Inspecteur de l’enseignement religieux protestant, Guy Rainotte est passé derrière la caméra pour faire parler de leur foi des jeunes issus des trois religions monothéistes. Rafraîchissant !
Le Vif/L’Express : Jamais on n’a autant parlé de religion dans le monde mais ce qu’en pensent les jeunes non traditionnalistes, on l’ignore…
> Guy Rainotte : ce sont eux qui, précisément, m’intéressent. En même temps qu’ils cessaient de croire à Saint-Nicolas, ils ont souvent laissé tomber les aspects légendaires de leur religion. Le tort de la catéchèse est d’avoir mis l’accent sur la matérialité de la théologie, comme les preuves historiques de l’existence de Dieu ou les miracles. La question du sens est restée à l’arrière-plan. Si leur famille ne porte pas un témoignage et si eux-mêmes n’éprouvent pas le besoin psycho-affectif de se projeter dans un au-delà d’eux-mêmes, à la fois sur le plan spirituel et sur le plan relationnel, alors, il ne se passe plus grand-chose. Ce qui ne veut pas dire » rien « . Peut-être sont-ils amenés à évoluer comme ceux qui disent : » Je ne crois pas en Dieu, mais je suis juif . » Cela ne fait évidemment pas l’affaire du christianisme, qui n’est pas préparé à cette remise en question, à cette montée d’un » je » qui mixe les symboles.
La question reste : comment transmettre un héritage religieux, avec sa spiritualité mais aussi le savoir qui l’entoure : le sens des rituels, l’histoire… ?
>Par un travail de réappropriation critique, un appel à la réflexion. Il faut confier l’étude du fait religieux aux lieux de culture et d’éducation et faire des cours de religion une » communauté de recherche de sens « , à visée philosophique, où l’on apprend à réfléchir par soi-même, dans la nuance et l’écoute des autres points de vue que le sien. Et, d’après mon expérience, seul le témoignage porte. D’après mon expérience, plutôt qu’un cours d’enseignement encyclopédique du fait religieux, ce qui touche les jeunes, c’est quand l’enseignant qui leur donne cours » parle vrai « . Quand je ne leur en avais pas dit assez, mes élèves m’interpellaient souvent sur mes propres valeurs et convictions.
Dans une ambiance de sur-exposition médiatique pas toujours positive, est-ce facile de se dire » catholique » ou » musulman » ?
>Depuis Vatican II, les catholiques ne sont plus dans une religion monolithique. Les jeunes sont, bien sûr, interpellés par ce que dit le pape mais ils savent faire la part des choses. En revanche, j’ai rencontré chez les jeunes musulmans une peur énorme par rapport à une aile très dure de l’islam. Même avec la permission de filmer sur le campus de l’ULB, j’essuyais des refus. Il a fallu l’aide de mon collègue Salah Echalloui pour mettre des jeunes en confiance, afin que leurs langues se délient face à la caméra. Je n’ai pas voulu stigmatiser les intégrismes, quels qu’ils soient, de sorte que j’ai supprimé les propos trop revendicatifs. Mais je suis fier que mon film puisse donner un appui à ceux qui s’éprouvent comme différents dans leur communauté.
ENTRETIEN : MARIE-CÉCILE ROYEN