Des milliards de nomades

L’homme moderne est connecté ou n’est pas. GSM, MP3, GPS, Netbook, Wi-Fi, clé USB, oreillette Bluetooth… Les objets nomades numériques nous envahissent. Pour le meilleur. Et pour le pire ? Tour d’horizon des nouvelles tendances.

Imaginer que la majorité des automobilistes seraient équipés d’un GPS indiquant le chemin à suivre, qu’on puisse surfer sur Internet à partir d’un téléphone mobile ou télécharger des jeux et de la musique sur le même appareil… Il y a à peine vingt ans, tout cela relevait carrément de la science-fiction. Avec le développement du Wi-Fi, de la technologie à haut débit 3G et des écrans tactiles, ce qui paraissait encore utopique voici cinq ans, est désormais accessible, presque banal. Voilà l’homme (ou la femme) moderne transformé en nomade, relié en permanence au monde grâce à des objets de haute technologie sans fil et de plus en plus petits. Aujourd’hui, nous pouvons consulter nos e-mails, écouter de la musique, regarder la télé tout en marchant ou en roulant. Nous sommes devenus les héros des best-sellers de SF d’hier.

Et ce n’est pas près de s’arrêter. Chaque semaine voit son lot de nouveautés arriver sur le marché. Fin juillet, le Financial Times révélait que la société Apple devrait lancer pour la fin de l’année une tablette multimédia tactile ultraplate, équipée d’un écran dix pouces et d’un accès à l’Internet en 3G. Ce nouveau joujou de la firme américaine permettra d’écouter de la musique, en consultant le livret de l’album et des infos sur le chanteur, de visionner des films, des photos, de lire des livres, etc. Habituellement frileuse, l’industrie du disque se montre d’ores et déjà très intéressée. Les éditeurs de livres numériques également. Assistera-t-on enfin au décollage de l’e-book, grâce au groupe californien ? Le succès spectaculaire des iPod et des iPhone laisse augurer une nouvelle petite révolution technologique et commerciale.

On ne peut que le constater : les prédictions de Jacques Attali deviennent déjà réalité. Le deuxième millénaire verra le triomphe des objets nomades, affirmait l’écrivain, il y a plusieurs années. Nous y sommes. Il ajoutait que ces objets nomades, de plus en plus légers et simples à utiliser, comme le Walkman en 1979, induisent des bouleversements dans notre mode de vie, dans nos relations sociétales et dans les nouvelles formes de travail. Attali voit le nomadisme planétaire actuel comme une nouvelle idéologie. Pour lui, c’est le nomadisme, la mobilité qui est à l’origine de toutes les civilisations humaines.

Tout-au-mobile

Les deux outils clés de cette mutation en marche sont le téléphone mobile et l’Internet. Aujourd’hui, chaque individu peut avoir une adresse non territoriale, à savoir un numéro de téléphone et/ou une adresse e-mail. Désormais, le mobile donne accès à Internet. Surtout depuis l’arrivée de l’iPhone d’Apple, les téléphones portables ne servent plus seulement à téléphoner. Avec l’iPhone et son écran tactile, tout est devenu possible. Le mobile sera l’objet nomade du xxie siècle. La baisse des ventes de PC en est une preuve indéniable. Au Japon, toujours à la pointe en matière d’évolution culturelle liée à la technologie, les ventes de PC de bureau et même de PC portables ne cessent de diminuer, depuis 2007. Plus d’un Japonais sur deux utilise son téléphone mobile pour envoyer des e-mails et surfer sur le Web.

Les Japonais semblent les premiers à s’être aperçus qu’il ne leur faut pas un processeur ultrapuissant pour le surf quotidien. Le patron d’IBM lui-même a reconnu, l’année dernière, que les programmes du type  » un ordinateur par élève  » avaient échoué, et que le téléphone portable était, par contre, adopté par les enfants et utilisé massivement dans les pays les plus pauvres, réduisant ainsi la fracture numérique. D’après l’Union internationale des télécommunications (UIT), on comptait 4 milliards d’abonnements à la téléphonie mobile dans le monde, fin 2008.

