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Entre finesse et folie

Michel Piccoli aura marqué le meilleur cinéma européen d’une empreinte fascinante, de Godard à Buñuel en passant par Melville, Chabrol, Sautet, Demy, Ferreri et Carax.

A l’annonce de sa mort, tant d’images nous reviennent ! Tant de rôles marquants, tant d’interprétations majeures entre finesse absolue, demi-teinte subtile, comme chez un Claude Sautet qui le fit tourner quatre fois, et performances hallucinées dans les farces de Marco Ferreri ( La Grande Bouffe), de Claude Faraldo ( Themroc) ou de Jacques Rouffio ( Le Sucre). Michel Piccoli était un acteur stupéfiant, capable de la plus grande retenue comme d’une démesure sans limite. Sous l’une des deux calvities précoces les plus fameuses du cinéma français (l’autre étant bien sûr celle de Louis de Funès), une rare intelligence de jeu était à l’oeuvre. Tantôt bourgeois raffiné, tantôt clown hors norme, il aura inspiré les plus grands cinéastes, servi les maîtres du 7e art avec humilité mais aussi pris des risques avec de jeunes turbulents. Tout en manifestant sa fibre politique et son goût des empêcheurs de penser (et filmer) en rond. Il avait 94 ans et dit un jour :  » Nous sommes des loueurs de miroirs que nous offrons au public afin que ce dernier se contemple.  »

Nous sommes des loueurs de miroirs que nous offrons au public afin que ce dernier se contemple.

Son premier grand rôle fut, en 1963, celui du scénariste indécis, mari d’une femme sublime jouée par Brigitte Bardot, dans l’adaptation par Jean-Luc Godard du roman d’Alberto Moravia, Le Mépris. Michel Piccoli entra dans l’histoire du cinéma et la conscience du public avec ce chef-d’oeuvre absolu, tourné alors qu’il avait déjà 37 ans et… 42 films à son actif. On l’avait déjà vu chez Jean Renoir ( French Cancan), René Clair ( Les Grandes Manoeuvres) et Luis Buñuel ( La Mort en ce jardin), mais c’est dans Le Doulos, le polar noir admirable de Jean-Pierre Melville, qu’il a signé en 1962 sa première interprétation marquante en gangster sobrement inquiétant.

Fils de musiciens (un père violoniste, une mère pianiste), l’ex-élève du cours Simon aura pris son temps pour percer, tout comme ses contemporains Philippe Noiret, Jean Rochefort, Jean Carmet, Michel Bouquet et Jean-Pierre Marielle. Lesquels allaient, avec lui, devenir des piliers du cinéma français des années 1970 et 1980. Jacques Demy pour Les Demoiselles de Rochefort, Luis Buñuel pour Belle de jour, Marco Ferreri pour Dillinger est mort, suivirent d’assez près Godard. Piccoli allait encore tourner avec eux des films souvent importants tels Une Chambre en ville, Le Charme discret de la bourgeoisie, La Grande Bouffe. Puis il y eut Chabrol ( Les Noces rouges) et surtout Sautet, pour lequel il enchaîna merveilleusement Les Choses de la vie, Max et les ferrailleurs (peut-être son meilleur rôle), et Vincent, François, Paul et les autres.

L’époque était aux engagements et l’acteur, d’abord communiste puis socialiste, ne se priva pas d’exprimer les siens.  » Si l’on n’épouse pas les questions, les doutes et les délires de la société, pas la peine d’être acteur « , déclara un jour celui qui n’allait cesser de rejoindre des causes cinématographiques bousculant les codes, du Saut dans le vide de Marco Bellocchio au Mauvais sang de Leos Carax. On retiendra encore que son dernier rôle fut dans un film belge, Le Goût des myrtilles, de Thomas de Thier, voici sept ans. Un ultime tour de piste émouvant, où il avait trouvé plaisir et partage, deux éléments qu’il aimait placer très haut dans ses choix d’artiste.

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