Dans son deuxième seul-en-scène, Roda Fawaz retrace le parcours de sa mère, Ahlam. © ZVONOCK

Et Dieu créa la femme…

Après le succès de On the Road… A, Prix de la Critique de la meilleure découverte en 2016, Roda Fawaz revient seul en scène pour retracer le parcours de sa mère, Ahlam, née en Guinée, élevant seule à Bruxelles quatre enfants et se rapprochant de plus en plus de Dieu en remplacement d’un mari absent. Dieu le père est une émouvante ode aux femmes.

Quand on arrive pour l’interview dans le petit local en plein zoning de Drogenbos, dans la salle que Zenel Laci (à la barre du succès Fritland, la saison dernière) a édifiée de ses mains, Roda Fawaz et Pietro Pizzuti sont en pleine discussion avec Carine Duarte, à propos des costumes de Dieu le père, le deuxième seul-en-scène de Roda créé prochainement au Théâtre de Poche (1). Et l’on comprend assez vite que, dans ces tenues, il sera question de mélanges. De mélange de cultures, mais aussi de genres. Des chaussures à talons sont notamment évoquées. Car dans Dieu le père, Roda Fawaz veut se dépasser. Il ne se contentera pas de resservir les plats qui ont fait le succès de On the Road… A, cartographie pleine d’humour de son identité multiple – né au Maroc de père libanais et de mère guinéenne, élevé d’abord en Guinée puis en Belgique, se faisant passer pour un Italien pour rentrer en boîte – qui le révélait il y a trois ans.  » Par respect pour le public, par respect pour moi « , dit-il.

On se demande aussi, à travers moi, c’est quoi, être un homme.

C’est pour cela que, pour le mettre en scène dans son propre texte, il a choisi Pietro Pizzuti, alors qu’ Eric De Staercke l’avait dirigé précédemment.  » Je me suis dit que c’était trop rapide de travailler à nouveau avec Eric, je n’aurais pas été capable d’offrir quelque chose de nouveau, confie Roda. Pietro fait partie des gens que j’admirais quand j’étais étudiant à l’IAD. En 2007, j’avais suivi son travail avec Angelo Bison sur Histoire d’un idiot de guerre ( NDLR : Pietro Pizzuti, connu pour son jeu baroque chez Philippe Sireuil, Christine Delmotte ou Ingrid von Wantoch Rekowski, s’est aussi distingué comme traducteur et metteur en scène ayant fait connaître en Belgique Ascanio Celestini, avec Fabbrica, Histoire d’un idiot de guerre et Pecora nera), Pietro m’avait fait des retours précis et qui m’avaient beaucoup touché sur On the Road… A. Et puis, Pietro me parlait avec un amour inconditionnel de ses parents, de son éducation, c’était tellement opposé à tout ce que j’avais vécu. Je lui ai parlé de mon envie d’écrire sur le rapprochement de ma mère avec Dieu. Il m’a donné un feu vert total.  »

C’était il y a à peu près deux ans. Pendant quelques semaines, Roda Fawaz s’isole en Crète, pour écrire. Dieu le père sort d’une traite, en sept jours, comme la durée de la Création divine. Roda l’envoie à Pietro, qui le lit immédiatement et appelle aussitôt son auteur pour lui dire de ne rien y changer. Les quelques retouches se feraient au plateau, dans le processus de mise en scène, que Pizzuti accepte d’endosser avec enthousiasme.  » Roda est un comédien humble et doué, explique-t-il. C’est important parce que c’est un métier d’humilité, d’apprentissage permanent. On sent tout de suite chez un comédien s’il y a une gourmandise. Chez lui, c’est l’évidence. Je sentais qu’il y avait un potentiel de dépassement, la possibilité de se transformer, de se mettre en danger. Roda a l’audace d’enfreindre les codes, de porter des talons, lui qui est si viril et costaud. Je voulais lui apporter un terrain de jeu différent de celui qu’il a fréquenté jusqu’à présent.  »

