Dans In the Fade, Diane Kruger a dû casser l'image glamour qui lui colle à la peau. © AARON RICHTER/reporters

Diane Kruger révélée

Premier film allemand de la comédienne, In the Fade l’a propulsée dans une autre dimension. Prix d’interprétation cannois à la clé.

Voilà une quinzaine d’années que Diane Kruger délaissait les catwalks pour les plateaux de cinéma, le mannequinat pour le métier d’actrice. Une décision dont la comédienne allemande, naturalisée américaine, n’a eu qu’à se féliciter, enchaînant, à compter de Mon idole en 2002, les films des deux côtés de l’Atlantique, un pied à Hollywood et l’autre en France.  » J’ai de plus beaux rôles en Europe qu’aux Etats-Unis, mais j’aime beaucoup vivre là-bas, et j’apprécie aussi la démesure des films américains qui sont plus divertissants, soupèse- t-elle dans un français parfait alors qu’on la retrouve, détendue et souriante, dans un restaurant du VIIIe arrondissement de Paris. Tourner aux USA reste un rêve, mais je suis quand même très européenne, et le cinéma d’ici me convient plus, dans ce qu’il dit également. Les films sont souvent plus profonds.  »

La fin d’une longue attente

In the Fade, de Fatih Akin, le réalisateur allemand d’origine turque de De l’autre côté, en est l’illustration. Si la comédienne a aligné divers rôles marquants tout au long de son parcours – au premier rang desquels, bien sûr, ceux de Bridget von Hammersmark dans Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, de la Marie-Antoinette des Adieux à la reine, de Benoît Jacquot, ou encore d’Anna dans Mr. Nobody, de Jaco Van Dormael -, celui de Katja Sekerci, une femme voulant se venger de la mort de son mari et de son fils, tués dans un attentat d’extrême droite (rien d’anodin, dans un contexte  » effrayant  » de résurgence du racisme et des nationalismes) la propulse dans une autre dimension. Le jury cannois présidé par Pedro Almodovar ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui lui a octroyé le prix d’interprétation en dépit des réserves suscitées par le film, première d’une série de distinctions qui pourrait fort bien la conduire aux Oscars (dont les nominations sont attendues à l’heure de boucler ce numéro). Diane Kruger y est tout simplement exceptionnelle, il est vrai, dans un mélange de vulnérabilité et de détermination sous haute tension, et pour cause…

Mais si In the Fade est appelé à occuper une place à part dans sa filmographie, ce n’est pas uniquement en raison de la qualité de sa composition et du concert de louanges qui l’accompagne. Le film est aussi le premier qu’elle tourne en Allemagne, et même dans sa langue natale.  » Cela fait vingt-cinq ans que je suis partie. A l’époque, je n’étais pas actrice, si bien que je ne connais personne dans le cinéma allemand. Une fois que j’ai débuté en France, puis aux Etats-Unis, j’ai senti que les Allemands m’en ont un peu voulu. J’ai donc fait carrière ailleurs, et même si j’étais très connue en Allemagne, je n’ai jamais senti dans leur chef une envie de me faire tourner un film allemand. Peut-être pensaient-ils que je n’en avais pas envie moi non plus, alors que moi, cela fait longtemps que j’attendais un rôle de l’Allemagne…  »

La délivrance sera donc venue de Fatih Akin, l’un des fers de lance du cinéma germanique contemporain depuis que Gegen die wand lui a valu l’Ours d’or de la Berlinale, en 2004. Le cinéaste hambourgeois, la comédienne l’avait approché à l’occasion du festival de Cannes en 2012, quand elle siégeait dans le jury présidé par Nanni Moretti.  » Sur papier glacé, son cinéma n’a rien à voir avec moi. Mais j’ai toujours considéré Fatih comme un cinéaste très moderne. Je connais tous ses films, et je trouve qu’il a un regard très frais sur la société allemande telle qu’elle se présente aujourd’hui. Il n’est pas dans le passé de ce pays, une chose que j’apprécie.  » Encore fallait-il qu’un projet puisse les rassembler. In the Fade serait donc celui-là, même si le personnage de Katja est objectivement assez éloigné de l’image glamour généralement projetée par la comédienne.  » J’ai eu très peur à la lecture du scénario, confesse-t-elle. J’étais consciente que cela pouvait être un des rôles de ma vie, mais je n’étais pas sûre du tout d’y arriver, parce qu’il était très loin de moi, en effet. C’est venu avec le temps, et une longue préparation, il m’a fallu près de six mois pour avoir le déclic, et comprendre qui était cette personne.  »

Avec le réalisateur Fatih Akin, l'actrice a renoué avec la culture allemande.
Avec le réalisateur Fatih Akin, l’actrice a renoué avec la culture allemande.© sdp

