Dilma, l’élue de Lula

Assurée de succéder au président, peut-être dès le premier tour, le 3 octobre, Dilma Rousseff doit beaucoup à son mentor, qui l’a imposée. Victime de la torture sous la dictature, cette gestionnaire implacable a consacré sa vie à la politique. Portrait.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

Elle a d’abord dit non. Le 10 septembre dernier, Dilma Rousseff, 62 ans, a fait savoir à son entourage qu’elle n’exploiterait pas à des fins électoralistes l’image de Gabriel, le premier bébé de sa fille unique Paula, venu au monde quelques heures auparavant.  » La naissance de mon petit-fils n’est pas un événement de campagne « , assène ce jour-là la candidate du Parti des travailleurs (PT) à ses conseillersà qui lui démontrent le contraire. Pour eux, un cliché de Dilma avec ce nouveau-né dans les bras est l’occasion rêvée, à trois semaines du premier tour, d’adoucir l’image austère de cette femme deux fois divorcée, aujourd’hui célibataire et réputée un tantinet autoritaire. La présidence du Brésil (200 millions d’habitants ; 10e économie de la planète) vaut bien une concession à la  » pipolade « .

Refuser la séance photos ? Dilma – au Brésil, on désigne presque tous les politiciens par leurs prénoms – savait qu’elle pouvait se payer un tel luxe. Grande favorite du scrutin du 3 octobre, la dauphine de Lula se sait d’ores et déjà élue dans un fauteuil. Peut-être dès le premier tour. Ou, au plus tard, lors du second, le 31 octobre. A une semaine du vote, les sondages lui accordaient 30 points d’avance sur son opposant du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), José Serra (53 %, contre 23 %) .

Fille d’un immigré communiste bulgare

 » Le raz de marée à venir est sans équivalent depuis la redémocratisation en 1985, souligne Luciano Suassuna, directeur de la rédaction du portail Ig.com.br, le premier média numérique du Brésil. Même Lula n’en aura pas connu de pareil.  » Ce triomphe annoncé, cependant, Dilma le doit avant tout à la fabuleuse popularité de l’ancien syndicaliste, qui bénéficie de 80 % d’opinions favorables. Après huit ans au pouvoir, la Constitution lui interdit de briguer un troisième mandat.

Du coup, avant de tirer sa révérence, Lula s’est engagé dans la campagne de sa protégée comme si sa propre vie – et sa postérité – en dépendaient.  » Dilma possède une intelligence et une capacité d’analyse extraordinaires, répète-t-il, lors des meetings. Lorsque j’ai évoqué son nom pour me succéder, certains ont dit :  »Lula est à côté de la plaque ; il pousse une femme inconnue, inexpérimentée en politique, jamais élue, absente des débatsà » Bientôt, vous verrez comme ils avaient tortà  » Ancienne secrétaire d’Etat dans le Rio Grande do Sul (capitale : Porto Alegre), Dilma a rejoint il y a sept ans Brasilia, où Lula l’a nommée ministre de l’Energie, avant de la propulser, en 2005, chef de la Maison civile – un poste équivalant à celui de Premier ministre.

Depuis l’adolescence, cette fille d’un immigré communiste bulgare s’est consacrée à la politique. Comme son adversaire José Serra, alors syndicaliste étudiant contraint à l’exil, Dilma a milité contre la dictature brésilienne (1964-1965). Et payé au prix fort, celui de la torture et de la prison, cet engagement. Née à Belo Horizonte (Etat du Minas Gerais) dans une famille de la classe moyenne aisée, Dilma Vana Rousseff a 16 ans lors du coup d’Etat militaire, le 31 mars 1964. Scolarisée dans un collège public après l’avoir été chez les religieuses du collège Notre-Dame de Sion, elle découvre les idées socialistes et s’intéresse à la révolution cubaine. La jeune fille s’engage dans PolOp (Politica Operaria – Politique ouvrière), un groupuscule trotskiste, dont elle deviendra l’un des piliers.  » Nos modèles s’appelaient Emma Goldman et Angela Davies, la féministe libertaire et la militante des droits civiques « , se rappelle son amie Eleonora Menicucci, aujourd’hui vice-recteur de l’université de São Paulo.

En 1967, le campus de la fac de Belo Horizonte, où elle étudie l’économie, est l’un des hauts lieux de l’agitation politique. Dilma se radicalise et rejoint le Commando de libération nationale (Colina), une organisation qui prône la lutte armée. L’année suivante, alors que les généraux au pouvoir suspendent la Constitution et se livrent à une répression sévère, Dilma déménage à Rio de Janeiro et plonge dans la clandestinité. En 1969, elle adhère à l’Avant-garde armée révolutionnaire (VAR-Palmares) dont elle devient, malgré son jeune âge, l’un des sept leaders nationaux.