Adresses à Dieu

 » Au commencement, il y a « Ahlam ». C’est le prénom de ma mère. » Ainsi commence Dieu le père, qui, derrière son titre très masculin, est d’abord un portrait de femme. Un portrait rare, d’une de ces femmes qui n’ont guère la parole habituellement. Une femme née en Guinée, contrainte de quitter son pays pour suivre son mari, elle-même quittée et qui se retrouve, sans ressources, à puiser en elle-même la force d’élever ses quatre fils. Cette force, elle la trouvera aussi, de plus en plus et de plus en plus manifestement en Dieu.

 » Je suis parti de son parcours à elle parce qu’en sortant de On the Road… A, je ne voulais plus du tout parler de moi. Finalement, ça m’a rattrapé « , reconnaît Roda Fawaz, qui, depuis son premier seul-en-scène, s’est fait connaître du grand public grâce au rôle de Nassim dans la série belge Unité 42. Ne se sentant pas auteur à proprement parler, il puise la matière de son écriture dans ses propres souvenirs, en se laissant guider par ses sensations. Le déclic de l’écriture est venu à l’IAD, impulsé par l’écrivain belge Paul Emond, auteur notamment des pièces Convives, Le Sourire du diable et La Danse du fumiste.  » Ça a été une vraie révélation, se souvient Roda. Je me suis dit : en fait, je peux écrire ! Et puis, à l’école, j’avais vite compris en observant tous les élèves qui sortaient avant moi que personne ne m’attendrait à la sortie. Les acteurs sont en demande, en attente, et ça ne fait pas du tout partie de ma nature. Parallèlement à ça, je faisais beaucoup d’humour, de stand-up, mais j’avais la sensation que je n’exploitais pas toutes mes capacités, que le stand-up n’était pas assez riche pour que je puisse m’exprimer complètement. Donc j’ai écrit On the Road…A et j’ai pris confiance en l’écriture.  »

Jouant comme On the Road… A sur le comique de répétition, comblant les frustrations du passé en disant ce qu’il aurait voulu dire mais n’a finalement pas dit, Roda Fawaz se permet dans Dieu le père de s’adresser à Dieu, de l’interpeller, parfois avec colère, en s’interrogeant aussi sur son propre rapport à la religion et à la foi. Et ce Dieu, comme le suggère le titre, se confond régulièrement avec la figure du père, voire avec la société patriarcale tout entière.  » Prendre soin des femmes, ça, vous savez faire ! Les femmes c’est votre spécialité ! s’écrie le personnage de Roda. Ce que doit faire une femme, ce qu’elle doit porter, ses devoirs et obligations, ça oui, vous prenez le temps d’y penser mais quand il s’agit des enfants, il n’y a plus personne. Au commencement on donne la vie et après on disparaît !  »

Dieu le père est-il alors un spectacle féministe ?  » Je dirais que c’est un spectacle humain, rétorque Roda. Et puis, je ne sais pas ce que c’est le féminisme exactement, même si je vois l’idée évidemment… C’est une ode aux femmes, ça, c’est sûr. Mais on se demande aussi, à travers moi, c’est quoi être un homme. Comment le devient-on? Est-ce que ce n’est pas aussi en acceptant sa part de féminité ?  »  » C’est un spectacle qui est écrit par un fils sur cet événement majeur qu’est le rapport au sacré, complète Pietro Pizzuti. C’est un fils qui s’émeut, qui est très sensible à la manière dont le couple mère-père se transforme en couple mère-Dieu. Dieu le père, c’est la revanche que le fils prend pour dire ce qu’il pense à ce père.  » La suite sur scène.

(1) Dieu le père : au Théâtre de Poche, à Bruxelles, du 7 au 25 janvier ; la Vénerie, à Bruxelles, du 28 janvier au 2 février.

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