Trouver son futur

Pour s’en pénétrer, Diane Kruger a rencontré des victimes d’attentats. Une expérience bouleversante, qui l’a accompagnée durant le tournage, et au-delà.  » Je n’ai pas d’enfant. La perte d’enfant par un meurtre violent, je peux imaginer combien c’est difficile. Mais je voulais faire des rencontres et écouter, pour savoir comment on peut vivre avec cela, ou même si c’est possible. Au début, j’assistais à des groupes de parole, et je posais des questions. Mais très vite, j’ai compris qu’il fallait que je me taise, pour écouter. J’ai été confrontée à une souffrance et un chagrin impossibles même à décrire. Et ces histoires ont commencé à me hanter, je n’arrivais plus à oublier ce que je voyais dans leurs yeux ni ce que j’entendais, c’est devenu une obsession. Je me suis liée avec certaines de ces personnes, et j’ai compris la responsabilité que j’avais d’être leur voix, parce qu’on les oublie. On ne parle pas des gens qui restent. Il était hyperimportant que ce portrait soit au plus juste de ce que je pourrais faire sans l’avoir moi-même vécu.  »

Et de confier l’anxiété quotidienne l’ayant habitée bien au-delà du clap de fin de tournage, pour ne se dissiper qu’au lendemain de la projection cannoise du film. A l’inverse de sa prestation, saluée de toutes parts, In the Fade n’a toutefois pas fait l’unanimité, suscitant une controverse nullement retombée à l’heure de sa sortie en salles, pour son côté caricatural et son apologie de la loi du Talion notamment. Ce dont elle est bien consciente, mais qu’elle désamorce d’une formule non dénuée de vérité :  » Parler d’un film de vengeance est trop simple, c’est le parcours d’une femme qui cherche à trouver son futur.  » Celui de Diane Kruger, s’annonce, à l’instar de son sourire, rayonnant, et pas seulement parce que la consécration cannoise tient aussi de la reconnaissance personnelle.  » J’ai mis tellement de moi, traversant une période sombre et allant à la limite de mes forces, qu’être reconnue par mes camarades et mon métier a constitué un soulagement et une fierté « , observe- t-elle. L’essentiel, pourtant, n’est pas là. De son propre aveu, In the Fade n’est pas seulement un cap déterminant dans son parcours de comédienne, il a aussi changé sa vie.  » Humainement, ce film m’a apporté beaucoup. La rencontre avec ces gens m’a permis de remettre les pendules à l’heure. J’ai réalisé combien ma vie était privilégiée par rapport au chagrin, à la souffrance, à la vérité qu’ils vivent. Et je me suis découvert une empathie dont je ne me pensais pas capable.  »

S’y sera ajouté le fait de renouer, l’air de rien, avec une part d’elle-même en retrouvant son pays :  » Ce n’est pas forcément la langue, parce que je parle souvent allemand, cela ne constituait donc pas un soulagement. Mais j’avais commencé à oublier la culture allemande. Cela fait vingt-cinq ans que je suis partie, et le fait de revivre en Allemagne pour la première fois depuis si longtemps (NDLR : la comédienne est retournée s’y installer deux mois avant le tournage pour préparer le film avec Fatih Akin) m’a remise un peu à ma place. Je me suis reconnectée avec mes racines. Des choses du quotidien qui font que je suis Allemande, alors même que je commence à me sentir étrangère, me sont revenues, et cela m’a fait énormément de bien. Je me suis vraiment sentie à ma place, c’était joyeux pour moi.  » De là à retenter l’expérience ?  » Oui, à condition que le film ait une ouverture sur le monde.  » A son image…

Affaire Weinstein : un premier pas

Difficile, actualité oblige, de ne pas évoquer avec Diane Kruger l’affaire Weinstein et ses suites, qui secouent la planète cinéma et au-delà :  » Un premier pas est fait, estime la comédienne. Les victimes bénéficient en ce moment d’une large plateforme pour s’exprimer. Il faudra suivre l’affaire pour savoir si, dans six mois, on ne fait pas marche arrière, et si les choses changent vraiment, parce que c’est nécessaire. Hollywood reste quand même un « boys club ». Mais cela ne concerne pas que Hollywood : partout dans le monde, et dans d’autres métiers, il est important que les choses évoluent.  »

Les attitudes inappropriées, Diane Kruger y a été confrontée  » de tout temps. Plus jeune, quand j’étais mannequin, c’était pire. Mais en grandissant, on a tellement l’habitude, nous les filles, de se retrouver parfois dans des situations périlleuses avec les hommes – l’habitude qu’on nous parle d’une certaine manière, ou d’être traitées différemment sur un plateau – qu’on arrive à naviguer et à essayer de s’en sortir. Je l’ai appris, mais même cela, ce n’est plus acceptable.  » Rien à voir avec le rapport de séduction souvent induit par le cinéma :  » Il n’y a rien de malsain à cela. Je me suis sentie très aimée à travers la caméra de Fatih Akin, mais il s’agit plus d’estime que d’attraction. Ce qui doit changer, c’est l’abus de pouvoir, et un comportement entre hommes à l’égard des femmes. Il faut aussi régler la différence de rémunération. Il appartient à cette génération d’y arriver, et on a besoin des hommes également. Je suis optimiste en tout cas. Aux Etats-Unis, cela va très loin, et il était temps : on balance tout, et on verra où cela se termine. Je suis avec eux. Il est important, pour nous les femmes, d’être vraiment unies, peut-être pour la première fois depuis 1968. Parce que cela entre aussi en ligne de compte : les femmes ne sont pas toujours forcément dans l’entraide, on assiste peut-être au vrai départ pour une plus grande solidarité. Je l’espère.  »

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