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La technologie en 2030: Doctor Robot and Mister I

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La technologie n’a jamais été autant au centre des questions éthiques. Télémédecine, profs virtuels, robots domestiques, carburants verts… Retour sur ses grandes avancées et les plus grandes craintes de la décennie 2020, à l’aube d’une nouvelle menace sur la vie privée.

 » Ma vie ne regarde que moi !  » Derrière le calicot géant, 70 000 personnes défilent dans les rues de Bruxelles pour cette cinquième marche pour les libertés, la première de l’année 2030. En ce samedi 5 janvier, la pluie et les fêtes semblent avoir émoussé la volonté des quelque 200 000 participants initialement attendus. Mais l’opération du Collectif européen pour une technologie éthique (Cete) séduit toujours autant aux quatre coins du monde. Sur les plateformes de streaming, 400 millions de visiteurs uniques, essentiellement européens, ont cette fois manifesté leur soutien à distance, à coup de likes ou de supports. Surveillance déguisée, restriction des libertés, corruption des banques de données personnelles… Tous dénoncent les conséquences potentielles de l’introduction d’un passeport européen de reconnaissance faciale, après les initiatives similaires approuvées au Brésil, aux Etats-Unis et sur le continent asiatique. Censé renforcer la sécurité des Etats membres de l’UE et leur économie numérique, ce projet de règlement annoncerait un changement de cap majeur pour une Europe isolée depuis quatre ans en tant que dernier rempart de l’attachement à la vie privée, selon les opposants du texte.

Jugera-t-on acceptable un médicament prescrit par un robot ?

 » Il est primordial de réfléchir aux conséquences éthiques des technologies développées dans les prochaines années. On ne peut imaginer le futur sans s’interroger sur sa pertinence, et surtout sur ce que nous ne voulons pas.  » Cette mise en garde, le professeur Yves Deville, professeur à l’UCLouvain et spécialiste de l’intelligence artificielle, l’avait formulée il y a dix ans déjà. De l’attaque de drones israéliens contre Gaza en 2022 jusqu’aux récentes lois régissant les relations entre les humains et les robots de compagnie dotés d’intelligence artificielle, la question s’est en effet révélée toujours plus criante : quelles limites éthiques fixer par rapport à des développements permettant à l’être humain d’emprunter presque n’importe quelle direction ?  » Les dix prochaines années seront marquées par un débat sociologique sur l’acceptation des technologies dans différents domaines. Jugera-t-on acceptable de recevoir un médicament prescrit par un robot ou de dispenser des cours sans la présence physique d’un enseignant à chaque moment de la journée ? « , questionnait, en 2020, Jeroen Franssens, senior expert talent chez Agoria, la fédération de l’industrie technologique.

Carburants verts et télémédecine

L’urgence climatique, la démographie croissante et la hausse du niveau de vie à l’échelle mondiale auront fait sauter quelques verrous idéologiques. Fin 2019, peu de monde accordait de crédit à cette prédiction techno-optimiste signée Damien Ernst, spécialiste des réseaux électriques et de l’intelligence artificielle à l’ULiège :  » En 2030, on sera capable de fabriquer du carburant vert, en combinant l’utilisation optimale des énergies vertes et la capture du CO2 dans l’atmosphère.  » Peut-être en 2050, disait-on. Mais 2030 ? Aujourd’hui, la technologie dicte pourtant toutes les stratégies environnementales. Parce qu’elle semble réussir là où les pays ne sont jamais parvenus à s’entendre, à l’échelle planétaire, sur des mesures contraignantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Depuis deux ans, les premières usines de gaz vert connectées à leurs immenses parcs photovoltaïques ont ainsi vu le jour en Afrique du Nord, en Chine et en Inde. Au Groenland, au Danemark et au Canada, c’est l’éolien qui fait tourner la production de CH4, dont les émissions lors du transport et de la combustion sont largement compensées par la capture du CO2. Avec un prix au mégawattheure presque inférieur à celui des énergies fossiles, les carburants verts rejoignent peu à peu les impératifs économiques. Un espoir, enfin.

La médecine est l’autre grande gagnante de cette décennie technologique, malgré les manifestations à répétition pour un accès moins coûteux aux soins de santé.  » Nous sommes en 2030. Quentin a 18 ans. Il y a deux ans, on lui a diagnostiqué un lymphome de Hodgkin. Grâce à l’épigénétique et à l’immunothérapie, il est sauvé. Pierre a 52 ans. Il est diabétique de type 1 depuis l’enfance. Grâce à la thérapie cellulaire, il est guéri. Marie a 79 ans. Elle souffre d’insuffisance cardiaque depuis peu, l’une des premières causes de mortalité dans le monde. Grâce à un système de pompes cardiaques composées d’une membrane ondulante qui reproduit les pulsations du coeur, elle est guérie. « 

Qui oserait par ailleurs contester le systématisme des téléconsultations, des algorithmes de dépistage de cancers ou des fréquents largages de traitements médicaux par drone, dans les régions les plus reculées ? A l’inverse de la douloureuse reconversion à laquelle se heurtent aujourd’hui les professionnels du transport, qui devraient disparaître d’ici à cinq ans, l’intelligence artificielle ne s’est jamais substituée aux médecins, pas plus qu’au personnel soignant. Les patients ont toujours besoin de contacts humains, autant que de conseils ou de traitements éclairés par des spécialistes. Même si le rôle de ces derniers a bel et bien changé, depuis que les logiciels se chargent d’établir les diagnostics dans la plupart des cas.

La nostalgie face à l’hyperconnectivité

C’est dans la vie quotidienne que le débat sur la mainmise technologique engendre le plus de crispations. Les plus de 50 ans regrettent l’époque de l’obsolète 4G, quand les divertissements en réalité virtuelle ou augmentée ne constituaient encore qu’une pétillante curiosité. Dans quelques années, il sera même question de manipulation du réel. Les plus jeunes générations, elles, saluent le règne croissant de l’hyperconnectivité propice à l’essor des voitures autonomes et des assistants domestiques personnalisés, libérant du temps pour travailler, se divertir ou s’occuper des enfants. Une tendance que la formation aux nouvelles technologies dès l’école primaire devrait encore accentuer dans les prochaines années.

En revanche, les tentatives de transition contraignantes dans le quotidien fonctionnent rarement. Initialement annoncées pour 2032, les  » zones réservées aux véhicules autonomes  » dans les centres d’Anvers et de Bruxelles ne verront pas le jour avant 2035, au mieux. Ce projet augurait une nouvelle discrimination envers les plus bas revenus. Il n’avait en outre pas établi une distinction claire entre les modules partagés et les véhicules autonomes individuels, annoncés de longue date comme les fossoyeurs des transports en commun… Alors que le RER n’est toujours pas finalisé. Même échec, en Wallonie, pour le projet de décret sur l’amélioration systématique de l’état du bâti, censé contraindre tout propriétaire d’un bien immobilier à le transformer selon les standards d’un habitat semi-passif.

Ces dix dernières années furent marquées par la répartition inéquitable des efforts climatiques et par l’attentisme européen, qui mena plusieurs secteurs conservateurs à la fameuse crise des robots en 2027. Aux prémices d’une brise technologique cette fois salvatrice, la prochaine décennie pourrait acter le retour de libertés individuelles en Europe, perçues, jusqu’il y a peu, comme autant de comportements égoïstes envers la planète. A moins qu’elle ne cède, elle aussi, aux intrusions technologiques dans la vie privée.

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