Emploi ou climat ? Le faux choix

Quand l’économie est en panne, la volonté de  » limiter la casse  » peut faire passer au second plan les préoccupations en matière d’environnement. Pourtant, oublier ces échéances serait une erreur. mortelle. Les vraies urgences sont là.

La peur est souvent mauvaise conseillère. La crise qui s’abat à une vitesse foudroyante sur notre économie tétanise le monde du travail. Le temps orageux inciterait plutôt les entreprises à se mettre à l’abri et à sauver les meubles. Au risque d’oublier d’autres enjeux majeurs, dont les bénéfices ne sont pas immédiats. Comme la lutte pour le climat.

Alarmée par la perspective d’une vague de restructurations dans le secteur automobile, la CSC-métal annonce la couleur :  » L’avenir du secteur automobile sera certainement vert, mais pour le moment il est surtout sombre.  » Une façon imagée d’inviter l’autorité européenne à modérer ses ardeurs dans son programme de lutte contre la pollution automobile.  » L’instauration de plafonds européens d’émission de CO2 doit tenir compte de la grande insécurité d’emploi des travailleurs du secteur automobile « , plaide la centrale syndicale chrétienne, réclamant par là un peu d’indulgence. Elle demande notamment que le plafond de 120 grammes de CO2 émis par kilomètre, envisagé pour 2012, soit limité aux seuls nouveaux modèles. Et que les pénalités financières pour les entreprises qui ne respecteraient pas ce cahier des charges environnemental soient sérieusement revues à la baisse.

Les milieux patronaux ne désavoueront pas cet appel syndical… Avant même que la crise économique n’éclate dans toute son horreur, ils s’inquiétaient de l’impact financier de ce qu’ils perçoivent comme une croisade verte européenne.  » Le coût du plan énergie et climat est bien plus élevé pour nous que pour les pays voisins « , s’alarmait ainsi la Fédération des entreprises de Belgique à la mi-septembre.  » Avant ou après la crise, notre discours ne change pas : nous souscrivons à l’objectif du plan européen de lutte pour le climat, mais ses modalités posent des problèmes, souligne Isabelle Callens, directrice du département économique de la FEB. Et la situation actuelle renforce nos arguments en faveur de plus de flexibilité et d’une meilleure prise en compte de la position concurrentielle des entreprises. « 

Crise ou pas, l’Union européenne (UE) ne modifiera pas son  » agenda vert « . Impossible pour les entreprises soucieuses de leur image d’en contester le principe, l’opinion publique étant désormais largement convaincue de l’urgence d’agir. Mais elles contestent les échéances imposées par l’UE et dénoncent la charge financière que ces programmes représentent pour elles.  » La politique climatique de l’Union européenne doit évidemment être poursuivie, mais en tenant compte de la compétitivité et des arguments des entreprises, souligne Frank Vandermarliere, directeur du département économique chez Agoria (la fédération de l’industrie technologique). Les éléments de cette politique sont déjà fixés pour la période 2008-2012, on ne peut donc pas changer grand-chose. Pour la période suivante, il faudra prendre en compte l’impact de la crise : les entreprises disposeront sans doute de moyens financiers réduits pour réaliser les investissements nécessaires. « 

Autre secteur de poids (93 000 travailleurs en Belgique) exposé de plein fouet à l’enjeu environnemental, la chimie assure  » caler  » sur la manière, mais non sur le principe.  » Nous approuvons sans réserve l’objectif de réduire de 20 % la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre, et d’augmenter de 20 % la part des énergies renouvelables. Nous sommes d’accord pour investir afin de tenir cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre « , assure Yves Verschueren, administrateur délégué d’Essenscia, l’organisation regroupant les entreprises de l’industrie chimique. Mais les firmes trouvent le prix à payer trop élevé :  » Le système de taxation, via des achats de droits mis aux enchères, revient à ajouter une surtaxe supplémentaire aux investissements à prévoir. Pas question !  » Il y va, assure Yves Verschueren, de la position concurrentielle du secteur, menacée par cette taxation des investissements environnementaux qui n’est prévue qu’en Europe.  » Je ne dis pas que les usines vont fermer chez nous, mais je pense que les grandes entreprises n’investiront plus ici, parce que leur intérêt sera d’aller ailleurs.  » Les syndicats se montrent tout aussi inquiets par le principe des quotas payants, qui devrait être appliqué dès 2012.  » Dans les secteurs soumis à la concurrence internationale, des quotas gratuits vont être accordés. Lesquels ? Il faut clarifier ce point au plus tôt « , souligne François Laurent, attaché au service d’études de la CSC-énergie-chimie.

Refuser le vert ? Politiquement impossible

Concurrence exacerbée, risques de délocalisation, casse sociale… Aux grands maux économiques et sociaux, faut-il de grands remèdes, éventuellement moins écologiques ? Fausse bonne idée. Et très mauvais calcul, prédit Christophe Derenne, économiste et directeur d’Etopia, centre d’animation et de recherche en écologie politique.  » Les constructeurs automobiles qui ne prennent pas assez vite le tournant du défi environnemental seront les perdants de demain et d’après-demain. Au lieu de miser encore de façon stupide sur la gamme des 4 x 4 et des grosses berlines, il faudrait rapidement se reconvertir vers des modèles plus écologiques. La crise va réorienter la demande vers des voitures plus petites, qui consomment moins. Entre une telle décision stratégique et sa mise en £uvre, il faut de deux ans et demi à trois ans.  » Ce délai pourrait se révéler horriblement long alors que la crise s’invite sans crier gare dans les chaînes d’assemblage.  » Raison de plus pour y aller plus vite que prévu, insiste Christophe Derenne. Cette crise doit avoir un effet d’accélérateur.  » Tout est cependant question d’argent, ce nerf de la guerre économique et environnementale.  » La mise en £uvre de politiques environnementales est liée à la croissance du Produit national brut « , rappelle Walter Hecq, responsable du Centre d’études économiques et sociales de l’environnement de l’ULB. En période de vaches maigres, il faudra résister à la tentation d’aller à ce qui est présenté comme l’essentiel. Et ne pas en arriver à choisir l’emploi au détriment du climat.

P. Hx. (avec P.G.)

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