Ses bourreaux la nomment  » papesse de la subversion « 

 » Très tôt, Dilma s’est éloignée de la voie militariste, vouée selon elle à l’échec, témoigne Darcy Rodrigues, ex-chef militaire de l’organisation clandestine. Elle prônait une ligne politique dans l’espoir de créer un mouvement ouvrier de masse. On se retrouvait deux ou trois fois par mois lors de réunions secrètes dans des appartements de Rio ou, furtivement, en pleine rue, afin de se transmettre des messages. « 

En janvier 1970, tout ce manège s’arrête :  » Estela  » – l’un de ses noms de code – est arrêtée. Et transférée au Département de l’ordre public et social (Dops) de São Paulo, centre de torture récemment transformé en Mémorial de la résistance à la dictature. C’est là que la  » papesse de la subversion « , comme la nomment ses bourreaux, est suppliciée pendant vingt-deux jours.  » Dilma a été la plus durement torturée, se remémore Eleonora Menicucci, elle aussi emprisonnée. Déshabillées, nous étions suspendues et frappées pendant des heures. Le pire était le supplice du manche à balai : entouré de fils électriques, ils l’enfonçaient dans le vagin. Puis ils branchaient le courant. « 

Condamnée à six ans d’emprisonnement (elle en fera trois), Dilma est incarcérée à la prison Tiradentes de São Paulo, aujourd’hui détruite, avec une soixantaine d’autres détenues politiques. Afin de tuer le temps, elles se consacrent aux échecs, à la couture, à la lecture.  » Dilma brodait très bien, mais, en cuisine, c’était une catastrophe « , se souvient Rose Nogueira, devenue journaliste. Insomniaque, Dilma dévore des livres d’économie et de français.

A l’été 1970, tout le Brésil a les yeux fixés sur le Mondial de football. Les prisonnières suivent les exploits de Pelé sur un téléviseur. Un débat surgit parmi les détenues : faut-il soutenir la Seleção, sachant que le régime du général Medici instrumentalise le football afin d’accroître sa popularité ?  » Pour Dilma, l’amour du Brésil primait sur le reste : elle a convaincu les autres d’appuyer le onze brésilien « , raconte Rose Nogueira. Ce nationalisme s’exprime à nouveau lorsque la dictature étend unilatéralement la zone de ses eaux territoriales de 12 à 200 miles nautiques.  » Contre la majorité d’entre nous, reprend Rose Nogueira, elle approuvait cette décision. Car, disait-elle, la dictature s’achèverait un jour, mais le Brésil, jamais.  » L’Histoire lui a donné raison : la compagnie Petrobras a découvert il y a trois ans, à l’intérieur de la zone économique exclusive, de gigantesques réserves de pétrole.

Si l’on se fie à ces anecdotes, la présidence Dilma portera la marque d’un certain nationalisme typiquement brésilien. La chasse au gaspillage et la rationalisation sont les spécialités de Dilma Rousseff.  » Dans les années 1990, lorsqu’elle était chargée des questions énergétiques au sein du gouvernement du Rio Grande do Sul, cet Etat fut l’un des rares à faire face à l’épidémie de mégapannes d’électricité qui sévissaient alors à travers le pays « , rappelle Fernando Pimentel, ancien maire (PT) de Belo Horizonte et fidèle ami de jeunesse qui sera l’un des hommes clés de son gouvernement. C’est cette culture de l’efficacité qui lui valut d’être propulsée  » super-chef de cabinet  » du président Lula. Un poste où, depuis 2005, elle pilote et coordonne les investissements liés à l’ambitieux Programme d’accélération de la croissance (PAC).

Tout en combattant un cancer du système lymphatique dont elle est officiellement guérie, la  » mère du PAC « , comme la surnomme Lula, fait tourner l’énorme machine administrative brésilienne à plein régime, et, parallèlement, coordonne le travail de ministères concurrents.  » Exigeante avec son entourage, elle est infatigable « , confie un collaborateur de longue date qui ne dément rien lorsqu’on l’interroge sur le tempérament de sa patronne.  » Disons qu’elle n’est pas toujours de bonne humeur le matin, reconnaît-il en souriant. Alors, on lui prépare du café.  » Brésilien, bien sûr.

A. G.

elle convainc ses codétenues de soutenir le onze brésilien

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