En Belgique, c’est surtout Cosa Nostra

L’ampleur du phénomène est modérée. Et les autres mafias italiennes sont moins représentées. La police fédérale surveille en collaboration avec Rome.

Il est parfois galvaudé. Mais le terme  » mafia  » recouvre une réalité précise qui a ses traditions, ses méthodes, ses familles ainsi que ses horreurs. Et, pour les puristes, le vocable couvre exclusivement quatre organisations italiennes : Cosa Nostra (originaire de Sicile), Camorra (région napolitaine), ‘Ndrangheta (Calabre) et Sacra Corona Unita (Pouilles). Certes, la Stidda, apparue dans la seconde moitié des années 1980, concurrence parfois Cosa Nostra sur  » ses  » terres. Mais, selon les analystes, la Stidda ne constituait au départ qu’un agrégat de mafiosi ayant refusé l’ordre totalitaire de Cosa Nostra et bien moins centralisé que celle-ci. Pour dangereuse qu’elle soit, sa violente influence serait désormais limitée au Sud sicilien.

Bref, si la Belgique connaît ou a connu ses  » mafias  » des hormones, du beurre, de la construction ainsi que quelques autres, c’est par effet d’un glissement sémantique qu’on les a ainsi nommées.  » Certains entrepre-neurs du secteur de la construction ont été associés à la Mafia. Mais si le phénomène des négriers impliquait des ressortissants italiens et si leurs méthodes, qui allaient de l’intimidation à la corruption en passant par le meurtre, ressemblaient à celles de la Mafia, les enquêtes n’ont jamais montré de lien structurel avec aucune des vraies mafias italiennes « , explique au Vif/L’Express un des spécialistes de la police fédérale. Car il ne faut pas se leurrer : la Mafia est présente en Belgique comme ailleurs et ladite police fédérale tient donc le problème à l’£il.

Un policier raconte

Pas plus tard que le 5 août dernier, le ministre de l’Intérieur italien, Roberto Maroni, annonçait du reste qu’une figure importante de la Camorra venait d’être arrêtée à Bruxelles. Vittorio Pirozzi, âgé de 58 ans et condamné en 2003 dans son pays à quinze ans de prison pour trafic de drogue, était depuis lors en fuite. En 2008, il s’était réfugié dans un discret appartement de Schaerbeek, y menant une vie apparemment tranquille. Autre exemple, fin juin 2009. A la demande de Francesco Testa, procureur adjoint de Catane, Gaëtano Urso, âgé de 28 ans, était interpellé à Charleroi. Pour un trafic de plus de 30 kilos de cocaïne, venue de Hollande et à destination de l’Italie. On pourrait, à ce jeu, remonter jusqu’au années 1990, avec une vague plus importante d’arrestations en Belgique. Certains mafieux avaient fui leur sol par crainte des représailles judiciaires après le double assassinat, par Cosa Nostra, des juges d’instruction italiens Giovanni Falcone et Paolo Borsellino (22 mai et 19 juin 1992).

Cependant, notre pays n’est pas celui qui souffre le plus de l’activité mafieuse.  » La Belgique leur sert de pays de transit plus qu’autre chose. C’est surtout dans le domaine du trafic international de stupéfiants que les quatre mafias sont impliquées, majoritairement dans la cocaïne et un peu dans les drogues synthétiques.  » Avec quelle évolution ?  » Il est difficile d’estimer si leurs activités criminelles sont en hausse ou pas. Il ne faut pas oublier que, par nature, la criminalité organisée tend à camoufler au maximum ses activités… Elles restent en tout cas présentes et apparaissent de temps en temps de manière plus visible. « 

Quelques dizaines en Belgique

Quant aux recherches et enquêtes, elles démarrent  » souvent sur demande italienne. Palerme, Catane, Agrigente, Naples et les autres sollicitent la Belgique pour exécuter certains devoirs de localisation, d’arrestation ou d’audition « , poursuit ce policier.  » Il est rare que des enquêtes soient initiées en Belgique même. Néanmoins, la récolte des informations sur la criminalité organisée en Belgique montre depuis quinze ans que les ressortissants italiens occupent régulièrement le top 5 des nationalités représentées. Mais tous les truands italiens ne sont pas membres de la Mafia. « 

Comment cette collaboration est-elle organisée ?  » La plupart des informations proviennent des autorités italiennes. Les échanges se font via Interpol et Europol mais également par le biais de notre officier de liaison à Rome, qui ne traite cependant pas que les dossiers  » Mafia « . La collaboration est bonne et nous avons remarqué que la qualité des infos provenant d’Italie s’est fortement améliorée depuis le recours aux « pentiti » (les repentis). Il faut aussi savoir que cette collaboration ne se limite pas à l’Italie. Elle implique souvent l’Allemagne et, dans une moindre mesure, les Pays-Bas. Enfin, cette collaboration contribue grandement à l’amélioration de notre propre connaissance du phénomène. « 

La Belgique est-elle terre de blanchiment d’argent sale, comme cela se fait par exemple via une  » pizzeria connection  » en Allemagne ?  » Il est difficile d’estimer la chose « , répond notre policier.  » Les statistiques disponibles ne font pas la distinction entre les quatre mafias italiennes et les autres organisations criminelles. Mais je le répète, les enquêtes s’orientent surtout vers les stupéfiants, pas tant le blanchiment d’argent. J’en profite pour corriger une erreur répandue. Si les activités financières de la Mafia sont souvent présentées en Belgique comme des investissements immobiliers, c’est sur la base d’informations erronées en provenance de sources ouvertes italiennes.  » Certes, même si certains restaurants de Charleroi, de Liège et d’ailleurs…

Et qu’en est-il des  » clans  » dans notre pays ? Tous y sont-ils actifs ?  » Cosa Nostra est la plus présente. Nous savons qu’il s’agit particulièrement de familles originaires des régions de Caltanissetta et d’Agrigente. Actuellement, nous avons connaissance de la présence de quelques dizaines de mafieux en Belgique. Ces personnes connues conservent toutes un lien avec une  » cosca  » [NDLR : une  » famille « ] ancrée dans leur pays. On n’a jamais détecté ici de famille opérant indépendamment de l’Italie. Quant aux rares dossiers où la ‘Ndrangheta est impliquée, les relations familiales se situent surtout dans la région de San Luca. « 

Pas de peur, mais…

Les policiers belges sont-ils confrontés aux méthodes mafieuses classiques, entre tentative de corruption et intimidation, voire pire ? Avez-vous peur ?  » D’une manière générale, lutter contre les organisations criminelles nécessite bien sûr de prendre des précautions [NDLR : ainsi le nom du policier répondant à nos questions ne nous sera-t-il jamais dit]. Mais pour être honnête, si les statistiques disponibles montrent que les organisations criminelles en général n’hésitent pas à recourir à des contre-stratégies telles que la menace, la corruption, les coups et blessures, voire le meurtre, on ne constate pas ce genre de chose de la part de la Mafia contre des policiers.  » Du moins en 2010. Car la sortie, en octobre 1997, du rapport annuel du ministère de la Justice intitulé  » Crime organisé 1996  » avait engendré un tollé. On y lisait que  » des bureaux de détectives privés offrent leurs services au milieu [NDLR : les organisations criminelles, dont la Mafia italienne] pour effectuer une contre-observation de services policiers et judiciaires « . La preuve que, s’il y a un  » mieux « , la rigueur reste de mise.

ROLAND PLANCHAR

 » La Belgique sert de pays de transit plus qu’autre chose « 

s’il y a un  » mieux « , la rigueur reste de mise

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