Un ex-terroriste allemand retrouve ses anciens amis le temps d’un week-end. Bernhard Schlink mène ce huis clos sans concession mais non sans compassion.
En Allemagne, Bernhard Schlink est un juge réputé. Mais ce juge-là est aussi écrivain, ce qui lui permet de se mettre tout à la fois dans la peau du coupable et de la victime, du procureur et de l’avocat. Sans être contraint de livrer un verdict, car la littérature n’est pas un prétoire où se prononcent jugements définitifs et sentences irréversibles : elle se contente d’être un lieu d’écoute, une oreille posée sur les inquiétudes des hommes. A ce jeu, l’auteur du Liseur a prouvé qu’il possédait pas mal d’atouts, car son £uvre ne cesse d’ausculter les maux et les blessures de son pays natal. Avec Le Week-End, il remonte aux années noires, celles de l’hystérie terroriste qui transforma de jeunes extrémistes en assassins aveugles : de la décennie Baader-Meinhof ce roman dresse un bilan sans concession, en évoquant très subtilement les tragiques impasses d’une époque fanatisée, les leçons à tirer, la question du pardon et de la responsabilité.
Jörg, le héros de Schlink, est un ancien militant de la Fraction Armée rouge. Après avoir purgé vingt ans de prison, il a bénéficié de la grâce présidentielle, et c’est un homme affaibli – les dernières pages nous diront aussi pourquoi – qui retrouve une liberté conditionnelle. Pour fêter sa sortie de prison, sa s£ur a organisé un week-end de retrouvailles dans sa propriété joliment délabrée, du côté de Berlin. Andréas, l’avocat de l’ex-terroriste, sera là, ainsi qu’un irréductible foldingue, Marko, qui rêve que Jörg reprenne du service avec » les camarades musulmans « , pour » frapper là où ça fait vraiment mal « .
Quant aux autres invités, ce sont les anciens amis de Jörg, tous parfaitement intégrés dans une société qu’ils voulaient détruire. Ulrich, puissant directeur d’un labo, débarque dans sa Mercedes avec sa femme et sa fille, prête à jouer les lolitas pour les beaux yeux de Jörg. Henner, journaliste au Spiegel et à Stern, est aussi de la partie. Ainsi qu’Ilse, une enseignante qui est en train d’écrire un roman sur ce passé si difficile à avaler. Et puis, surgie du camp le plus inattendu – celui des anges – il y a la tendre Karin, qui, parce qu’elle est devenue pasteur, répandra prières et bénédictions sur cet aréopage de brebis jadis égarées. Son message ? Un simple verset des Evangiles. Avec ce commentaire adressé à tous ceux qui de la violence ont fait une religion : » Nous n’avons pas le droit d’imposer la vérité à autrui. «
Emaillé d’histoires anciennes – amourettes oubliées et souvenirs partagés – ce week-end sera un huis clos parfois très tendu, parfois nimbé d’une douce nostalgie, une sorte de tribunal où le juge Schlink distribue les rôles sans accabler personne. L’amitié peut-elle réparer les fautes du passé ? Est-il possible de tourner la page, quand elle est si lourde de tragédies ? Faut-il, parce qu’on a choisi de mauvaises armes, renier pour autant les idéaux d’hier ? Ces questions hantent le roman de Schlink, qui s’est frotté à un sujet très sensible en Allemagne, mais aussi en France et en Italie, après les affaires Battisti, Petrella ou Rouillan. Parce que la violence en politique est un sujet toujours préoccupant, il faut lire ce Week-End, qui à la clairvoyance historique ajoute une petite musique dont les romanciers ont le secret – la tendresse de la compassion.
Le Week-End, par Bernhard Schlink. Trad. de l’allemand par Bernard Lortholary. Gallimard, 218 p.
André Clavel