Eole retient son souffle

Veut-on vraiment des éoliennes en Wallonie? Un peu partout, les projets sortent des cartons. Pourtant, les embûches se multiplient. Enquête dans un secteur en pleine bourrasque

On dit des champignons qu’ils sortent de terre en une seule nuit. Toutes proportions gardées, les éoliennes semblent obéir, depuis quelques temps, à la même loi « naturelle ». Certes, la Wallonie ne compte actuellement que deux éoliennes dignes de ce nom: l’une à Saint-Vith (province de Liège) et l’autre à Perwez (province du Brabant wallon). Soit, au total, moins de 1,5 mégawatt de puissance dite « installée » (pour 30 en Flandre). Mais ce bilan famélique – rien que l’année dernière, l’Allemagne a installé 2 600 mégawatts éoliens! – ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir. Chaque mois apporte, en effet, son nouveau dossier sur la table des autorités.

Jugez-en: si tout va bien, une trentaine d’éoliennes devraient être prochainement installées à Denée (province de Namur), 12 à Arlon, 11 à Bastogne, 6 à Saint-Ode, 5 à Bütgenbach, 4 à La Roche et à Gembloux/Sombreffe, 3 à Celles, etc. Si on ajoute les localités où la procédure est moins avancée, par exemple parce qu’on y teste actuellement la qualité des vents, on trouve Gerpinnes, Hanzinelle, Louvain-la-Neuve, Somzée, Fernelmont, Hellezelle… A noter que les environs de Perwez, au bord de la E 411, pourraient bientôt voir leur unique éolienne – déjà visible depuis l’autoroute Bruxelles-Namur – rejointe par une vingtaine de nouveaux moulins. Les environs du bourg brabançon accueilleraient ainsi l’un des plus grands parcs éoliens belges, avec celui d’Electrabel/Electrawind près de Bruges.

Du vent, tout cela? Certainement pas. La Wallonie a pour objectif d’installer 200 mégawatts sur son territoire à l’horizon 2010, soit une bonne centaine d’éoliennes. Ambitieux ( lire l’encadré p.22), ce chiffre est inscrit en toutes lettres dans le « plan pour la maîtrise durable de l’énergie » de José Daras, le ministre de l’Energie (Ecolo). La filière est mûre, à la fois technologiquement et politiquement. On installe couramment, aujourd’hui, des machines dont la puissance atteint 1 à 2 mégawatts: il y a cinq ans à peine, c’était encore un rêve. Pour demain, on annonce des installations qui feront 3, 4, voire 5 mégawatts. A ce compte-là, les célèbres éoliennes du port de Zeebruges, bien connues des vacanciers, font figure d’antiquités. Au passage, on notera que de tels progrès technologiques pulvérisent les calculs de rentabilité, systématiquement dépassés par les nouvelles avancées. Quant à l’horizon politique, il est tout aussi clair: l’énergie éolienne ne produit pas de gaz à effet de serre, dont l’abondance croissante dans l’atmosphère accélère le réchauffement global du climat. Sous la pression de la réglementation européenne, 8 % de l’électricité produite en Wallonie, en 2010, devrait l’être à partir d’énergies renouvelables.

De là à croire que tout souffle pour le mieux dans le meilleur des mondes, il y a un pas. D’abord parce qu’à l’inverse de la Flandre la Wallonie est dépourvue d’une cartographie suffisamment sophistiquée pour indiquer les sites les plus propices à l’installation d’un parc à éoliennes. C’est qu’on n’érige pas de tels engins comme de vulgaires piquets dans un jardin! Il faut tenir compte du relief local, mais aussi de la proximité des habitations et des implantations humaines, des activités aéronautiques (civiles et militaires), de l’impact paysager et, surtout, des possibilités de raccordement au réseau électrique à haute tension. Bref, une série de critères qui, aujourd’hui, ne font pas encore l’objet de normes officielles. Michel Foret (MR), le ministre wallon de l’Environnement, devrait les publier prochainement. Mais, sur le terrain, certains opérateurs n’y croient plus, lassés d’entendre de vaines promesses.

