Des bureaux et des hommes

Guy Gilsoul Journaliste

Le photographe hollandais Jan Banning tire le portrait de fonctionnaires. Jusque-là, rien de bien affolant. Sauf que…

Ils sont des dizaines de millions dans le monde, assis à leur bureau chaque matin, samedis et dimanches exceptés, le regard fier : les fonctionnaires. Ceux que l’on découvre au Musée de la photographie sont américains, russes, français, indiens, yéménites, libériens, boliviens et chinois. En fonction de leur statut et surtout du pays où ils exercent leur profession, leur salaire varie et leur décor de même. Des murs à peine chaulés aux somptueux rideaux, leur lieu de travail reflète aussi le lien entre le sérieux de leur tâche, l’état d’âme des archives et leurs rêves, leurs fantasmes et leur ambition.

Les portraits de ces héros du tertiaire que propose le Néerlandais Jan Banning ne sont pas mis en scène. Le photographe ne s’était pas annoncé. Son irruption a dû en étonner plus d’un, mais ils ont pris la pose. Certains souriront. D’autres resteront de marbre. Alors, pour eux, parleront le décor éparpillé sur le bureau (ou ce qui en tient lieu), les armoires et les étagères. On y voit aussi les idoles, les souvenirs de famille et les diplômes punaisés, accrochés ou encadrés. Chez les Texans de l’Amérique profonde (des Rangers, le plus souvent), on aime les cornes de buffle, chapeaux de cow-boy, lassos, poignards et camions miniatures. L’agent français des narcotiques préfère les images de Bob Marley. Le fonctionnaire bolivien travaille sur une nappe en plastique pour 55 euros mensuels alors que son collègue responsable des projets urbains (267 euros par mois) est entouré par des images de femmes nues et celle d’un train grande vitesse. Au Yémen, le responsable des collectes des factures mensuelles de distribution d’eau est assis à même le sol, noyé par les tuyaux, compteurs, paperasses et briquaillons tombés d’on ne sait où. Au Liberia, pour 17 euros, le chef des revenus n’a pour décor qu’une affiche électorale et pour outillage qu’un cachet, une agrafeuse, un sac-poubelle bleu et une machine à coudre noire. Car les couleurs jouent aussi un rôle important dans ces portraits de fonctionnaires. Elles désignent l’apparence lisse d’un pouvoir sans histoire (en Chine, en Russie) ou, au contraire, l’attachement aux teintes locales profondément ancrées dans la culture populaire comme le bleu intense et profond des murs qui encadre l’assistante du clerc derrière laquelle, au-dessus d’armoires aussi vénérables que patinées, s’entassent, jaunis et craquants, des piles et des piles de dossiers ficelés pour toujours. Enfin, il y a le costume qui jette au loin l’idée selon laquelle la mondialisation aurait gagné tous les étages de la planète.

Aux mêmes dates : Georges Vercheval, l’ordre des choses.Photographies 1958-1988, et Witho Worms. Cette montagne, c’est moi.

GUY GILSOUL

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