Des fibres dans le moteur

Des saules pour produire de l’énergie verte. Mais aussi de la paille, du maïs, du colza… Pas de doute: la bioénergie a le vent en poupe

Choisissez un plant de saule. Plantez-le dans une parcelle de terre accessible à un engin agricole. Multipliez l’opération par quelques milliers de plants soigneusement sélectionnés et installez-les en rang très serré sur une parcelle de 1 hectare, bien exposée aux précipitations. Un an plus tard, un taillis haut de 3 mètres, quasi impénétrable, s’élève à cet endroit. Après trois ans, une véritable mini-forêt voit le jour, haute de 6 à 8 mètres.

Déchiquetés sur le lieu même de la récolte, puis séchés, ces arbrisseaux ont un potentiel énergétique annuel identique à 5 000 litres de mazout. Pure estimation théorique? Pas du tout. A Braine-l’Alleud, une installation expérimentale a démontré qu’il était parfaitement possible, grâce à un gazogène sophistiqué, de produire chaleur et électricité à partir de ces végétaux.

Le saule n’est qu’un exemple. Demain, une partie de la Wallonie fonctionnera à la biomasse. Déchets de scieries, lisiers porcins et bovins, cultures énergétiques contribueront, chacun à leur façon, à faire tourner nos appareils électriques et à chauffer nos bâtiments. Voire, peut-être, à faire avancer nos automobiles.

Cette grande diversité de combustibles est le propre de la biomasse. Les filières, elles, ne sont pas moins variées. Elles s’appellent « combustion », « gazéification », « pyrolise », « digestion », « fermentation »… Tout l’art consiste, en fait, à exploiter au maximum chaque matière première au profit de la fabrication d’électricité et/ou de chaleur, voire de carburants (comme le biodiesel).

Mais qui cela peut-il intéresser? La question est à la fois actuelle et dépassée. Actuelle parce qu’il s’agit, d’abord, de convaincre suffisamment d’agriculteurs de l’intérêt de ces filières. Difficile! Comment les persuader, en effet, qu’ils pourraient, demain, cultiver des saules – mais aussi des plantes aussi classiques que le blé ou le maïs – à des fins purement énergétiques? Ensuite, parce qu’il y a un bénéfice écologique à l’opération: de telles cultures absorbent beaucoup de dioxyde de carbone, responsable de l’effet de serre qui réchauffe anormalement le climat. Chez Xylowatt, une spin-off de l’UCL spécialisée dans la vente d’équipements utilisant la biomasse, on se targue de pouvoir diminuer les émissions de CO2 de 40 000 tonnes par an. Soit, au bout de cinq ans, l’objectif du protocole de Kyoto pour 50 000 Belges!

Dépassée car, d’ores et déjà, les distributeurs wallons sont tenus de vendre 2,9 % de leur « courant » sous la forme d’électricité verte. José Daras (Ecolo), ministre wallon de l’Energie, a prévenu: en 2010, ce taux passera à 12 %, soit davantage que les obligations européennes actuelles. En cas de non-respect des obligations, des sanctions sont prévues. Dorénavant, même des géants comme Electrabel sont obligés de jouer le jeu. Un mécanisme de « certificats verts », dotés d’une valeur monétaire, encouragera les producteurs à se lancer dans toutes les formes d’énergies renouvelables.

Avec succès? Les réussites étrangères, en tout cas, ne manquent pas. Près de Londres, une centrale électrique d’une puissance de 360 000 kilowatts absorbe annuellement 200 000 tonnes de paille et fournit de l’électricité à 500 000 ménages. En Suède, 15 000 hectares sont destinés à la culture de saules « énergétiques ». Le Danemark dispose déjà de 10 000 chaudières à paille, tandis que 1 600 fermes allemandes sont équipées d’une installation de biométhanisation pour chauffer les fermes et revendre l’électricité au réseau.

Bref, la Wallonie ne fait que rattraper son retard. Tout cela est évidemment moins spectaculaire que les éoliennes. Mais plus pour longtemps. Déjà, diverses communes wallonnes (plutôt forestières, comme Gedinne) sont prêtes à recourir à la biomasse pour chauffer leurs bâtiments administratifs, leurs hôpitaux, leurs piscines ou leurs centres culturels. « Dans vingt ans, on trouvera normal que l’agriculteur travaille aussi pour faire de l’énergie, et plus seulement de la nourriture », pronostique Jean-Marc Jossart, agronome au laboratoire d’écologie des grandes cultures de l’UCL. Chiche!

Philippe Lamotte

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire