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Emotions en dents de scie

On décrit généralement le trouble bipolaire comme une variation incontrôlable de l’humeur de quelqu’un entre euphorie (phase maniaque) et état d’esprit très sombre (phase dépressive). Mais où est la frontière avec les sautes d’humeur  » normales  » ?

La différence entre un trouble bipolaire et des sautes d’humeur est que la personne atteinte de ce trouble se retrouve profondément absorbée dans un épisode dépressif ou maniaque : son humeur n’est plus proportionnelle aux événements. Les  » lunettes émotionnelles  » à travers lesquelles elle voit et vit sont déformées. Concrètement, cela signifie qu’au coeur d’un épisode dépressif, elle ne ressent pas une tristesse classique, que nous éprouvons tous parfois, mais subit un état de découragement, de désespoir, d’incapacité à apprécier ce qui l’entoure et de manque d’énergie.

Par contre, en plein épisode maniaque, elle se comporte plutôt de manière extrême, mais plus dans l’action, en permanence. La personne est toujours occupée ; elle se comporte de manière euphorique (elle est extrêmement excitée) ou dysphorique (elle est alors agitée, irritable). En phase euphorique, la personne va vivre un simple coucher de soleil comme une expérience transcendantale, la musique va l’envoûter comme jamais auparavant… En phase dysphorique, par contre, elle peut entrer facilement en conflit avec ses amis ou son partenaire, transformer une ambiance festive en velléité de combat, etc… Les épisodes maniaques sont généralement les moments dont elle se souvent le plus, avec une certaine mélancolie du sentiment intense de bonheur, d’énergie ou de créativité, mais aussi avec la douleur et la honte par rapport à ce qui a mal tourné.

Absorbé dans un épisode dépressif ou maniaque, le malade voit le monde à travers des  » lunettes émotionnelles  » déformées.

Disproportionné

Mais tout n’est pas si cloisonné. En effet, même dans un épisode dépressif, des symptômes maniaques peuvent apparaître : la personne bipolaire se sent à la fois déprimée et agitée. Inversement, il est possible qu’elle éprouve des symptômes dépressifs durant un épisode maniaque : alors qu’elle est euphorique, elle peut avoir soudainement une crise de larmes…

Dans les états maniaques, environ 4 personnes sur 10 sont également confrontées à des délires et/ou des hallucinations. Il s’agit de visions dont elles sont totalement convaincues qu’elles existent, mais qu’elles ne connaissent pas ou ne comprennent pas.

Dans presque la moitié des cas, elles manifestent des bouffées délirantes à caractère souvent mystique, mégalomaniaque ou de persécution : le malade pense que le monde est à ses pieds, qu’il est capable de prédire le cours des actions, que Dieu lui ordonne de réaliser certaines choses… Durant ces hallucinations, la personne voit, sent, goûte ou entend des choses qui ne sont pas perceptibles par les autres.

La grande différence avec la schizophrénie est que ces délires et hallucinations n’apparaissent qu’à ces moments d’exaltation, et non dans les autres phases d’humeur.

Tous bipolaires ?

Les médicaments et les thérapies de soutien sont généralement efficaces. Environ un quart des personnes atteintes de trouble bipolaire maîtrisent complètement les symptômes et n’ont plus de problèmes à long terme. Les deux tiers récupèrent partiellement mais restent vulnérables. Environ 10 à 20 % répondent insuffisamment au traitement et doivent apprendre à vivre avec des restrictions.

Vivre avec un trouble bipolaire signifie vivre avec un baromètre émotionnel qui est perturbé plus rapidement à cause des gènes, du cerveau et des facteurs environnementaux. Pour limiter ces sautes d’humeur extrêmes, il faut éviter les facteurs qui les provoquent ou les excitants comme l’alcool et les drogues. Un bon sommeil est aussi important : se coucher et se lever à heures fixes est un bon début. Avoir des activités quotidiennes régulières et réduire le stress dans la vie privée et au travail vont aussi apaiser les esprits. Et, last but not least : ne pas se couper du soutien des amis et de la famille. Non seulement parce qu’ils peuvent soutenir le malade soutenir dans les moments difficiles, mais aussi parce qu’ils seront à même de reconnaître les signes typiques annonciateurs d’un nouvel épisode dépressif ou maniaque rapidement. Et plus ils seront reconnus rapidement, plus vite il sera possible de demander de l’aide pour éviter une rechute.

Et si l’on évoquait le côté positif du trouble bipolaire ? Sachez que les personnes présentant un trouble psychologique – en particulier un trouble bipolaire – sont généralement plus créatives dans l’art et la science. Cette connexion a été démontrée de manière convaincante dans des études menées entre autres par le psychiatre suédois Simon Kyaga.

Emotions en dents de scie

 » Quant à ceux qui ont séjourné dans la sombre forêt de la dépression, et connu son inexplicable torture, leur remontée de l’abîme n’est pas sans analogie avec l’ascension du poète, qui laborieusement se hisse pour échapper aux noires entrailles de l’enfer.  »

William Styron, écrivain américain (1925-2006)

 » Déprimée, je me suis traînée à quatre pattes pour traverser une pièce, et cela pendant des mois. Mais normale ou maniaque, j’ai couru plus vite, pensé plus vite, aimé plus fort que la plupart des gens que je connais.  »

Kay Redfield Jamison, professeure américaine de psychiatrie qui souffre également de troubles bipolaires

Nouveau centre de psychoéducation

Les thérapies de soutien thérapeutique et de psychoéducation peuvent aider les patients atteints de troubles bipolaires. Un nouveau programme a été lancé il y a moins d’un an à l’Hôpital Brugmann, à Bruxelles : le programme STEP. Il s’étend sur 10 semaines, à raison d’un jour par semaine, en groupe. Durant ces séances, les participants partagent leurs expériences, leurs ressentis, ils réalisent des exercices, apprennent à connaître leur trouble et reçoivent des outils pour le gérer au quotidien, de manière autonome, à travers des stratégies personnelles pour éviter les rechutes, ainsi que les conséquences personnelles et sociales.

Pour plus d’informations : 02/477.27.26 et 02/477.36.75

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Rôle génétique

Dans les troubles bipolaires, tout comme dans la schizophrénie, la variation d’un gène a été identifiée : la variation d’un allèle du gène SNAP25. Celle-ci provoque un changement dans l’expression d’une protéine dans le cerveau, avec pour conséquence un mauvais traitement de l’information entre les régions cérébrales impliquées dans la régulation des émotions…

Cette variation entraîne aussi un volume plus grand de l’amygdale et des altérations dans les connexions au niveau de la zone préfronto-limbique. Cette découverte a été réalisée en octobre 2017 par le CEA-Neurospin, de l’Institut Mondor de Recherches Biomédicales (INSERM) et des hôpitaux universitaires Henri-Mondor AP-HP.

Source : Journal of Neuroscience 2 October 2017, 1040-17 ; DOI : https : //doi.org/10.1523/JNEUROSCI. 1040-17.2017

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