Elie Barnavi :  » La crise est une chance pour l’Europe « 

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les  » europtimistes « , comme les appelle Jean-Luc Dehaene, déchantent, les Vingt-Sept n’auront pas leur nouveau traité d’ici aux élections européennes de juin 2009. L’historien Elie Barnavi estime néanmoins que la crise économique pourrait faire sortir l’Union de l’impasse.

Je ne suis pas européen, mais je me sens européen « , assure Elie Barnavi. Né à Bucarest en 1946, citoyen israélien, l’historien et essayiste a été ambassadeur de l’Etat hébreu en France et est, actuellement, conseiller scientifique auprès du Musée de l’Europe, à Bruxelles. Dans un essai plein de conviction paru récemment (L’Europe frigide, André Versaille éditeur), il ne mâche pas ses mots à l’égard de pays membres qui bafouent, selon lui, les règles du  » club  » européen.

Le Vif/L’Express : Les prochaines élections au Parlement européen auront lieu en juin 2009. Les  » non  » à la Constitution et au traité de Lisbonne ont été les signes révélateurs d’un profond mal-être. La crise économique va-t-elle rapprocher les citoyens de l’Europe ?

E Elie Barnavi : La crise financière offre une chance à l’Europe. Un ardent défenseur de l’Europe, Michel Barnier, ministre français de l’Agriculture, qui conduira la liste de l’UMP – le parti de Sarkozy et majoritaire au gouvernement – au scrutin européen, m’a confié que la crise allait permet-tre, pour la première fois, de mener une véritable campagne européenne. La crise aurait frappé beaucoup plus violemment la zone euro si les pays qui en font partie avaient encore eu leurs monnaies nationales. En Belgique, où la débâcle financière se double d’une crise communautaire, le cours du franc belge se serait sûrement effondré.

La résistance de la monnaie unique semble faire des envieux.

E Des pays eurosceptiques et des non-membres, comme l’Islande, ont pris conscience des vertus de l’euro, facteur de stabilité. On ne peut toutefois bâtir l’Europe sur une crise économique. L’Union est un club de volontaires qui a des règles à faire respecter. On ne peut plus laisser certains pays avoir un pied dans l’UE et un autre en dehors. Accorder aux récalcitrants des exemptions est une erreur.

Quel sort réserver aux pays qui refusent de se plier à telle ou telle règle ?

E Son appartenance à l’Union devrait être automatiquement suspendue. Il n’y a rien de honteux à ne pas en faire partie temporairement. Ce n’est pas une exclusion, encore moins une punition. Si l’Europe ne fait pas respecter ses règles, elle ne deviendra jamais politique. Pis : elle continuera à vivoter de crise en crise, de compromis en compromission. Il est inacceptable de rester sans réaction face au comportement du président tchèque, qui refuse de faire hisser le drapeau européen aux bâtiments officiels. Mais l’Europe est bonne fille : quand on lui crache au visage, elle se contente de dire qu’il pleut !

Peut-on sérieusement imaginer de suspendre un pays fondateur de l’Union ?

E Pourquoi pas ? Après le  » non  » français à la Constitution européenne, qui a paralysé l’Union, la France aurait dû être suspendue. De même, si les Irlandais, qui ont rejeté par référendum le traité de Lisbonne en juin dernier, avaient su que leur vote négatif risquait de mettre Dublin sur la touche, ils auraient sans doute adopté le texte. Le gouvernement irlandais a perdu le pari du référendum, mais il reste en place comme si de rien n’était, baigné de la sollicitude attristée de ses collègues du Conseil européen.

Une des solutions évoquées pour faire revoter l’Irlande, après le non du 12 juin dernier, est de renoncer à resserrer le collège de la Commission. Chacun des Vingt-Sept garderait un commissaire.

E C’est une erreur. De même, accepter un renforcement de la neutralité de l’Irlande, comme l’a suggéré le Premier ministre irlandais, signifierait, une fois de plus, renoncer à faire respecter les règles. La tentation est forte d’inciter les Irlandais à revoter moyennant des codicilles au traité qui, espère-t-on, apaiseraient leurs appréhensions. Encore faut-il savoir de quelles inquiétudes il s’agit : chacun des membres de la coalition hétéroclite du  » non « , qui va de l’extrême gauche antilibérale à l’extrême droite cléricale et souverainiste, a les siennes, contradictoires.

Il n’est pas question de recommencer le cirque d’une renégociation du traité. Que peut donc faire l’Europe pour sortir de la crise institutionnelle par le haut ?

E Beaucoup pourrait être accompli avec les institutions telles qu’elles sont. Nul besoin d’un nouveau traité pour donner plus de poids au Haut représentant pour la politique étrangère. Feu Bronislaw Geremek, l’homme d’Etat polonais, proposait aussi d’organiser un référendum qui permettrait d’envoyer aux oubliettes la règle de l’unanimité.

Comment enrayer la chute de la participation aux élections européennes ?

E Il serait temps que les élections européennes se tiennent le même jour dans tous les pays de l’Union. Il faudrait également encourager la constitution de listes transnationales. Le scrutin, de purement national qu’il est aujourd’hui, dégagerait un intérêt européen commun. A l’extérieur, l’Union devrait se doter d’une représentation commune dans les grandes instances internationales comme le Conseil de sécurité des Nations unies et le G8. Cela donnerait corps à une Europe parlant d’une seule voix.

Olivier Rogeau

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