Les relations entre les professionnels de la santé et les patients ne sont pas toujours optimales. En particulier à l’hôpital, où les contacts sont plus ponctuels et limités dans le temps. Une relation dégradée peut pourtant influencer négativement le suivi des traitements par les malades. Pour y remédier, certains voudraient changer le modèle et passer à un réel partenariat entre médecin et patient.
Les relations entre les soignants, en particulier les médecins, et les malades a bien évolué. Et avec elles, la façon de communiquer des uns et des autres. Une évolution qui s’est faite progressivement, depuis la cristallisation des soins de santé sur les hôpitaux, au XIXe siècle, comme l’explique Dan Lecocq, Maître de conférences et chercheur à l’Ecole de Santé publique (ESP), ULB : » Du fait de l’explosion du savoir médical, les médecins sont devenus les experts de la maladie et ont ainsi pris le pouvoir dans les hôpitaux. Ils ont occupé le sommet d’un système très hiérarchisé et ainsi basé leur autorité sur ces savoirs scientifiques incontestables. Leur influence s’est progressivement étendue à l’ensemble du système même des soins de santé. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir émerger une demande collective de transparence et une remise en cause de ce savoir absolu, notamment suite à la révélation d’expérimentations médicales contraires à l’éthique. Cette revendication s’est étendue à la relation entre médecin et patient. »
C’est un partenariat, qui est aussi positif pour le professionnel de la santé, car il travaille pour atteindre le même objectif que son patient. » André Néron, directeur du Bureau Partenariat Patient, ULB
Les femmes au premier rang
Pas question néanmoins de donner trop de place au malade : le médecin sait de quoi souffre ce dernier, connaît les traitements à prescrire et les prescrit ; et le malade, passif, le suit, confiant envers le médecin et le savoir scientifique. Les femmes vont contribuer à changer cela, lorsqu’elles réclament le droit à la contraception et, plus tard, à l’avortement. Elles exigeaient de pouvoir se réapproprier leur corps… » Ensuite vont émerger des regroupements de patients, afin de modifier le rapport de force avec les soignants « , poursuit Dan Lecocq. Et puis il y a eu le vote de la loi relative aux Droits des patients, qui leur accordait le droit formel de prendre connaissance de leur dossier médical ou de refuser des soins à l’hôpital, par exemple… » Peu à peu, le médecin a été déboulonné de son piédestal. Sans compter le droit à l’euthanasie, qui ouvrait encore le champ des libertés du malade de disposer de son droit de vie et de mort sur son propre corps, emblématique de la relation médecin-patient « , enchaîne André Néron, directeur du Bureau Partenariat patients de l’ULB (premier et unique bureau de ce type à ce jour) et collaborateur scientifique à l’ESP.
Mais l’évolution s’est faite aussi dans l’esprit de certains médecins qui ont commencé à s’interroger sur leur position et sur celle des malades en face d’eux. Ils ont souhaité être davantage à l’écoute de ces êtres humains, les considérant comme des personnes ayant une connaissance de leur corps, de leur vécu avec la maladie, avec des demandes particulières et une vie avec la maladie.
Des mouvements pour impliquer toujours davantage le patient dans son traitement ont alors émergé, en particulier en cas de maladies chroniques qui nécessitent des traitements quotidiens et à long terme ainsi qu’un suivi rigoureux. » Or, comme l’indiquent différentes études, seul un malade sur deux se soigne correctement ! Cette mauvaise adhésion au traitement peut pourtant être dangereuse pour le patient, avec des hospitalisations plus fréquentes et une aggravation de son état de santé. Ce qui a, par ailleurs, également un coût pour la sécurité sociale ! « , souligne André Néron.
Des patients partenaires de leurs soins
C’est ainsi qu’est apparue, il y a plusieurs années, la notion d' » empowerment » du patient : l’idée était de lui donner le plus d’informations possible sur sa maladie, ses traitements, les effets secondaires, etc. afin de lui permettre de gérer au mieux les événements éventuels, et de l’impliquer dans son traitement. Mais l’équipe d’André Néron va plus loin : le partenariat patient vise à lui laisser le libre choix du traitement ! » Dans le schéma que nous prônons ici à l’ULB, il est question de décision concertée : les deux parties échangent leur point de vue, le médecin apportant les arguments scientifiques et médicaux, le patient ceux portant sur sa qualité de vie, mais la décision finale de traitement privilégie l’option choisie par le patient. C’est pourquoi nous ne parlons plus de ‘prise en charge’ du patient par le médecin, mais de plan d’accompagnement « , explique Dan Lecocq.
