Pour permettre à des parents d’enfants handicapés de souffler de temps en temps, des associations ont imaginé des formules originales de solidarité. Tour d’horizon
« C’est comme quand on a un bébé : on est sous tension permanente. Rosalie a 13 ans et je suis toujours en train de me demander si elle n’a pas faim, si elle ne pleure pas, si elle n’a besoin de rien. Parce qu’elle, elle ne va pas me le dire. »
Pour cette maman d’une fillette handicapée moteur comme pour de nombreux parents d’enfants dans la même situation, le quotidien est fait de journée non-stop, où il faut jongler avec son travail, les tâches domestiques, les petits soucis familiaux et les soins très particuliers que réclame l’enfant. Epuisant. Ces dernières années, plusieurs services spécialisés ont vu le jour dans le pays à leur intention. Sous des modalités différentes, ils visent tous à soulager les proches de personnes handicapées.
Les accueils de courte durée représentent une première solution pour les parents d’enfants non valides. Le principe est simple : une association met en contact ces parents avec des familles désireuses d’accueillir l’enfant handicapé, en général pour une journée et au moins une fois par mois. Ce jour-là, ces parents en profitent pour vivre à un rythme différent, « ne manger que pour soi » comme l’explique la maman de Rosalie. Parfois aussi, cette journée de répit est l’occasion de réaliser, avec les autres membres de la famille ou des amis, certaines activités plus difficiles à concilier avec le handicap comme faire du VTT, visiter un musée…
Pas à pas
En Belgique, deux associations, « Famisol » et « Les Mains tendues », coordonnent ces petits séjours. Chacune opère sur un territoire précis et propose aux familles intéressées une procédure destinée à prévenir autant que possible les risques d’échec. Chez « Famisol », par exemple, tout se fait de façon très progressive. L’équipe veille à ce que les personnes s’apprivoisent, que la rencontre se fasse en douceur. Un certain nombre de démarches (entretien téléphonique, questionnaire, rencontres) sont prévues, mais les familles qui sentent que « le courant passe » sont libres de brûler les étapes. A l’inverse, chacune des parties a le droit d’arrêter la procédure à tout moment. C’est aussi le rôle des associations de canaliser les craintes, de suivre pas à pas, s’il le faut, les familles impliquées.
« On essaie de travailler en triangle pour gérer ensemble les questions qui peuvent surgir », explique Anne-Françoise Riat, la responsable de « Famisol ». Parfois, c’est un sentiment d’envahissement. Dans d’autres cas, l’apparition de jalousies intrafamiliales, ou simplement la peur de ne pas être à la hauteur. Ces appréhensions sont légitimes, puisque deux tiers des papas et mamans d’accueil n’ont aucune expérience. « Très souvent, il s’agit de personnes à qui la vie a souri et qui veulent en faire profiter d’autres », souligne Anne-Françoise Riat. Ce qui ne veut pas dire « faire sa bonne action » et être en paix avec sa conscience pour le reste du mois. « Cette mentalité-là se remarque tout de suite ! », s’exclame une collaboratrice de « Famisol ». Cette idée de bonne action choque même Annie Bergot, une maman d’accueil. « Souvent, les gens sont admiratifs à notre égard, mais ce n’est pas justifié. Si c’était un jour de pénitence, on ne le ferait pas. » Au contraire, la venue de Rosalie chez les Bergot semble apporter énormément à la famille. « La voir si courageuse, jusqu’au-boutiste, nous ouvre les yeux sur l’essentiel et sur la chance qu’on a de pouvoir parler ou bouger sans difficulté. C’est très enrichissant. » Le couple Bergot et ses 3 enfants n’a d’ailleurs pas l’intention de couper les ponts lorsque Rosalie aura atteint « l’âge limite d’accueil » (18 ans selon la loi). « Ce n’est pas parce qu’elle grandit que les portes s’ouvrent plus facilement. En fauteuil roulant, on l’invite moins. Ce n’est pas juste ! »
