Defrost, série en douze épisodes de cinq minutes : neuf jours de tournage mais trois ans de postproduction. Le prix de l'innovation... © MATT LACORTE

Du rêve à la réalité

La réalité virtuelle s’impose peu à peu dans le paysage médiatique. Réalisateur de Grease, Randal Kleiser signe, avec Defrost, la première série recourant à cette technologie immersive. Impressions et perspectives.

Longtemps considérée comme un gimmick plutôt anecdotique, la réalité virtuelle (ou VR pour Virtual Reality) a gagné ses lettres de noblesse depuis quelques années. Soucieux de ne pas rater le train de la révolution technologique, et sensibles à l’évolution des habitudes des spectateurs, les plus grands festivals de cinéma lui ont ainsi ouvert leurs portes, de Venise à Cannes. On pouvait découvrir une cinquantaine de réalisations VR sur le Lido en septembre dernier, au rang desquelles Crow : the Legend, court métrage inspiré d’une légende indienne d’Eric Darnell, le réalisateur des Madagascar. Et nul n’a oublié Carne y Arena, l’extraordinaire installation présentée par Alejandro Gonzalez Inarritu à Cannes, en 2017, plongée saisissante valant au visiteur la sensation de partager l’expérience de migrants mexicains tentant le passage de la frontière américaine.

J’espère que Defrost deviendra un projet VR culte ; il sera en tout cas historique…

Organisée à la faveur de Stereopsia, le forum des technologies et contenus immersifs, la Brussels Virtual Week permettait, il y a quelques semaines de cela, d’en apprécier un échantillon à Bozar. Parmi la dizaine de productions présentées, l’une retenait plus particulièrement l’attention, Defrost, première série recourant à cette technologie. Aux commandes de celle-ci, Randal Kleiser, un réalisateur quelque peu oublié aujourd’hui, mais qui s’illustra dans le cinéma hollywoodien au tournant des années 1970 et 1980, alignant des succès comme Grease, puis The Blue Lagoon.  » J’ai signé quelques films cultes, sourit-il. Ces deux-là, ou encore North Shore (NDLR : dont il était scénariste et producteur), qui a été vu par pratiquement tous les surfers, qui en citent des dialogues entiers. J’espère que Defrost deviendra un projet VR culte ; il sera en tout cas historique…  » Incontestable, stricto sensu.

Les acteurs face à la caméra, placée à hauteur des yeux d'un mannequin. Révolutionnaire.
Les acteurs face à la caméra, placée à hauteur des yeux d’un mannequin. Révolutionnaire.© MATT LACORTE

A 72 printemps désormais, Kleiser reste porté par un enthousiasme juvénile. S’il s’est fait connaître par un film nostalgique, les nouvelles technologies ont toujours constitué sa passion – on lui doit, notamment, l’invention d’un procédé HD baptisé Vistarama -, si bien que son incursion dans la réalité virtuelle pourrait bien paraître comme un aboutissement.  » Mon frère Jeff est superviseur d’effets spéciaux, il a notamment travaillé sur des films comme les X-Men. Il y a cinq ans, il m’a montré un casque Oculus Rift, et je me suis retrouvé à marcher dans une villa toscane en réalité virtuelle, une sensation incroyable, et une formidable opportunité à mes yeux.  » Restait à trouver une histoire appropriée, Kleiser se souvenant d’un scénario qu’il avait écrit alors qu’il était encore étudiant. Soit Defrost, l’histoire d’une femme cryogénisée à la suite d’une attaque, et ramenée à la vie trente ans plus tard, dans un monde radicalement transformé.  » A l’époque où j’ai écrit cette histoire, en 1968, la cryogénisation n’en était qu’à ses balbutiements, et l’idée que l’on puisse prolonger l’existence me fascinait. A un moment, j’ai même espéré pouvoir être moi-même congelé. J’en suis revenu, mais la perspective de retrouver le monde cinquante ans plus tard pour voir à quoi il pourrait bien ressembler continue de titiller ma curiosité. Tout change tellement vite : qui aurait imaginé, il y a vingt ans d’ici, que tout le monde se baladerait le nez plongé dans son téléphone ?  » C’est peu de le dire…

Le spectateur-caméra

La vision de Defrost, série en douze épisodes de cinq minutes –  » c’est le laps de temps pendant lequel la plupart des gens se sentent à l’aise avec la technologie  » – , constitue une expérience peu banale, comme une extension de la caméra subjective. Le spectateur s’y retrouve littéralement dans la peau de cette patiente sortant d’un coma de trente ans pour renouer avec ses proches, méconnaissables. Et d’être immergé dans une réalité à 360 degrés dont les contours évoluent suivant l’endroit où l’on pose le regard. D’un point de vue technique de tournage, la réalité virtuelle a imposé ses exigences, différant parfois de la norme cinématographique :  » Je venais de mettre en scène ma première pièce de théâtre, une expérience assez proche, en ce sens que nous avons filmé chacun des épisodes de la série en un plan-séquence unique. Les acteurs devaient respecter leurs marques et les dialogues sans qu’il y ait de possibilité de coupe. Et je devais trouver le moyen que l’attention du spectateur se porte là où je le souhaitais, comme cela se fait au théâtre également, à l’aide du son, de la lumière, ou de la direction des regards.  » Lesquels, spécificité du médium, fixent généralement le spectateur-caméra, à l’inverse de la grammaire cinématographique usuelle :  » Pendant les répétitions, une actrice jouait le rôle du spectateur, et était installée dans une chaise roulante. Quand on l’a remplacée par un mannequin surmonté d’une caméra, les comédiens ont reproduit ce qu’ils avaient fait avec elle.  »

Randal Kleiser et son mannequin-caméra permettent la réalité à 360 degrés.
Randal Kleiser et son mannequin-caméra permettent la réalité à 360 degrés.© MATT LACORTE

Bouclé en neuf jours à peine, le tournage sera, en définitive, la phase la plus simple du processus, la postproduction s’étirant pour sa part sur trois ans, pour prix de l’innovation.  » J’aime les défis « , énonce Kleiser, telle une lapalissade. Un autre, de taille, réside dans la distribution prévisible de films en VR, hors événements ponctuels dévolus à cette technologie.  » A l’avenir, on verra de plus en plus de gens les télécharger dans leur téléphone ou dans leur récepteur Oculus, prophétise-t-il. On n’en est pas encore là, mais dès que les appareils de vision seront aussi simples à manier que des lunettes, le public va commencer à s’équiper. La VR est particulièrement adaptée à un certain type d’histoires et à un certain type de cinéma, elle conviendrait très bien à des films d’horreur. Quand la technologie suivra, en termes de qualité de l’image, et de légèreté du matériel, il n’y aura pas de limite. Pour moi, ce n’est rien d’autre que du cinéma en 4D.  » Scellant un peu plus le deuil du cinéma comme expérience collective ? Voire :  » Nous avons fait des expériences à la Director’s Guild of America, lors de notre Digital Day. Les spectateurs voyaient un film en VR avec un casque dénué d’écouteurs, le son de la salle étant utilisé. Ils regardaient individuellement, tout en entendant les réactions des uns et des autres. Du coup, ils étaient moins isolés, et après, ils ont échangé comme on le ferait après une séance de cinéma. Cela pourrait constituer un hybride intéressant entre l’isolation de la VR et l’expérience collective de la salle.  » Demain commence aujourd’hui…

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