Et maintenant… Valls

C’est parce que la défaite de la gauche aux municipales, d’une ampleur historique, menaçait le quinquennat tout entier que François Hollande change de Premier ministre. Moins de deux ans après son élection, le président français est déjà obligé d’abattre son joker.

C’est un joli jour, le 31 mars. On pourrait croire qu’il porte chance.  » C’est par le suffrage que je tire la force de mon engagement…  » Le 31 mars 2011, à Tulle, le vainqueur des élections cantonales en Corrèze se lançait à la conquête du pays. François Hollande a récemment profité de la visite d’un ami de longue date pour se laisser aller à une séquence nostalgie. Mais entrer à l’Elysée est une chose, réussir son quinquennat en est une autre. C’est un fichu jour, le 31 mars. Trois ans plus tard, c’est le temps du retour au réel, celui des décisions cruciales, lorsqu’il vient au lendemain d’un second tour d’élections municipales. A lire la Constitution française, on se dit qu’un président fait ce qu’il veut dès lors qu’il s’agit de choisir son Premier ministre. C’est faux. En 2005, Jacques Chirac entame le week-end avec en tête l’idée de promouvoir Michèle Alliot-Marie : le lundi, c’est Dominique de Villepin qui arrive à Matignon, après avoir exercé une pression d’une rare intensité sur le chef de l’Etat. En novembre 2010, Nicolas Sarkozy est décidé à remplacer François Fillon. Lequel organise la résistance et réussit à sauver sa tête.

François Hollande a toujours valorisé le choix du second Premier ministre. Si le premier d’entre eux naît de la campagne présidentielle, le second serait celui qui atteste la liberté totale du chef de l’Etat. Son savoir-faire. Et, last but not least, sa maîtrise du temps. La nomination de Laurent Fabius, succédant à Pierre Mauroy en 1984, fut certes une réussite, mais elle arrivait  » un peu tard « , selon le président. Mitterrand avait laissé passer quinze mois entre les municipales de 1983 et l’arrivée d’une nouvelle personnalité à Matignon ; François Hollande met vingt-quatre heures.

Pour François Hollande, le Premier ministre doit le suppléer davantage dans sa communication

Cela s’appelle un va-tout. Car François Hollande demeure convaincu qu’il ne faut que deux chefs de gouvernement dans un mandat,  » sauf accident « .  » Quand Mitterrand nomme, en 1991, Edith Cresson, c’est pour qu’elle reste jusqu’en 1993 « , remarquait-il la semaine dernière. Elle fut remerciée l’année suivante. Tout à sa réflexion institutionnelle, l’actuel chef de l’Etat français ajoute deux remarques. Il n’est pas vrai, selon lui, qu’il faille un Premier ministre pour conduire la campagne présidentielle : avec le quinquennat, c’est le président-candidat qui s’y colle, et personne d’autre. En revanche, pendant le mandat, le chef du gouvernement doit suppléer davantage le chef de l’Etat dans sa communication, pour que la parole de ce dernier regagne en hauteur et en solennité.  » Hollande, c’est Columbo sans imperméable, mais avec le casque, rappelle un parlementaire influent. Les gens ont tort de le prendre pour un con. Il voudra user Manuel Valls.  »

Celui-ci dirigea la communication du candidat Hollande en 2012, et cet aspect n’est pas pour rien dans sa promotion. Mais sa nomination émane-t-elle vraiment d’un président libre et souverain ? Le 28 mars, à quarante-huit heures du second tour des municipales, dans l’arrière-scène du Zénith, à Paris, celui qui est encore ministre de l’Intérieur sort de la loge de Patrick Bruel, entouré de gardes du corps :  » Si on ne change pas vite, la semaine prochaine, en profondeur, on risque la rupture définitive avec le pays. Il faut garder le même cap en changeant la musique. J’espère que je m’y connais en musique…  » Depuis 2012, il s’emploie en tout cas à faire entendre la sienne. Il est le ministre-qu’on-voit-même-pendant-les-vacances. Pendant les dernières fêtes de fin d’année, il fait monter la température en lançant l’offensive politico-judiciaire contre Dieudonné, au risque de s’abîmer dans les sondages.  » J’ai perdu à droite et tant mieux, assure-t-il. Il faut se normaliser un peu. Ce combat, je l’ai gagné, il peut être un marqueur.  »

