Eloges et grincements de dents

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Satisfecit pour la Belgique: le sommet de Laeken a jeté les bases d’une réflexion commune sur l’avenir de l’Europe. Mais les Belges refilent aux Espagnols plusieurs « patates chaudes »

« Il y a les présidences manquées et celles qui redonnent un élan au processus d’intégration européenne », distingue l’ancien ministre polonais des Affaires étrangères Bronislaw Geremek, l’un des cinq sages choisis, en juin dernier, par Guy Verhofstadt pour l’aider dans la préparation de la Déclaration de Laeken. Au terme de ses six mois à la tête des Quinze, le Premier ministre belge est parvenu à amorcer une relance qui permet de classer sa présidence dans la deuxième catégorie, celle des semestres plutôt réussis. Devenue réalité, la désormais célèbre Déclaration, enfant chéri de Verhofstadt, place enfin sur les rails la « refondation » de l’Union, pour reprendre le mot du chef de la diplomatie allemande, Joschka Fischer.

Au moment où les Belges ont hérité de la présidence tournante, l’Europe cherchait un nouveau souffle. Après le « non » irlandais au traité de Nice et les violentes échauffourées de Göteborg, elle se demandait comment rendre confiance aux citoyens. Certes, le grain de sable irlandais, clé de l’élargissement de l’Union à l’Est, bloque toujours la machinerie commune. Il n’y a pas eu non plus de coup de baguette magique pour faire disparaître le manque d’efficacité de l’Union. Néanmoins, la création d’une « Convention » en vue de préparer la réforme des institutions est une première réponse à ceux qui se désolaient de l’enlisement de l’Europe politique. La formule innove, dans la mesure où ce ne sont plus des diplomates, mais des élus – députés nationaux et européens -, associés aux représentants des gouvernements et de la Commission, qui sont chargés, dès mars 2002, de défricher la refonte de l’architecture européenne.

Giscard bien entouré

Ce cénacle de 105 membres se réunira à Bruxelles pendant un an environ. Pour le piloter, les Quinze ont choisi l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing, aisément imposé par les « grands pays » de l’Union, le couple franco-allemand en tête. Nombreux sont ceux qui doutent qu’à 75 ans le prédécesseur de François Mitterrand à l’Elysée puisse incarner une vision d’avenir pour l’Europe. On prête, en outre, au grand homme un ego surdimensionné. Mais le front anti-VGE n’a pas résisté longtemps au forcing de Jacques Chirac, soucieux d’éloigner l' »ex » et son pouvoir de nuisance de la scène politique française, à quelques mois de l’élection présidentielle. Toutefois, le président français n’a pu contrer une manoeuvre surprise de Verhofstadt: Giscard sera flanqué de deux vice-présidents, l’ex-Premier ministre Jean-Luc Dehaene et l’ancien président du Conseil italien Giuliano Amato, deux grands formats, fédéralistes convaincus, issus du « groupe de Laeken », le « vivier » du Premier ministre.

La Convention devra préciser « qui fait quoi en Europe », ce qui revient à mieux répartir les compétences entre l’Union et les Etats membres. Elle planchera sur les pouvoirs respectifs des différentes institutions européennes et posera la question de l’élection au suffrage universel du président de la Commission. Elle demandera s’il faut davantage de décisions prises à la majorité qualifiée, afin de limiter les veto nationaux, qui ont, à nouveau, bloqué certaines décisions à Laeken. Cette enceinte provisoire envisagera aussi une simplification des traités et pourrait ouvrir la voie à une Constitution européenne.

Le texte entériné à Laeken ne fait toutefois qu’amorcer le débat. Verhofstadt a dû, en outre, revoir sa mouture initiale, jugée par certains de ses partenaires trop alarmiste sur la crise de confiance que traverse l’Europe ou trop favorable aux thèses fédéralistes. Le résultat des travaux de la Convention devrait être présenté en juin 2003, même si cette date n’est plus mentionnée explicitement. Ensuite, après une pause de quelques mois, destinée à « digérer » ce pensum – ou à l’oublier, selon les plus pessimistes -, les chefs d’Etat prendront les décisions définitives lors d’une Conférence intergouvernementale (CIG). On peut donc s’interroger sur le pouvoir réel accordé à la Convention.

Le « souk » de Laeken

Le lancement du futur chantier de l’Europe a éclipsé un autre geste symbolique posé à Laeken: les Quinze ont proclamé « opérationnelle » la défense européenne pour des missions limitées de gestion de crise. Mais le veto de la Grèce à un accord qui devait être annoncé parallèlement entre l’Union et l’Otan hypothèque la déclaration, présentée comme « historique ». Le degré d’implication de l’Union en Afghanistan a été une autre source de « malentendus ». L’annonce triomphale par Louis Michel de l’envoi prochain d’une force européenne a été immédiatement démentie par plusieurs pays. Le chef de la diplomatie belge s’est vu reprocher de vouloir hisser le drapeau étoilé de l’Union sur une force multilatérale des Nations unies, à laquelle la Belgique n’a même pas proposé de fournir un contingent.

L’atmosphère de bazar qui a envahi le palais royal à la fin du sommet a, elle aussi, quelque peu terni le travail accompli. Les égoïsmes nationaux ont en effet repris le dessus lorsqu’il a fallu attribuer les sièges d’une dizaine d’agences européennes. La France et l’Italie, qui s’estimaient mal servies, ont provoqué l’échec du marchandage, à l’issue d’une discussion qui a tourné à l’aigre. Verhofstadt a décidé de fermer le « souk » prématurément. Il transmet donc ce dossier empoisonné à la présidence espagnole. Dès lors, l’Agence de sécurité alimentaire, créée après la crise de la vache folle, et Eurojust, l’embryon de parquet européen, commenceront à fonctionner le 1er janvier, sur une base provisoire, respectivement à Bruxelles et à La Haye.

L’euro et le combat contre le terrorisme

L’ambivalence des résultats du sommet de Laeken n’a pas troublé les eurodéputés qui, cette semaine, ont salué le travail de la présidence belge, félicitée aussi par plusieurs Etats membres. La sécurité du sommet est également mise à l’actif des autorités belges. Bruxelles s’attendait au pire, après les débordements de Göteborg et de Gênes. Mais les trois jours de défilés se sont achevés sans incidents graves… Place aux Espagnols, dont la présidence sera inaugurée par le lancement de l’euro. La priorité du gouvernement de José Maria Aznar sera néanmoins la lutte antiterroriste. Elle devra se traduire par le renforcement de la collaboration entre polices européennes et par de nouvelles relations entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique. La présidence belge avait déjà « surfé » sur la dynamique antiterroriste mondiale, après les attentats du 11 septembre. Madrid compte bien suivre l’exemple.

Olivier Rogeau

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire