Malgré un revers aux législatives de septembre, le parti d'extrême droite AfD est représenté au Bundestag depuis deux législatures. A ce titre, il est éligible aux subsides prévus pour les fondations politiques. © BELGA IMAGE

Dilemme démocratique

La fondation Desiderius-Erasmus, proche du parti d’extrême droite AfD, réclame sa part des 660 millions d’euros alloués chaque année aux fondations politiques. Faut-il dès lors lier ce financement au respect des principes démocratiques?

L’adresse est prestigieuse: 21, avenue Unter den Linden, au coeur de Berlin. Mais sur place, ni bureau ni secrétaire. La fondation Desiderius-Erasmus (DES), proche du parti d’extrême droite AfD, en est à ses balbutiements. Financée par des dons privés, elle ne compte qu’une soixantaine de membres et repose surtout sur la personnalité de sa présidente, la sulfureuse Erika Steinbach, qui compte bien faire enfin entrer sa fondation dans la cour des grands. Cette ancienne élue de la CDU, qui a quitté le parti en 2017 pour protester contre l’orientation centriste de la politique d’Angela Merkel, réclame pour la DES des millions d’euros de fonds publics, comme pour les autres fondations politiques du pays.

L’Etat doit-il financer les moyens de saper la base du0026#xE9;mocratique sur laquelle il repose?

En Allemagne, les ambitions de la Desiderius-Erasmus inquiètent. « Il n’est pas possible que des fonds publics, alloués pour encourager le développement de la démocratie, soient accordés à une institution qui veut la désagréger! », s’insurge le député Vert Konstantin von Notz. Et de rappeler les mises en garde des services de renseignement intérieur à l’égard de la « nouvelle droite » et de ses tentatives de « révolution culturelle de droite »: l’ Office fédéral de protection de la constitution a placé une partie de l’AfD et de ses satellites sous observation.

Former le personnel politique

Sur son site internet, la DES annonce la couleur. La dernière manifestation organisée, le 10 novembre, était un exposé sur « la criminalité clanique en Allemagne, un danger sous-estimé », allusion aux groupes criminels étrangers qui défraient la chronique policière et juridique du pays. En juin, un séminaire en ligne était organisé sur le thème « Une théologie de l’amour et de la haine en islam et ses conséquences pratiques ». Les fondations politiques sont un acteur important de la démocratie allemande. Outils de formation politique et d’éducation à la citoyenneté, elles se donnent pour objectif de contribuer à promouvoir la culture et les valeurs démocratiques. Elles organisent des séminaires, accordent des bourses à des étudiants, font un travail de recherche politique, se rendent dans les écoles, forment les élites de demain… Chaque parti politique a la sienne, dotée d’un profil propre. La fondation Friedrich Ebert, proche du SPD social-démocrate, soutient par exemple le travail syndical en Afrique du Sud et oeuvre au rapprochement israélo-palestinien. La fondation Friedrich Naumann, proche des Libéraux, organise des séminaires pour chefs d’entreprise. La fondation Böll, proche des Verts, est très active pour défendre les droits de l’homme et le climat…

Les six partis les plus anciens du Bundestag se partagent chaque année 660 millions d’euros de soutiens publics, soit bien plus que les 250 millions d’euros alloués par l’Etat aux partis politiques. L’usage veut qu’il faut être représenté au Bundestag pendant deux législatures consécutives pour prétendre au pot commun. C’est désormais le cas de l’AfD. Le parti d’extrême droite, entré au Bundestag en 2017, compte quatre-vingt-trois députés dans la nouvelle assemblée élue fin septembre. Erika Steinbach a donc fait ses calculs et présenté ses prétentions à la commission financière du Bundestag chargée du financement des fondations: elle réclame pour la Desiderius-Erasmus sept millions d’euros pour 2021, quatorze millions d’euros par an à compter de 2022. Au dam des opposants de l’AfD, qui voient déjà l’Etat financer prochainement les moyens de saper la base démocratique sur laquelle il repose.

« L’AfD, née en 2013, est un jeune parti, rappelle le politologue Johannes Kiess de l’université de Leipzig. Un de ses problèmes est de ne pas disposer du personnel politique nécessaire à son développement local et régional. Lors des élections régionales de Saxe (ex-RDA) en 2019, l’AfD a obtenu de très bons résultats mais n’avait pas suffisamment de candidats pour occuper tous les postes. L’une des tâches de la DES sera de former du personnel politique présentable, donc sans passé nazi, sur lequel le parti pourra s’appuyer. » La fondation offre déjà des sessions de formation pratique aux intitulés tels que « séminaire d’introduction politique aux finances publiques, au droit public et à la communication politique » ou « séminaires sur la politique locale: du champ au terrain constructible ». « Il s’agit là de connaissances techniques très importantes pour les membres du parti qui voudraient s’engager à l’échelon local », souligne Johannes Kiess.

Une loi trop tardive

Jörg Meuthen, l’un des chefs de l’AfD, explique ainsi l’ambition de son parti: « Nous avons besoin d’un nouveau think tank de droite », qui donnera à l’AfD un nouvel élan intellectuel. « L’objectif est que l’AfD puisse s’appuyer sur des textes écrits par des auteurs dotés d’un titre académique quelconque, sur les questions climatiques ou sanitaires par exemple, pour avoir un document en main permettant d’affirmer qu’on s’appuie sur une soi-disant vérité scientifique », résume le conseiller en politique Johannes Illje. « La fondation DES veut développer le terreau politique, académique, intellectuel qui consolidera l’influence de l’AfD sur la société, ajoute Katja Böhne de la Fondation Anne Frank, qui lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Ils appellent cela « enrichir le discours politique », par le biais de cours dans les universités, de publications, des bourses d’étudiants… Et au final, on aura des juristes, des médecins, des journalistes formatés par l’extrême droite. On a besoin, enfin, d’une loi sur les fondations, qui lie la question du financement public au respect des principes démocratiques. »

En discussion depuis des années, ce texte voulu aussi par les Verts pourrait voir le jour d’ici à la fin de la nouvelle législature. « La loi arrivera malheureusement trop tard, estime Johannes Hillje. On ne pourra sans doute pas empêcher le financement public de la Desiderius-Erasmus. Mais on pourrait mettre en place un cadre qui permette de vérifier l’usage des fonds publics. »

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