Cela pourrait en faire sursauter plus d’un : comment un patient peut-il faire le bon choix ? » Tout d’abord, parce que cela implique pour le médecin d’informer correctement et de manière exhaustive le patient. Il doit s’assurer qu’il fournit l’information adéquate, de la meilleure manière et que le patient a bien tout compris. Car celui-ci doit faire un choix éclairé, c’est-à-dire en étant capable de tenir compte de tous les aspects. Si le traitement choisi n’est pas le meilleur pour sa santé, le médecin doit l’en informer et lui expliquer pourquoi, tout en tenant compte des raisons qui ont poussé ce patient à choisir cette option. Il pourra ainsi éventuellement proposer des alternatives. Mais il doit aussi accepter qu’il risque de ne pas être satisfait du choix de son patient, tout en poursuivant son suivi dans le sens choisi par ce dernier… »
Nous ne parlons plus de ‘prise en charge’ du patient par le médecin, mais de plan d’accompagnement. » Dan Lecocq, à l’école de santé publique, ULB
Concrètement, face à un patient qui ne souhaite pas d’un traitement par injection, pour des raisons pratiques ou par peur des injections, le médecin doit pouvoir offrir une alternative, même si l’injection est le mode d’administration le plus efficace. » Si d’autres patients refusent des vaccins parce qu’ils ont été influencés par la désinformation menée sur internet, il doit pouvoir les écouter et argumenter pour qu’ils reçoivent et comprennent une information fiable « , enchaîne André Néron. » Je pense aussi à des personnes âgées chez qui un diabète de type 2 vient d’être diagnostiqué : si le médecin leur impose un régime sans sucre, pensez-vous qu’elles vont toutes le suivre ? Elles en mangeront alors en cachette et n’oseront rien dire à leur médecin ! Tandis que si elles disent qu’elles souhaitent continuer à manger leur morceau de tarte à 16 h, ce sera leur choix et le médecin pourra en tenir compte et proposer une alternative qui, si elle est bien expliquée et validée par le patient, a plus de chances d’être suivie… « , renchérit Dan Lecocq.
L’information au coeur de la relation
Car l’information est au coeur de la relation médecin-patient : depuis internet, chacun a accès à des informations qui vont dans tous les sens, des plus pointues aux plus farfelues ; les manipulations sont multiples ; les connaissances scientifiques deviennent de plus en plus complexes et de moins en moins compréhensibles par le grand public. Bref, il est plus que temps que les patients reçoivent une information complète, correcte et à leur portée… » L’adhésion au traitement ne pourra qu’en bénéficier. Le patient qui sort de chez son médecin après que celui-ci ait décidé qu’il devait prendre tel médicament, à tel moment, dans telles circonstances, pour telle durée a moins de chances de suivre strictement ce traitement que le patient qui a discuté des options possibles, de celle qui lui convenait le mieux par rapport à sa manière de vivre, qui a bien compris les risques d’une mauvaise observance, qui a été informé de la possibilité d’effets secondaires transitoires, qui comprend pourquoi il doit prendre à tel ou tel rythme ses comprimés… En adhérant à la proposition du médecin et en prenant lui-même la décision, il aura plus de chances de bien respecter ce traitement ! « , conclut Dan Lecocq. Une sorte de pacte tacite, donc, dont les modalités reviennent au patient…
Il ne faut néanmoins pas penser que le médecin n’est là que pour appliquer les desiderata de son patient : » Son rôle est de passer le temps nécessaire à expliquer les meilleures options dans son cas précis, de prendre en compte ses remarques, de proposer le traitement qui lui semble le plus adéquat en termes d’efficacité et de qualité de vie du patient. Nous le répétons : c’est un partenariat, qui est aussi positif pour le professionnel de la santé, car il travaille pour atteindre le même objectif que son patient « , conclut pour sa part André Néron.
Des freins au partenariat
Voilà deux ans que ce Bureau du Partenariat Patient a été créé à l’ULB. 450 professionnels de la santé (médecins, infirmiers…) ont déjà été formés à cette relation avec le patient. Mais des freins sont déjà identifiés, comme nous le confirme Dan Lecocq :
1. Le système de financement et de remboursement à l’acte : » Notre système de soins de santé prévoit un financement à chaque consultation. Or, le partenariat implique de passer plus de temps, lors de certaines visites, avec son patient, ce qui limite le nombre de consultations par jour… Il existe donc un risque financier pour les professionnels de la santé. Ce système est mieux accueilli en maisons médicales où le système de financement est différent. »
2. La culture ambiante : » Si un nouveau médecin qui fonctionne dans le schéma du partenariat patient, arrive dans un hôpital où la productivité est au centre des préoccupations et la hiérarchie une valeur en soi, il risque de baisser les bras… »
3. La pression qui existe sur le système de soins de santé. » Les choix politiques pèsent sur la pratique des médecins. »
4. Les qualités humaines des médecins. » Ils doivent être capables de gérer leurs émotions, d’entendre un autre point de vue, de se remettre en question, de ne pas être totalement en phase avec le choix des patients. »
5. La qualité de la communication : » Le médecin doit pouvoir s’adapter à chaque patient, en fonction de ses capacités de compréhension, et bien expliquer toute information utile. Il doit également s’assurer que ce dernier a bien tout compris. »
Envie d’être partenaire de vos soins ?
Il n’est pas nécessaire pour tout médecin de se former à une telle philosophie pour instaurer une relation empathique et humaniste. Beaucoup le font spontanément. Mais de là à laisser le patient choisir son traitement, il y a un pas… Si vous souhaitez être plus actif dans cette décision avec votre médecin, vous pouvez l’y amener en exprimant clairement vos craintes sur les effets secondaires, le mode de prise du traitement, la durée du traitement, etc. » Une patiente atteinte d’un diabète de type 2 a exprimé son souhait d’être stabilisée pour la période des examens de ses enfants, afin de pouvoir les aider. L’équipe de soins a proposé un accompagnement en fonction de ce souhait « , illustre Dan Lecocq. Une autre a choisi une hormonothérapie après un cancer du sein plutôt qu’une autre, par crainte de perdre ses cheveux… Car les malades ne sont pas que des malades, ils ont aussi une vie !