Dujardin, côté cour

Il vient de remporter l’oscar du meilleur acteur. Une première pour un Français. Et une consécration. Mais qu’a-t-il fait pour mériter ça ? Réalisateurs, producteurs et amis répondent.

C’est l’histoire d’un surfeur qui, en quinze ans, est passé d’une mer d’huile à un tsunami, de la Méditerranée au Pacifique, d’un sketch dans Graines de star au rôle principal d’un film à oscars. Le phénomène Jean Dujardin est né le 9 janvier 1997, quand il présente, sur M 6, son personnage Brice de Nice, le naze de la planche qui casse plus qu’il ne farte. Depuis, il y a eu Un gars, une fille, Le Convoyeur, Mariages !, deux OSS 117, Le Bruit des glaçons, Un balcon sur la merà Jusqu’à The Artist, donc. Et Les Infidèles, qu’il coréalise, en salles actuellement.

Le parcours est impeccable. L’ascension, fulgurante. Jean Dujardin est la star que le cinéma français n’attendait plus. Celle qui séduit les auteurs, fédère les critiques et attire les foules. Sa notoriété internationale est inattendue, et on pourrait craindre qu’une telle cascade d’honneurs (Golden Globe, Bafta, Césars, Oscars) ne noie celui dont tout le monde croit pouvoir devenir le bon copain ; l’apanage des vedettes charismatiques. Mais non. Dujardin respire désormais l’air des sommets mais n’a jamais été du genre à s’enfermer dans une bulle. La preuve par ceux qui l’ont accompagné au long de son irrésistible ascension.

CHRISTOPHE CARRIÈRE

NICOLAS BOUKHRIEF, réalisateur du Convoyeur (2004)

 » Dans Un gars, une fille, j’ai vu en lui un acteur dans la tradition de la comédie italienne, capable de jouer les mesquins et les lâches, d’accepter et d’assumer les défauts d’un personnage, comme il semble le faire dans Les Infidèles, d’ailleurs. Je l’ai appelé un lundi pour lui parler du Convoyeur, il a lu le scénario le mardi, et il a accepté le mercredi. Il avait envie de cinéma. Mais à l’époque, personne ne voulait de lui. 1,5 million de DVD d’ Un gars, une fille avaient été vendus, mais il n’excitait aucun producteur. Moi, je le trouvais incroyablement sexy et nuancé. Et ce personnage ambigu que je lui proposais lui permettait de gagner du temps et de se poser tout de suite en acteur dramatique.  »

ISABELLE CAMUS, productrice d’Un gars, une fille (1999-2003)

 » Je soupçonne Jean d’avoir fait rire ses parents dès le berceau. Son talent de comique est inné. Je l’avais fait travailler sur l’émission Farce Attaque, où il concoctait des sketchs avec Bruno Salomone. Plus tard, je lui ai demandé de passer le casting d’ Un gars, une fille. Il ne voulait pas. Il repeignait la chambre de son fils et se disait mauvais aux essais. J’ai insisté. Il est venu et, au bout de trente secondes, j’étais convaincue. C’était lui. Une évidence. Très masculin, beau sans avoir une plastique de mannequin, et, surtout, plein de charme. Et parce qu’on n’a rien fait d’autre que tourner pendant cinq ans (486 épisodes !), Jean n’a jamais vraiment pris conscience de sa popularité. Le succès le faisait marrer et il prenait cela au second degré.  »

NICOLAS ALTMAYER, producteur de Brice de Nice (2005) et des deux OSS 117 (2006 et 2009)

 » Notre lien avec Jean s’est noué en trois étapes à partir de 2002. D’abord, par Isabelle Nanty qui ne cesse de nous vanter ses mérites. Ensuite, grâce à mon neveu, 13 ans à l’époque, qui joue des sketchs de Brice de Nice. Enfin, c’est Fabien Onteniente qui propose un rôle à Jean dans Jet Set 2, film que nous produisions. Il a refusé mais lui a fait part de son désir de voir Brice de Nice au cinéma. On a donc rencontré Jean. Résultat : non seulement on était d’accord pour Brice de Nice mais on venait de trouver notre OSS 117, qu’on développait parallèlement. En plus de travailler un rôle jusqu’au bout, Jean a la grâce et l’instinct. Il est bien entouré. Comme dit mon frère Eric [son associé] : « Dujardin, c’est Belmondo dans un monde où Delon n’existe pas. »  »

BERTRAND BLIER, réalisateur du Bruit des glaçons (2010)

 » Au départ, Le Bruit des glaçons était pour Gérard Depardieu. Il n’a pas pu. Pour le remplacer, j’ai voulu quelqu’un de plus jeune. J’ai pensé à Jean, qui a tout de suite accepté. Je n’ai pas été déçu. Avec lui, j’ai retrouvé le bonheur que j’ai connu avec Patrick Dewaere sur Les Valseuses. Dujardin sait rester sobre, il ne rechigne jamais et a le sens du détail. Comme je voulais l’alourdir, je lui ai demandé de se laisser pousser la barbe. Pas de problème. Il fallait qu’il prenne quatre kilos. Pas de problème non plus. D’autant qu’il aime bien picoler et manger. Je ferais bien tous mes films avec lui. Sauf qu’il est très occupé et un peu fainéant : il ne tourne que deux films par an ! Mais, c’est lui le chef de file des acteurs français.  »

GUILLAUME SCHIFFMAN, chef opérateur des deux OSS 117, de The Artist (2011) et des Infidèles (2012)

 » Dans les OSS 117, il n’a pas seulement l’éclat de Jean-Paul Belmondo, mais également le charme de Sean Connery, la bêtise de Jean Lefebvre et la maladresse de Darry Cowl. Jean est l’acteur cinéphile par excellence : il se souvient de ce qui l’a nourri. On sent chez lui un réel bonheur de jouer : sur un plateau, il s’amuse. C’est un bosseur, mais il se fait plaisir. Les Infidèles, par exemple, c’est un cadeau qu’il avait envie de se faire avec son pote Gilles Lellouche. Mon plus beau souvenir date du tournage de The Artist, sur une scène coupée au montage. Jean arrive petit dans le cadre et se rapproche, en gros plan, pour découvrir sa maison brûlée. Il y a d’énormes ventilos et Michel [Hazanavicius] a mis la musique des Choses de la vie en direct. J’ai vu chez Jean une émotion que j’ignorais. A la fin de la prise, j’avais les larmes aux yeux.  » Vous n’allez tout de même pas pleurer ?  » a-t-il lancé. Comme Michel, il est très pudique et se sort toujours de ce genre de situation par une pirouette.  »

NICOLE GARCIA, réalisatrice d’Un balcon sur la mer (2010)

 » J’avais été épatée par son travail dans Mariages ! et 99 francs. Quelque chose indiquait, dans son regard, qu’il pouvait aller vers d’autres territoires. Et quand il a lu le scénario d’ Un balcon sur la mer, il a tout de suite décelé la sensibilité du personnage. J’ai croisé peu d’acteurs aussi bons lecteurs que lui. Comme il devait jouer Lucky Luke, il m’a demandé de l’attendre. Je ne l’ai pas regretté. Il a plongé dans ses ombres au-delà de ce que j’espérais. C’est un comédien qui refuse d’être cloisonné. Ça tombe bien : il est un des rares à pouvoir faire du saut à l’élastique d’un genre à l’autre.  »

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