Sans réseau au sein du PS, l’ancien prétendant à la primaire a profité de ses deux années au ministère de l’Intérieur pour bichonner les élus. Le 20 mars, il arpente l’Isère (est de la France). Sa tournée l’emmène à Bourgoin-Jallieu. Le candidat local, André Borne, lui montre le commissariat, en piteux état. Valls, grand prince, lui glisse en aparté :  » Si tu es élu, je te promets que tu auras un rendez-vous à Beauvau, courant avril, pour qu’on en parle. Je veux que cela aille vite.  » Que le nouveau commissariat soit inauguré avant la présidentielle.  » Comme cela, quand je repasserai dans le coin, on pourra dire : « Je suis venu, j’ai dit, j’ai fait. »  » Ces soucis de calendrier et de retombées lui seront épargnés : la commune, détenue par la gauche depuis 1971, a été conquise par la droite.

En novembre 2013, il s’approche déjà de Matignon, avant que François Hollande ne donne une ultime chance à Jean-Marc Ayrault. L’ancien maire d’Evry (Essonne, au sud de Paris) en tire de l’amertume et des enseignements. Désormais, il préparera son atterrissage. Il reçoit Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, deux hommes avec lesquels il pactise, mais aussi Stéphane Le Foll, Jean-Yves Le Drian – jusqu’à Cécile Duflot, le 25 mars. Il ne veut plus apparaître comme le méchant droitier. Le voici qui vante le rôle de l’Etat stratège sur le plan industriel et vitupère l’euro fort. Surtout, il donne des gages au chef de l’Etat, car il sait que celui-ci se méfie de son ambition.  » Au PS, Hollande le considérait comme un mollusque, rappelle un proche du président. Un élu sans colonne vertébrale idéologique, toujours dans la posture.  »

Pour la première fois depuis 1958, un chef de l’Etat change donc de Premier ministre après des élections municipales. François Hollande n’avait rien vu venir.  » On va souffrir dans l’est, mais l’ouest va tenir « , assurait-il en février. S’attendait-il à perdre le nord ? Plus de 150 communes gérées jusque-là par la gauche ne le sont plus. Même sa région, le Limousin, terre de gauche s’il en est, trébuche. A Limoges, il avait totalisé 64 % des voix le 6 mai 2012. Le 23 mars 2014, le maire sortant, Alain Rodet, perd 26 points par rapport aux municipales de 2008. Et le Front national, qui ne présentait pas de liste la dernière fois, grimpe tout de suite à 17 %. Cela a été plus chaud que prévu, mais ça n’empêchera pas de passer ? Pas du tout : une semaine plus tard, pour quelque 500 voix, la porcelaine se brise.

Le président aussi est un indécrottable optimiste. Après le premier tour, il misait sur une défaite honorable dans la sous-préfecture de sa chère Corrèze, Brive.  » Dans un contexte national porteur, le PS s’en sortait ; là, ce sera 53-47 « , prévoyait-il. C’est le problème des lunettes roses, elles déforment la réalité : le sortant socialiste a été écrasé, n’obtenant que 41 %, contre 59 % pour la liste UMP-UDI. Le vent du boulet frôle François Hollande. A Quimper, l’homme qui parle à l’oreille du président avait en fait perdu celle de ses concitoyens bretons : Bernard Poignant, qui dispose d’un bureau à l’Elysée parce qu’il est censé mieux que d’autres humer le terrain, perd sa bonne ville du Finistère, et avec un écart important.