Reste que ce type d’accueil, aussi positif soit-il, ne peut satisfaire toutes les demandes. Faute de familles d’accueil suffisamment nombreuses, tout d’abord. Chez « Famisol », une dizaine d’enfants se trouvent actuellement sur une liste d’attente, sans compter les appels émanant de zones – jusqu’à Paris – non couvertes par l’association. Autre bonne raison ensuite : la formule ne convient pas à tout le monde. « Il faut avant tout un esprit ouvert, une envie commune de rencontrer d’autres personnes », souligne anne-Françoise Riat. Parfois, les proches d’une personne handicapée peuvent également avoir besoin d’une aide à domicile. « Certains parents recherchent du personnel très qualifié, vis-à-vis duquel ils peuvent avoir des exigences pointues. »
C’est pour répondre à ce genre d’attentes, moins axées sur l’idée de solidarité, que Jocelyne Burnotte a participé à la création du « Chouette service », un projet pilote de l’AWIPH (Agence wallonne pour l’intégration de la personne handicapée). Généralement, les quelque 80 familles inscrites auprès de l’ASBL appellent pour bénéficier d’une « garde de répit. » Quelqu’un de compétent, formé par l’association, vient quelques heures, une journée, voire une nuit, au domicile d’une personne atteinte d’un handicap (modéré ou sévère). L’âge de cette dernière n’a pas d’importance. Le « Chouette service » propose également des permanences réservées aux gardes urgentes, en cas de décès ou d’accident impliquant un membre de la famille par exemple. A toute heure du jour ou de la nuit, un membre du service peut alors se rendre rapidement auprès de la personne handicapée, évitant ainsi aux proches le « sentiment d’impuissance. » « Pour l’avoir expérimenté moi-même, affirme Jocelyne Burnotte, elle aussi maman d’une jeune fille polyhandicapée, je peux dire que ça enlève une fameuse épine du pied. On peut se rendre très vite, et en toute confiance, où on a besoin de nous. » A l’inverse des accueils en famille, le « Chouette service » demande une participation financière à ses membres. Les tarifs varient de 100 francs (2,48 euros) l’heure de garde à 1 000 francs (24,8 euros) la nuit. « Mais tout se discute. »
Manifestement, ces associations rencontrent des besoins bien réels. Besoin de souffler, mais aussi d’avoir quelqu’un à qui parler quand on se sent « au bout du rouleau ». Ces petits coups de pouce sont toutefois réservés à des régions précises de notre pays. Seuls les habitants de la province de Luxembourg peuvent bénéficier du « Chouette service », tandis que « Famisol » ne couvre que la région bruxelloise et le Brabant wallon. Quant à l’association « Les Mains tendues », elle s’active en principe du côté de Liège. En principe, puisque depuis deux ans, les placements en famille sont réduits à une peau de chagrin. La raison est simple: l’AWIPH reconnaît l’ASBL mais ne l’agrée pas. En clair, l’association « Les Mains tendues » ne reçoit pas un franc de subvention. L’organisation des séjours repose donc uniquement sur quelques bénévoles, forcés d’assumer en parallèle une autre occupation professionnelle. Pour Irma Magnette, la coordinatrice, la pilule est dure à avaler. « Sans moyens, on ne peut pas faire de miracles. Ça fait mal de voir que nous, qui sommes à l’origine du projet, devons fonctionner au ralenti. Alors que « Famisol », parce qu’elle est implantée dans une autre région, ne connaît pas ces problèmes. » Chacun à leur manière, les membres de ces trois associations expriment le même souhait: celui de voir un jour se développer une initiative comme la leur sur le plan national.
Charlotte Legrand Famisol : 02-771 91 14. Les Mains tendues : 04-362 45 77. Chouette service : 061-61 21 15. AWIPH : 071-20 57 40 .