Des caméras contre les trafics : Schengen revisité par les Pays-Bas

Nicolas Sarkozy se dit prêt à revoir la participation française à l’Espace Schengen. Le gouvernement néerlandais a déjà pris les devants en mettant en place un système de surveillance des frontières par caméras. Quid du respect de la vie privée ?

Désormais, quiconque visite les Pays-Bas sera photographié. Nos voisins du Nord sont en passe de mettre au point un système répertoriant les voitures qui traversent leurs frontières. Le projet inquiète la Commission européenne, préoccupée par la libre circulation des personnes, des biens et des services. Un principe garanti par l’accord de Schengen signé en 1985 et entré en vigueur en 1995. Depuis lors, tout citoyen d’un pays signataire peut voyager sans visa, ni passeport dans les autres Etats signataires.

Bientôt donc, les premières photos de vacances des touristes belges aux Pays-Bas pourraient être prises par la police militaire néerlandaise, la  » Koninklijke Marechausee « , gratuitement et de façon automatisée grâce à des appareils photo numériques. En effet, un réseau de caméras high-tech, répondant au nom mystérieux de  » @migo-boras « , sera installé aux 15 postes frontaliers les plus fréquentés, 5 à la frontière avec la Belgique et 10 à celle avec l’Allemagne. Six autres caméras mobiles devraient être ajoutées au système.

Interventions dans des cas précis

Le projet est encore en phase de test. Néanmoins, le ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Asile, Gerd Leers, a annoncé dans une lettre adressée au Parlement néerlandais que les autorités étaient  » en train de mettre en place le système définitif, prêt à l’emploi, à 10 positions différentes « . La date de la mise en service a été fixée au 31 mai 2012. Le gouvernement justifie cette initiative par une volonté de combattre le séjour illégal et la criminalité que celui-ci induit, y compris, comme l’a expliqué le ministre en guise d’exemple, la traite des êtres humains.

Le système  » @migo-Boras  » se base sur une technologie de reconnaissance automatique des plaques d’immatriculation (ANPR, automatic number plate recognition). Selon Gerd Leers, cependant, seuls des profils généraux seront stockés et transformés en informations anonymes. Certes, toutes les données seront automatiquement encryptées. Mais c’est seulement en cas de quick alert – quand il y a un délit et un soupçon concret – que les données personnelles seront utilisées ( amber alert, en cas de disparition d’un enfant ou d’une menace terroriste).

La politicienne hollandaise sociale-libérale (Democraten 66) Sophie in ‘t Veld, vice-présidente de la Commission des libertés civiles au Parlement européen et lauréate de plusieurs prix en matière de protection de la vie privée, comprend l’utilité des quick alerts. Elle souligne toutefois que dans tous les autres cas, le balayage systématique à grande échelle entre en conflit avec les principes de l’Etat de droit et des libertés civiles.  » La surveillance préventive de masse est contraire au principe fondamental qui veut qu’un individu est innocent jusqu’à preuve du contraire, n’est-ce pas ?  » souligne Mme in ‘t Veld.

La question se pose automatiquement. Mais selon le professeur en droit pénal de l’université de Gand, Gert Vermeulen, juridiquement le projet n’est pas illicite.  » L’accord de Schengen n’interdit pas des contrôles sur l’illégalité. Des postes physiques de surveillance ne sont pas autorisés. Je comprends la suspicion que le projet peut susciter, mais comme M. Leers l’explique dans sa lettre et la notice explicative, aucune information personnelle ne sera stockée, analyse Gert Vermeulen. La plaque d’immatriculation sera rendue anonyme et convertie en nombres binaires. « 

Invasion de la vie privée ?

La députée européenne Sophie In ‘t Veld exprime tout de même son inquiétude. Le pendant hollandais de notre Commission de la Protection de la vie privée, le Collège de la Protection des données personnelles (CBP) a décidé, l’année dernière, que le stockage de plaques n’était, en réalité, pas indispensable pour la lutte contre la criminalité au point de justifier  » l’incursion dans la vie privée d’un grand nombre de citoyens « .  » Je suis totalement d’accord, rétorque le professeur Vermeulen. Mais dans ce cas, les données sont encryptées de toute manière. Cette considération ne s’applique pas ici. Et d’ailleurs, l’efficacité d’un tel stockage systématique est souvent exagérée. « 

Cependant, bien que la Commission européenne soit saisie de l’initiative néerlandaise depuis novembre, il semble que le cabinet du ministre Gerd Leers n’ait, étrangement, pas pris la peine d’informer les décideurs politiques européens. Pourtant, la mesure pourrait avoir de fortes implications pour les pays voisins et l’Europe. Le 17 novembre 2011, la Commission a donc adressé une lettre au ministère néerlandais avec 10 questions sur la confidentialité et la conformité du système de surveillance à la Convention de Schengen sur la libre circulation frontalière. Deux mois plus tard – alors que le système était déjà en train d’être testé – Gerd Leers, répondant enfin aux questions de la Commission, a affirmé se fonder sur le code frontalier de Schengen, la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte européenne des droits fondamentaux, la Constitution néerlandaise et les règles de protection de la vie privée. Il a fait grand cas de la loi néerlandaise de 2000 sur les étrangers et il a cité comme exemple le cas de minibus qui traversent régulièrement la frontière et transportent des travailleurs illégaux. Si  » @migo-boras  » remarque qu’un tel convoi entre en territoire néerlandais, une patrouille mobile de la police militaire entrera en action.

Influence de la droite populiste

Gerd Leers a en outre souligné que l’accès aux données est limité et contrôlé par la police militaire, que les caméras sont situées exclusivement sur le territoire néerlandais, dans une zone de vingt kilomètres le long de la frontière et que c’est uniquement dans les cas de quick et amber alerts que les informations spécifiques liées aux individus seront enregistrées jusqu’à cinq ans. Or c’est précisément que la sécurité des données que la députée européenne Sophie in ‘t Veld exprime de sérieux doutes.

Pour l’heure, la Commission européenne examine de façon attentive l’initiative néerlandaise  » avant de décider, si oui ou non, des mesures supplémentaires sont nécessaires « , a expliqué au Vif/L’Express Michele Cercone, le porte-parole de la commissaire Cecilia Malmström en charge des Affaires intérieures. Le projet néerlandais est le dernier d’une série de mesures anti-Schengen que l’on observe dans certains pays de l’Union, en raison de l’influence croissante des partis de la droite populiste. Mais il serait exagéré de croire que le gouvernement néerlandais n’a pris cette initiative que pour satisfaire le populiste Geert Wilders. En 2005 déjà, les premiers tests avec  » @migo-boras  » étaient menés. Du reste, le gouvernement du Premier ministre Mark Rutte veut également installer un système à l’intérieur du pays, qui photographierait les plaques des automobilistes avec des caméras situées sur les autoroutes.

RAFAEL PORTO CARRERO

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