monde politique de prendre des initiatives et d’agir pour cela change !  » Par la voie d’une proposition de loi qui sera prochainement déposée, l’ambition affichée de cette députée hennuyère est en tout cas de voir transposée chez nous la formule du livret A français. Mais à la différence de ce qui se pratique outre-Quiévrain où, historiquement, ce type de compte est mis à contribution pour financer le logement social, l’objectif de Christiane Vienne serait de voir ce qu’elle appelle déjà le  » livret B  » financer les projets très terre à terre des citoyens, à commencer par la question des acquisitions et rénovations immobilières (prêts hypothécaires). Au-delà, c’est aussi le financement des exportations et les investissements (en ce compris dans l’innovation) des PME qui seraient également visés.  » Ce serait en quelque sorte instaurer le principe de l’épargne affectée « , explique-t-elle. Plus rapidement dit que réalisé, cependant. Mais qu’à cela ne tienne, Christiane Vienne se montre sereine par rapport à l’aboutissement de son projet :  » Bien évidemment que les « théologiens de la libre circulation des capitaux » m’attendent au tournant, mais qu’importe. Après tout, il me suffit de leur répondre que le fonctionnement du « livret A » français n’est pas remis en cause par qui que ce soit et qu’il fonctionne à peu près de la sorte depuis le XIXe siècle ! Au-delà, je pense aussi, et surtout, que les épargnants belges en ont marre de ne pas savoir ce qu’on fait réellement de leur argent. Et s’ils avaient effectivement le choix entre, d’une part, un livret classique et, d’autre part, un autre livret pour lequel ils auraient la certitude que leur épargne sert concrètement à irriguer l’économie réelle et si ce livret était assorti de certains avantages fiscaux, ça ne pourrait que fonctionner. « 

En tout cas, la proposition de loi de Christiane Vienne allant dans ce sens est en cours de finalisation au sein du groupe PS à la Chambre. Dans ce texte figureront aussi, texto, des dispositions obligeant les banques à démontrer à l’autorité de contrôle le respect de l’usage ad hoc des capitaux collectés via le  » livret B « .  » Il ne suffira pas de le dire, il faudra également le démontrer. Et tout excédent de sommes collectées par rapport aux remplois devra faire l’objet d’une mention distincte à l’actif du bilan de la banque « , prévient-elle. Une manière sobre aussi de dire que la volonté du PS n’est pas, au travers de cette proposition, de voir les banques acculées à devoir transférer ce genre d’excédents vers la Caisse des dépôts et consignations…

JEAN-MARC DAMRY; J.-M. D

Un livret B permettrait d’instaurer le principe de l’épargne affectée

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