Dix de conduite

En province de Luxembourg, une école forme les délinquants de la route à la « conduite citoyenne » : une première en Belgique. Au carrefour de la prévention et de la répression, portrait d’une expérience-pilote

Il pleut sur le site de l’Euro-Space Center de Transinnes en cet après-midi de décembre. « Les conditions météo sont idéales », fait remarquer le fondateur de la Gentleman Drivers School (GDS), Gaëtan Detroz, à ses stagiaires. Agés de 18 à 27 ans, ils sont huit automobilistes à participer à une formation rodée, depuis deux, ans par ce centre de perfectionnement de conduite. Leur seul point commun? Avoir été contrôlés par la police sur le territoire de l’arrondissement judiciaire de Marche-en-Famenne alors qu’ils conduisaient sous influence d’alcool ou de stupéfiants, tout en dépassant, pour certains, la vitesse autorisée. Au lieu de leur infliger une amende ou un retrait du permis de conduire, le parquet leur a proposé une sanction alternative sous la forme d’un parcours du conducteur responsable : l’occasion d’adopter une autre façon de conduire. Au terme d’un programme de 20 heures de sensibilisation dispensé par l’Institut belge pour la sécurité routière (IBSR), Jean-François, Sophie, Abdel… passent aujourd’hui à la pratique. Sous l’oeil averti de la pilote automobile Vanina Ickx, chargée des relations publiques à la GDS, ils vont prendre le volant d’une voiture-laboratoire: celle-ci est dotée d’un ordinateur connecté au circuit de freinage ABS, à la direction et aux pédales d’accélérateur, de freins et d’embrayage. Une série de pièges de la route, liés à l’adhérence du véhicule, à la distance de freinage, à l’irruption d’un obstacle ou à l’énergie cinétique, attendent les conducteurs pour évaluer immédiatement le style de conduite et le comportement routier propres à chacun. Une dynamique de groupe s’instaure très vite qui amène les participants à regarder en face la réalité de leur comportement au volant. Du 0 de conduite décerné à l’automobiliste impulsif, qui prend des risques sans parvenir à les anticiper, au 10 de conduite pour celui qui se ménage des marges de sécurité, les profils se révèlent au fil des tests. « La GDS n’a cependant pas pour but d’enseigner des techniques réactives d’urgence qui pourraient laisser croire aux conducteurs qu’ils disposent désormais de réflexes adaptés à toutes les situations », explique Gaëtan Detroz. La formation vise avant tout à améliorer la dimension comportementale de la conduite.

« Ce stage ne m’a pas appris à conduire mais bien à réfléchir et à opter pour la courtoisie. C’est un état d’esprit qui se rappelle dorénavant à mon souvenir à chaque abord d’autoroute », affirme Albert, garagiste. Pris en flagrant délit d’excès de vitesse, à 196 km/h sur l’autoroute, en juillet 2001, il a obtenu le classement sans suite de son dossier en date du 12 octobre 2001. Soit dans un délai de moins de trois mois après l’infraction commise. Ayant bénéficié de la mesure alternative, Albert estime être un privilégié puisqu’il a échappé à un retrait de son permis de conduire, ce qui l’aurait handicapé dans l’exercice de son métier.

Comme dans d’autres secteurs de la justice, les tribunaux de police ont éprouvé toutes les limites des sanctions classiques. « L’impact des amendes sur le comportement des jeunes conducteurs reste effectivement minime », souligne le procureur du roi, Michèle Mons delle Roche. « Elles ne contribuent pas à les responsabiliser personnellement, car ce sont souvent les parents qui paient. Et les jeunes qui assurent eux-mêmes le remboursement étalé de ces contraventions versent rarement l’intégralité de l’amende. » Depuis le 16 juillet 2001, le parquet de Marche-en-Famenne propose donc une formule alternative aux délinquants routiers « primaires » non récidivistes. Les modules de formation varient en fonction de l’infraction commise. Exemples : un excès de vitesse est « sanctionné » par 10 heures de cours (gratuits) à l’IBSR, plus une formation de 4 heures par la GDS au tarif préférentiel de 111 euros (4 500 francs) pour les automobilistes et de 54 euros (2 200 francs) pour les cyclomotoristes . Des faits d’agressivité au volant, un défaut d’assurance ou de permis de conduire valent à leur auteur 10 heures de cours à l’IBSR. Quant au jeune qui circule sans casque ou à bord d’un cyclomoteur dont la puissance a été augmentée, le délégué au procureur lui adressera un « rappel à la loi ».

Installé depuis juillet 2001 au premier étage du palais de justice de Marche-en-Famenne, Pierre Dumont assume un rôle central dans la mise en oeuvre, au cas par cas, de cette procédure à vocation éducative. Agé de 48 ans, père de deux enfants, il estime avoir le beau rôle aux yeux des justiciables : « N’étant ni policier ni magistrat, je n’ai pas à les juger, ni à leur faire la morale. » Au cours d’un entretien avec chaque contrevenant qui accepte la proposition, Pierre Dumont s’assure de l’engagement personnel du jeune au seuil de ce parcours du gentleman conducteur. Trois mois après la formation théorique à l’IBSR et le stage pratique à la GDS, les conducteurs, qui, entre-temps, ont pu bénéficier du classement sans suite de leur dossier, sont invités à répondre à un questionnaire mis au point par le service de criminologie de l’université de Liège. La première évaluation débute en ce mois de janvier…

Grande distinction

Sur les 90 dossiers confiés au délégué du parquet marchois depuis le mois de juillet 2001, seuls deux contrevenants ont refusé l’alternative de la formation. Deux autres personnes, qui l’avaient acceptée, ont fait défaut lors des stages. Ils sont donc cités à comparaître devant le tribunal de police. 38% du total des dossiers concernent des excès de vitesse, suivis par 20 % de défauts d’assurance ou de permis de conduire et 12 % de conduite sous influence d’alcool ou de stupéfiants. Les bons conducteurs ont bénéficié d’un classement sans suite de leur dossier, évitant ainsi l’amende, la déchéance de leur permis de conduire et l’inscription d’une condamnation au casier judiciaire. Les premiers résultats enregistrés par le parquet de Marche-en-Famenne tendent à décerner la grande distinction à la province de Luxembourg pour sa longueur d’avance en matière de prévention routière. Si elle est généralisée à l’ensemble des arrondissements judiciaires, cette sanction éducative pourrait, parmi d’autres mesures, participer efficacement au projet européen de réduire de moitié le nombre d’accidents mortels d’ici à 2010.

Chantale Anciaux

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