Innovation récente en matière de nomadisme, le Netbook voit son succès se confirmer, en Belgique comme ailleurs. Cela permet de freiner la baisse globale des ventes d’ordinateurs : 21 millions de Netbooks devraient se vendre en 2009. Conçu à Taïwan dans les laboratoires d’Asus, ce mini-PC, destiné, au départ, à être commercialisé à un prix très bas dans les pays en développement, a trouvé sa niche sur les marchés occidentaux. Ce qui démontre que la tendance est bien à la portabilité. Lancé il y a un an et demi, le Netbook, voué au traitement de texte et à l’Internet, a déjà vu ses défauts de jeunesse corrigés : les batteries sont plus puissantes, la mémoire plus étendue, etc. Inspiré par le triomphe de l’iPhone, le leader Asus envisage aussi de doter ses nouveaux modèles d’un écran tactile.

Mais le Netbook, même tactile, ne parviendra pas à faire de l’ombre au mobile. Ce dernier devrait progressivement intégrer les fonctionnalités des autres supports nomades. Significatif : les téléchargements de jeux sur téléphone portable ne cessent d’augmenter. Selon l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate), le jeu sur téléphone mobile rattrapera celui sur console portable en 2010, avec des recettes de 6 milliards d’euros chacun, contre respectivement 3,9 et 4,7 milliards cette année. Avec son écran orientable, l’iPhone – encore lui ! – y contribue pour beaucoup. Il faut dire que l’App Store, la boutique d’Apple ouverte à tous les développeurs d’application, offre un catalogue de jeux incroyable.

Et la télé mobile ?

Grâce à leur plus grande capacité de stockage, les mobiles devraient également écraser les lecteurs MP3, d’autant qu’ils permettent l’écoute en streaming sur Internet, très en vogue. Intégration toujours. Seule la TV mobile semble encore piétiner. Regarder la télé sur son téléphone portable devrait être un must et pourtant cela ne décolle pas. En Europe et aux Etats-Unis, le taux de pénétration n’était que de 3 %, en 2008. Motif : difficile de trouver un modèle économique viable. Récemment, la Norvège a opté pour la TV mobile gratuite. Un choix qui est, pour l’instant, repoussé en Belgique, où l’offre télé des opérateurs mobiles, pourtant maigre, reste chère (2,49 euros le clip vidéo chez Proximus, 0,49 euro pour visionner un goal de la Jupiler League). Mais le marché devrait un peu se décoincer lorsque la vente couplée sera enfin légalisée chez nous. En effet, les prix des mobiles 3G diminueront et les téléspectateurs potentiels seront plus nombreux.

Les atermoiements de la TV mobile n’empêcheront pas le nomadisme numérique de se développer. Le monde des transports l’a bien compris. Début 2008, était lancé le Thalys Wi-Fi, le premier train connecté au monde. Naviguer sur le Web, dans un wagon filant à 320 km/heure, est désormais chose courante. Quant aux avions, les compagnies aériennes, surtout américaines, rivalisent de plus en plus pour offrir un accès Wi-Fi à leurs clients. Les tarifs des connexions (environ 10 dollars par vol) pourraient devenir un argument commercial des compagnies. Mais, à 100 000 dollars l’équipement par avion, la crise économique pourrait retarder la généralisation du sans-fil aérien.

De toute façon, tous les propriétaires d’appareils nomades ne sont pas des voyageurs. Comme le note sur son blog Dominique Piolet, président de l’Atelier BNP Paribas à San Francisco :  » Ce n’est pas le voyage qui définit le nomade digital. C’est la connexion.  » Et de citer, pour exemple, le Nomad Café, à Oakland. Les clients, des étudiants de Berkeley pour la plupart, y viennent pour se connecter à Internet pendant l’intercours.  » Ces étudiants ne vont pas plus loin que du campus à l’université, en passant par le Nomad Café, note Piolet. Ils éprouvent le besoin d’être connectés en permanence, dans leurs déplacements quotidiens, si petits soient-ils. Des micronomades en quelque sorte, se déplaçant de point de connexion en point de connexion.  » Un avant-goût du monde de demain ? .

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THIERRY DENOËL

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