En attendant le référendum

Les habitants de l’île verte ont entre leurs mains l’avenir du traité de Lisbonne. La récession fera-t-elle, cette fois, gagner le oui ou provoquera-t-elle un nouveau rejet ?

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

Je ne démissionnerai pas si le non l’emporte.  » Le Taoiseach (Premier ministre irlandais) Brian Cowen ne veut surtout pas faire du prochain référendum sur la ratification du traité de Lisbonne un enjeu personnel. Car, à deux mois de la consultation, fixée au 2 octobre, plus qu’un autre, il est conscient de l’incertitude du résultat. Certes, les sondages enregistrent une avance confortable du oui, mais c’est ce qu’ils prédisaient aussi, l’an dernier, avant le vote du 12 juin, qui s’était finalement soldé par un rejet net du texte (53,4 % contre 46,6 %).

Contraint par la Constitution à passer par l’épreuve référendaire, le gouvernement de Dublin tente d’esquisser une stratégie gagnante. Cowen avait été critiqué par ses homologues européens, déconcertés par la timidité de son engagement, au printemps 2008.  » Cette fois, promet-il, nous ferons une meilleure campagne.  » Les circonstances sont, il est vrai, favorables. Afin de désamorcer les oppositions nationalistes, Dublin a arraché aux autres Européens des  » clarifications  » sur le traité. Maintien de ses choix – restrictifs – en matière de droit à l’avortement, neutralité militaire, confirmation du statu quo fiscal – en clair, préservation du taux limité à 12,5 % pour l’impôt sur les sociétés : des  » garanties légales  » ont été données et des  » déclarations « , actées. En outre, l’Irlande a obtenu que chaque Etat membre décroche un commissaire à Bruxelles – ce qui n’était pas prévu dans le traité.  » Votez non et sauvez le commissaire irlandais !  » : l’affiche, l’an dernier, avait marqué les esprits. Le camp du oui a sa riposte toute prête :  » Votez oui et nous aurons un commissaire irlandais ! « 

Des baisses de salaire record

 » Les Irlandais sont un des peuples dont l’identification nationale est la plus forte et en même temps un des plus attachés à l’idée européenne « , explique Micheal Martin, ministre des Affaires étrangères. Pour le dire plus brutalement, tant que l’Europe paie, l’Europe reste une bonne affaire. Dans une période d’incertitude financière et économique, c’est un puissant argument. Car une bourrasque s’est abattue sur l’île. L’Etat a dû nationaliser en catastrophe l’Anglo Irish Bank et injecter quelques milliards d’euros dans les trois autres grandes banques du pays. La dette nationale nette devrait grimper jusqu’à 120 % du PIB d’ici à 2014. Après avoir chuté de 8,6 % en 2009, selon l’estimation de la banque centrale, le PIB par habitant prévu pour 2010 sera ramené au niveau de celui de… 2002. Habituée depuis quinze ans au plein-emploi, grâce à sa forte croissance (7 % par an en moyenne), l’Irlande redécouvre le chômage de masse : son taux pourrait s’élever à 17 % à la fin de l’année prochaine. Dans la tempête, d’une ampleur inégalée en Europe occidentale, le gouvernement a mis en place une politique d’austérité. A quatre reprises en dix-huit mois, les dépenses publiques ont été revues à la baisse, et les impôts, relevés. Les traitements des fonctionnaires ont été diminués, en moyenne de 7 %, en février. Les membres du gouvernement ont donné l’exemple en réduisant les leurs de 10 %. Face à la nécessité de rétablir sa compétitivité, l’économie irlandaise a prouvé sa flexibilité : l’indice des prix à la consommation est en chute rapide. Tout comme les salaires : on attend, au total, qu’ils diminuent de 3 % cette année et de 1,6 % en 2010 :  » Aucun autre pays développé n’aura vu ses salaires autant baisser « , pronostique John Fitz Gerald, chercheur à l’Economic and Social Research Institute.

Quel impact aura la récession sur le résultat du référendum ?  » L’inquiétude suscitée par la crise milite en faveur du oui, soutient le ministre des Finances, Brian Lenihan. En économie, le plus important est impalpable : c’est la confiance. Si l’on veut la conserver chez nos voisins, qui sont nos principaux clients, mieux vaut apparaître comme un partenaire enthousiaste de la construction européenne.  » Certes, nul doute que l’appartenance à l’euro a été perçue, ici, largement comme un bouclier. Mais de là à penser qu’un non à Lisbonne remettrait en question cette participationà

La vraie difficulté consistera à éviter que le référendum ne tourne au vote sanction contre une classe politique jugée coupable de ne pas avoir empêché la formation de la bulle immobilière, dont l’éclatement a aggravé la crise. En butte aux conflits d’intérêts, largement endogame – des députés souvent de père en fils – le personnel politique exaspère tant il paraît, ici comme ailleurs en Europe, de plus en plus coupé des réalités quotidiennes. Sur un plateau de télévision, dernièrement, le public protestait en apprenant que le gouvernement serait prioritaire lorsque le nouveau vaccin contre la grippe mexicaine sera au pointà Le renflouement, à coups d’argent public, des banques dont les dirigeants, naguère, tenaient le haut du pavé, passe aussi mal. Le Fianna Fail, le parti du Premier ministre, a subi un revers historique aux élections locales, en juin.  » Il faudra, durant la campagne référendaire, éviter la condescendance dont le camp du oui a fait preuve en 2008, confie un haut fonctionnaire. Expliquer sans imposer. C’est jouable. Il suffit de déplacer 55 000 voix en notre faveur.  » Moins que ce que peut contenir le plus grand stade d’Irlande. C’est à la fois peu et beaucoup pour décider du sort institutionnel de l’Europe.

JEAN-MICHEL DEMETZ

Nul doute que L’appartenance à l’euro a été perçue comme un bouclier

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