Dans ce quinquennat désorienté, il incombe au président de redonner du sens, de créer du lien

Lorsque le naufrage les guette, les socialistes pensent d’abord à sauver leur peau. Marseille devait être la sardine cachant la défaite de la gauche ? Elle demeure plutôt fidèle à sa tradition de règlements de comptes. Humilié au premier tour, le candidat socialiste Patrick Mennucci lâche devant les caméras que Jean-Marc Ayrault est sur le départ. Aussitôt, il s’attire un SMS furibond du Nantais :  » Crois-tu vraiment que ce que tu as dit va te faire gagner une seule voix ?  » Le problème, c’est qu’asseoir sa propre autorité sur ses troupes n’a jamais été la forme de management privilégiée par François Hollande. Et l’empathie, pas vraiment son genre de beauté. Le 24 mars, il assiste à La Haye à un sommet sur la sécurité nucléaire. Sa tête est restée dans l’Hexagone, ses doigts aussi : certains candidats malheureux recevront jusqu’à 10 SMS du président en voyage.  » Il n’a pas beaucoup de mots pour réconforter « , soupire un battu.

Si seulement les mauvaises nouvelles venaient exclusivement de son camp… Il n’a pas échappé à François Hollande que le FN attire désormais un  » vote d’adhésion « . Il a également remarqué qu’en Seine-Saint-Denis (au nord-est de Paris) ou à Roubaix des listes communautaires s’étaient constituées. Et a entendu ces élus de terrain lui expliquer que l’électorat musulman, lui aussi, avait été effrayé par le surgissement à la Une de l’actualité de la  » théorie du genre « .

Le pays se délite, la gauche se démoralise et Bruxelles s’impatiente. Tout le monde n’a pas la chance d’être italien. Le 15 mars, pour son premier entretien bilatéral en Europe depuis qu’il préside le Conseil des ministres à Rome, Matteo Renzi est à l’Elysée. Et qu’annonce-t-il à François Hollande ? Certes, l’esprit et la lettre des traités européens devraient l’inciter à réduire encore les déficits budgétaires, mais puisque son pays est dans les clous, il les laissera filer jusqu’à 3 %.  » Il n’y a pas de tribunal pour les prédécesseurs, mais il y a un tribunal électoral pour l’actuel président « , maugrée François Hollande en constatant l’ampleur des déficits français. Dans ce contexte, il lui faut sauver le pacte de responsabilité, alpha et oméga de l’action hollandaise depuis le 31 décembre 2013, aujourd’hui dans la ligne de mire. Et réussir, enfin, à parler à cette houle grandissante des déçus du hollandisme, qui se désespèrent de constater des résultats tangibles. Un conseiller du chef de l’Etat a le sens de la formule :  » C’est comme quand vous attendez les pompiers, vous avez toujours l’impression que ça a duré un siècle, alors que vous avez attendu dix minutes.  » Mais, si on a appelé les pompiers, c’est bien qu’il y a le feu à la maison…

Au-delà, dans ce quinquennat ô combien désorienté, il incombe à François Hollande de redonner du sens, de recréer du lien, puisque, même dans le cadre d’une ville, ce lien s’est perdu – 14 villes seront dorénavant gérées par l’extrême droite. Lors de sa conférence de presse du 14 janvier, le socialiste s’était revendiqué  » patriote « .  » Qu’est-ce que cela veut dire, la France ?  » : un jour, il s’essaiera à la réponse, tentera de se faire le héraut d’une France ouverte, vantera  » la patrie au-delà de la nation « . Encore lui faut-il être crédible et audible. Rien ne sera possible avant les élections européennes du 25 mai. Après cette échéance, qui verra sans doute le Front national titiller les sommets dans certaines grandes régions – François Hollande s’attend ici ou là à des scores supérieurs à 25 % pour l’extrême droite -, les commémorations pour le 70e anniversaire du débarquement de Normandie donneront au président de la République l’occasion de prendre le micro. Et, par-là même, de la hauteur, loin de toute contingence électorale.

Par Eric Mandonnet et Marcelo Wesfreid; E. M. et M. W.

 » Si on ne change pas vite, on risque la rupture définitive avec le pays  » Manuel Valls, le 28 mars

Le pays se délite, la gauche se démoralise et Bruxelles s’impatiente

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