Caroline Lamarche

Devant l’immense

Une fois par mois, l’écrivaine belge sort de sa bibliothèque un livre qui éclaire notre époque.

Le Français Thomas Pesquet, « notre nouveau Napoléon » selon un blogueur ironique, serait-il le doigt qui cache la Lune? On se passionne pour son journal de bord, les détails de la vie dans la capsule SpaceX – menus (un plat de mouton), intermèdes festifs ou ménagers (passer l’aspirateur), réponses aux questions d’en bas (est-ce que vous regardez la télé? ) – sans oublier le déjà-vu des photos de la Terre depuis là-haut. Le tout semble destiné à appâter les touristes milliardaires avides de fuir la planète que leur train de vie détruit. Il n’y a pourtant pas si longtemps, depuis cette Terre que nous regardons si mal, la voûte étoilée réveillait des rêves d’infini. « Je marche à l’aube, scrutateur d’un noir sans bruit », écrivait il y a cinquante ans le grand poète Philip Larkin en prélude à sa journée d’écriture. Dans le même poème (repris dans le recueil bilingue La Vie avec un trou dedans), il se dit « sidéré par la propreté de la lune », promesse d’un « inentamé quelque part ». En Belgique, les éclairages routiers ayant éteint le ciel, nous n’avons plus aucune idée de ce qu’était la Voie lactée, cette « soeur lumineuse » célébrée il y a un siècle par Apollinaire. Pourtant, quelqu’un réussit aujourd’hui encore à réveiller le mystère. Une scientifique qui, après avoir affronté la misogynie d’un milieu masculin, a tracé son chemin comme astrophysicienne, spécialiste, entre autres, du télescope Hubble. C’est elle, Rebecca Elson, morte d’un cancer à seulement 39 ans, qui nous a laissé A Responsibility to Awe, recueil posthume devenu culte.

Le recueil posthume de Rebecca Elson est devenu culte.
Le recueil posthume de Rebecca Elson est devenu culte.© DR

Là où une approche plus littérale aurait pu traduire ce titre par « un devoir d’émerveillement », Devant l’immense est un choix aussi percutant que judicieux. Au fil des pages, la précision mathématique et l’émotion poétique se marient dans une forme d’une dense simplicité. Peu de mots, quelques strophes ouvrent l’immensité de la voûte étoilée, le cocon de l’observatoire, la nage dans le ciel comme dans une mer dont les vagues courent au rivage où rêvent les humains, petites choses humides et flottantes. A l’heure où la Lune a perdu son mystère, Rebecca Elson s’interroge: « Et s’il n’y avait pas de lune? » Il n’y aurait pas de mois, pas de nuit éclatante, pas de terreur sacrée lors des éclipses, « pas d’endroit où se tenir/pour regarder la terre se lever ». Et s’il n’y avait plus de poésie, elle qui éclaire aussi la nouvelle, le roman? Ne resterait de la lecture qu’une capsule qui nous bombarderait d’images types. La fine attention et l’ironie légère de Rebecca Elson ne s’attachent pas qu’à la théorie de la relativité ou au Big Bang, mais au figuier de son jardin, au linge flottant dans le vent ou à la vie silencieuse de l’électroménager. L’édition, bilingue, permet de goûter la sobriété de la traduction tout en affinant nos propres sensations dans le léger écart, inévitable, entre l’original et son rendu en français. Appropriation double, réglage de notre petit télescope intime à l’affût des trouvailles qui scintillent dans le ciel du poème.

Devant l'immense, par Rebecca Elson, traduit de l'anglais par Sika Fakambi, éd. L'arbre de Diane, 156 p.
Devant l’immense, par Rebecca Elson, traduit de l’anglais par Sika Fakambi, éd. L’arbre de Diane, 156 p.

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