Les grands et les petits

A l’Apere, l’Association pour la promotion des énergies renouvelables, on ne cache pas son inquiétude. « Plus on tarde, plus on favorise les entreprises étrangères et flamandes, estime Michel Huart. » Dame, malgré l’engouement apparent du moment, investir dans l’éolien équivaut encore, aujourd’hui, à se lancer dans une véritable aventure industrielle. L’obtention des permis relève du casse-tête administratif. De plus, le demandeur doit assumer des frais (« blocage » du terrain agricole pressenti, étude des vents, étude d’incidence, etc.) qui, en cas de décision finale négative, constituent une perte sèche. Seuls les opérateurs d’une taille respectable, comme Electrabel et les intercommunales (souvent associés), ont les reins suffisamment solides pour attendre le bon vouloir des autorités.

Pour couronner le tout, la libération des aides à l’investissement (15 % des montants engagés), pourtant prévues par la réglementation liée à l’expansion économique en Wallonie, nourrit actuellement des discussions d’apothicaire. Résultat: de petites entreprises dynamiques – celles-là mêmes dont la Wallonie se targue de promouvoir le développement – sont aujourd’hui découragées d’innover dans ce domaine. Or, si la valeur ajoutée d’un tel secteur est manifestement limitée pour l’économie du sud du pays (les constructeurs danois, espagnols et allemands occupent le marché depuis belle lurette!), à plus long terme, le vent pourrait tourner. Il reste, en matière d’expertise, des niches très spécialisées à occuper. Celles-ci pourraient faire florès dans les plantureux marchés à l’exportation qui s’ouvriront, à moyen terme, dans le cadre des mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto (un pays riche qui investit au Sud est en droit de limiter, ainsi, ses propres efforts de réduction des gaz à effet de serre).

L’autre évolution inquiétante du secteur réside dans la concurrence qui fait rage pour s’approprier les terrains favorables. Là où un certain fair-play jouait – jusqu’à présent – entre candidats producteurs d’énergie « verte », on assiste, aujourd’hui, aux premières manoeuvres et pressions exercées sur les agriculteurs, propriétaires des terrains intéressants: surenchères financières, « vols » de projets du concurrent, faux ultimatums, etc. Une certaine mentalité (qualifiée de « mégalo » ou « cowboy ») commence à émerger ici et là, en contradiction avec l’esprit très « participationniste » de certains opérateurs: pour ceux-ci, un dossier qui traîne un peu vaut mieux qu’un projet clé sur porte, façonné dans le secret d’un bureau d’études et imposé sans concertation avec les riverains et les cultivateurs. « L’éolien ne fonctionne que si les gens sont convaincus de ses bienfaits, explique Annabelle Jacquet, chargée par la Région wallonne de « faciliter » le développement d’Eole au sud du pays. Cela fait intrinsèquement partie de la philosophie d’implantation. » De fait, on a vu récemment certains industriels, associés aux communes, organiser des réunions publiques d’information de la population alors que la loi ne les y obligeait pas. Plutôt rare!

Un autre élément, d’un tout autre ordre, sera probablement décisif. A la fin de l’année, le mécanisme des « certificats verts » sera enfin opérationnel sur l’ensemble du territoire belge. Trop complexe pour être expliqué ici, cet outil de marché aura en tout cas l’énorme avantage de réduire l’incertitude financière liée aux investissements dans les énergies renouvelables. Il aura notamment pour effet de répartir, d’une façon plus équitable qu’autrefois, le surcoût du kilowattheure éolien. D’après José Daras, celui-ci coûtera, en moyenne, environ 0,00223 euro de plus que le kilowattheure nucléaire ou produit grâce au gaz. Le prix du vent, en quelque sorte. On saura, alors, de quel bois se chauffe vraiment le secteur éolien.

Philippe Lamotte

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