Des experts dans la tempête

Echaudée par de récents avatars, la ministre Magda Aelvoet veut réformer le Conseil de biosécurité. L’avenir des OGM, en Belgique, est en jeu

« C’est la dernière fois! » En martelant ces mots, lors de son acceptation partielle de trois expérimentations en plein champ d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ( lire Le Vif/L’Express du 3 mai 2002), Magda Aelvoet, ministre fédérale de la Santé et de l’Environnement (Agalev), a jeté un gros pavé dans la mare. C’est, en effet, quasi la… première fois qu’un ministre ne suit pas aveuglément l’avis du Conseil de biosécurité. Cet organe est chargé de conseiller les responsables politiques après avoir pris le pouls de comités scientifiques sur les risques présentés par les OGM. La mandataire écologiste estime avoir été insuffisamment informée des tenants et aboutissants de 5 expérimentations récentes d’OGM à ciel ouvert: une compétence dont elle a hérité à la suite de la régionalisation de l’agriculture. Elle veut, dorénavant, prendre des décisions sur la base de dossiers plus étoffés. Une manoeuvre politicienne et obscurantiste? Ou – plus encourageant – le signe que le politique veut réinvestir un domaine occupé par les seuls experts et technocrates?

Opérationnel depuis 1996, ce Conseil a déjà remis plusieurs centaines d’avis sur l’expérimentation ou la mise sur le marché de plantes, mais aussi de virus et de micro-organismes, génétiquement modifiés. Véritable pièce maîtresse du présent et de l’avenir des OGM en Belgique, il fait l’objet, même parmi les détracteurs des plantes transgéniques, d’une large reconnaissance, voire d’une certaine admiration un peu partout en Europe. Pionnier parmi les 15 Etats de l’Union, il est vanté pour sa transparence (ses avis sont publiés sur Internet) et pour la qualité de ses dossiers, élaborés par près de 200 experts choisis dans le monde universitaire. C’est lui – anecdotique mais significatif – qui a révélé que la carte génétique du maïs modifié de Monsanto était incorrecte. Une gifle pour le géant agrochimique. Et… un sifflement d’admiration de la part de Greenpeace.

Représentativité et indépendance

Mais voilà. Les connaissances scientifiques évoluent, riches de promesses et… de zones d’ombre. Les exigences de la société civile évoluent. Magda Aelvoet veut y créer un comité de développement durable qui analyserait, en plus des risques des OGM pour la santé et pour l’environnement, la pertinence scientifique des cultures de plantes transgéniques, de même que leurs impacts socio-économiques. Exemples de questions à aborder: l’impact des OGM sur la main-d’oeuvre et sur la dépendance agricoles, la destination finale du « bénéfice » des OGM (pour les seules firmes semencières ou pour la collectivité?), etc. Elle veut, aussi, remédier à une carence notoire du conseil: le manque de poids, en son sein, des experts en écosystèmes ou en génétique des populations. Sous-représentés et peu valorisés, ceux-ci estiment avoir un droit urgent à une parole élargie dans ce Conseil (et pas uniquement sur le papier), moyens à l’appui. La ministre écologiste veut également bétonner l’indépendance des experts actuels, dont la proximité avec le secteur privé (qui introduit les demandes d’autorisation) a déjà suscité un certain malaise.

Des petites bombes

Au Conseil, de tels projets créent l’émoi. Le cadre juridique existe-t-il pour de telles innovations (car elles doivent aller vite: avant les élections)? Comment éviter les foudres européennes? Ne risque-t-on pas une paralysie du Conseil, au profit (à terme) d’instances d’avis communautaires qui seraient noyautées par les firmes multinationales (donc par les Américains)? La réforme de Magda Aelvoet suscite, de fait, bien des interrogations. Si, par exemple, les agriculteurs biologiques devaient faire partie d’un tel comité « développement durable », on irait probablement droit au choc frontal interne. Quel y serait le rôle exact des agriculteurs, des sociologues, des associations, etc.?

Riches de promesses (et notamment celle de voir le Conseil de biosécurité rester pionnier en Europe…), les formules en chantier révéleront, sous peu, le vrai visage des écologistes sur ce dossier: une partie d’entre eux ne seraient-ils pas, sous des dehors d’ouverture aux décisions « cas par cas », foncièrement et totalement opposés à tout transgène cultivé dans la nature?

Philippe Lamotte

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