Jean Hindriks (UCLouvain), économiste © JOS VERHOOGEN

« En Belgique, on préfère agir à la grosse louche »

Pour l’économiste de l’UCLouvain Jean Hindriks, on pourrait mieux utiliser nos banques de données pour davantage adapter, de manière générale, les politiques publiques aux besoins différents des ménages et des entreprises. L’appel est lancé.

Que pensez-vous de la proposition du Voka de moduler socialement l’indexation?

Jean Hindriks: Il faut reconnaître que l’inflation touche très différemment les bas revenus, soit le premier quartile (25%), que les hauts revenus. C’est lié à la flambée des prix de l’énergie qui pèse beaucoup plus lourdement sur le budget des premiers que des seconds. L’impact reste limité, pour le moment, parce qu’une majorité des ménages est protégée par des contrats fixes, mais ceux-ci arriveront à échéance dans le courant de cette année et alors, là, il y aura un risque réel d’explosion sociale de type « gilets jaunes » que nos gouvernants ne semblent pas capter.

On pourrait donc envisager un saut d’index pour les hauts revenus qui épargnerait les bas revenus?

C’est une possibilité. Théoriquement, il y a moins de sens à accorder une indexation aux revenus élevés moins touchés par la hausse des prix de l’énergie d’autant que la plupart sont partiellement immunisés grâce aux panneaux solaires, aux chaudières moins énergivores ou à une meilleure isolation de leur habitat que les bas revenus ne peuvent se payer. Maintenant, il y a d’autres moyens d’agir qu’un index différencié. Je pense notamment à la baisse de la TVA sur l’énergie.

Ne peut-on pas néanmoins débattre de l’indexation? Est-ce un tabou?

Il ne faut pas avoir peur d’en parler, selon moi. L’indexation coûte cher. Ne fût-ce qu’à l’Etat: rien que sur les pensions, une augmentation de 2% sur les cinquante-cinq milliards que cela coûte chaque année représente un milliard supplémentaire. Et c’est sans compter les salaires de la fonction publique et les allocations sociales qui bénéficient aussi de l’indexation. Pour les entreprises, c’est difficile aussi, en particulier pour celles qui sont sur la corde raide et qui sortent difficilement de la crise Covid.

Toutes les entreprises ne sont pas en difficulté, certaines s’en sortent même très bien…

Oui, raison pour laquelle il faudrait trouver des mécanismes intelligents pour cibler celles qui ont vraiment besoin d’aide, sans créer d’effet d’aubaine pour celles qui n’en ont pas besoin. L’indexation n’est sans doute pas aussi dramatique qu’on le dit, mais il y a de grandes différences entre entreprises, notamment entre celles à forte intensité de main-d’oeuvre et celles qui emploient peu de salariés. Malheureusement, en Belgique, pour les aides et les mesures publiques, on préfère agir à la grosse louche, plutôt que de les adapter aux différentes situations.

N’est-ce pas compliqué d’adapter les mesures selon les profils et les réalités?

Non! On a les moyens d’être plus efficaces en utilisant l’information dont on dispose. On connaît la consommation en énergie des entreprises. On sait celles qui sont intensives en main-d’oeuvre. On pourrait donc adapter les mesures d’aide énergétique ou l’indexation. L’information est le nouvel or noir. Les banques de données existent. Les algorithmes permettent de les exploiter. Pendant les confinements, l’Etat a versé des milliards d’aides, y compris à des ménages et des entreprises qui n’en avaient pas besoin. Tirons-en les leçons en arrêtant avec les mesures trop souvent uniformes.

Comment?

Je suis un grand partisan de l’ evidence-based policy, soit une politique basée sur des éléments objectifs, probants. Aux Etats-Unis, les autorités ont mis en place un Covid tracker pour mesurer l’influence du confinement sur les entreprises et les travailleurs afin de mieux cibler les aides. Chez nous, la Banque-Carrefour de la sécurité sociale est une mine d’or pour faire la même chose, pour évaluer tant l’impact de la flambée des prix de l’énergie sur les ménages que celui de l’indexation sur les entreprises. Je lance un appel à nos gouvernants pour qu’on exploite plus judicieusement nos fabuleuses banques de données. On n’a plus les moyens de déverser des milliards…

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